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Culture

Commander un tueur à gages (et une pizza) sur Internet

Adopte-un-tueur.ru

– La page « Qui sommes-nous ? » du site Internet russe zakazat-kilera.com

À l’heure qu’il est, vous avez déjà dû entendre parler de cette multitude de tueurs à gages hyper calés en technologie qui traînent dans les bas-fonds du deep-web en attendant qu’on leur demande d’assassiner quelqu’un. Ces derniers mois, ce genre de sites a attiré l’attention des médias – notamment grâce à Ross Ulbricht, le fondateur présumé de Silk Road. Ulbricht est aujourd’hui inculpé pour avoir voulu embaucher un tueur à gages qui avait pour mission de tuer six personnes via Silk Road ; il s’est fait arrêter le 1er octobre dernier, piégé par le FBI.

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En réalité, vous n’avez même pas à savoir ce qu’est le deep-web pour vous offrir les services d’un tueur à gages. Des sites basés en République Tchèque et en Europe de l’Est vous proposent aussi ces services en toute transparence sur Internet. Il n’y a plus qu’à cliquer !

En activité depuis février 2013, un de ces sites offre tout ce dont rêve quelqu’un qui souhaite se venger dans un bain de sang. On peut commander « Une flamme vacille » pour 260 € environ; le tarantinesque « Chiropractor » pour 580 €, et pour quelques billets supplémentaires, ils iront casser n’importe quelle partie du corps de la victime : 50 € par os.

Pour ce qui est du meurtre en lui-même, vous avez le choix entre plusieurs options : « une mort naturelle ou par un accident fortuit » ; « une mort soudaine lors d’une bagarre (par exemple, suite à une agression nocturne) », ou la « liquidation classique ». Les prix varient selon plusieurs facteurs, tels que le lieu où se trouve la victime mais aussi n’importe quelle épreuve que le tueur à gages devra surmonter pour accomplir sa mission. Moyennant un supplément, les clients peuvent commander des options supplémentaires : abandonner la cible complètement nue dans une foret ; la forcer à creuser sa propre tombe ; la bâillonner avec un chiffon imbibé de pisse et de matière fécale. Les options de personnalisation paraissent presque illimitées.

On pourrait penser que zakazat-kilera.com n’est qu’un hoax créé par des trublions avec beaucoup trop de temps à perdre ou des escrocs tordus, mais les politiciens russes prennent suffisamment ça au sérieux pour appeler à blacklister ce site. Andrew Slavyanski, analyste dans le laboratoire de recherches cybernétiques SecDev, s’est penché sur ces sites, et il est convaincu qu’il faut prendre tout cela au sérieux. « C’est comme choisir les options pour une nouvelle voiture, m’a expliqué Slavyanski. Le langage est très important – “Vous préférez ça, ou plutôt ça… ? Ça vous coûtera tant…” Pas de malentendu possible. »

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La page « FAQ » de zakazat-kilera.com

Une liste de violences sexuelles est également proposée, la plus imagée étant « un viol commis par un gay au crâne rasé, qui pèse plus de 100 kilos et qui aime les culs vierges » – à votre portée pour seulement 730 €. Ces gars affirment qu’ils feront n’importe quoi à la victime de votre choix tant que vous les payez et du moment qu’ils vivent près de la ville dans laquelle ils opèrent : parmi elles Moscou, Kiev et Minsk.

Apparemment, ce site n’est pas le seul qui existe. Andrew m’en a montré un autre, un peu plus glauque encore : « Celui-ci est loin d’être un canular, m’a-t-il dit. Il y a une page consacrée à ce qu’ils font ; une autre sur l’anonymat, et une troisième précisant comment passer commande. »

Bien qu’aux États-Unis, le taux de crimes commis avec une arme soit assez élevé, il n’y a pas vraiment d’assassinat ciblés en dehors du monde criminel ; en Russie, les exécutions commanditées de civils sont une pratique plus répandue. Plus tôt dans l’année, Stepan Ananikyan, un homme d’affaires de 64 ans, a été arrêté, soupçonné d’avoir ordonné la mort de six personnes pour venger le meurtre de son fils. Récemment, dans une autre affaire, un homme d’affaires et sa fille ont été tués par balles alors qu’ils rejoignaient leur voiture.

« Des types marchent derrière les gens et les abattent d’une balle derrière la tête avant de s’éloigner calmement, c’est une méthode éprouvée », m’a expliqué Andrew, précisant que les crimes ont été « enregistrés par les caméras de sécurité ». Le site détaille la composition de son staff : on trouve d’anciens sportifs, qui – après avoir été boxeurs, lutteurs ou athlètes – ont eu des difficultés à trouver du travail après l’effondrement du Bloc soviétique. « C’est la pègre du début des années 1990, à la chute de l’Union soviétique », dit-il. Il y a aussi un nombre important de criminels endurcis et d’anciens combattant qui se sont battus contre les moudjahidin à l’époque de l’invasion soviétique en Afghanistan et qui « approchent maintenant de la cinquantaine ».

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Comme évoqué précédemment, ce site Internet ne fait pas partie du deep-web ; ce qui signifie que vous n’avez pas besoin d’installer Tor, ou de faire quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire pour y accéder et passer commande. Alors, comment font-ils pour subsister ? « Ils prétendent entretenir des liens étroits avec les forces de l’ordre, m’a raconté Andrew, que ce soit la police ou des gouverneurs locaux. » Ça pourrait être la raison pour laquelle ce genre de site marche bien en Europe de l’Est et en Russie : « Il est tout à fait possible, [dans cette partie du monde,] d’être à la fois membre des forces de l’ordre ou de l’appareil d’État, et parallèlement membre d’une organisation criminelle, a précisé Andrew. Du moment que vous êtes capable de nourrir ces deux bouches, vous pouvez gérer cette situation. »

Le nuage de tags du site zakazat-kilera.com

En avril 2013, un officier de police, après avoir fourni un tueur à gages à des gangs, s’est fait arrêter pour le meurtre de six personnes. Il s’est peut être fait choper, mais les affaires précédentes ont prouvé que ces tueurs à gages sont plus ou moins à l’abri lorsqu’ils appartiennent à la police. Généralement, « il est beaucoup plus difficile d’arrêter ou de punir les gens qui font partie de la police », m’a signalé Andrew.

Il y a eu quelques tentatives visant à fermer ou restreindre l’accès à ces sites d’adopte-un-tueur, mais les forces de l’ordre butent sur deux gros problèmes. Premièrement, les autorités sont uniquement en mesure de faire fermer les sites qui encouragent le suicide ou la pédopornographie : bien que ces sites proposent ouvertement des viols et des assassinats macabres, ils ne tombent pas dans cette catégorie. Deuxièmement, il faut pouvoir enregistrer une plainte de victime de ce site. De toute évidence, ça n’est pas encore arrivé. C’est pourquoi ces sites sont restés actifs ces dix derniers mois, avec quelques petites interférences. En réalité, il semble par exemple que le site qui proposait tous les petits extras sympas n’ait eu qu’à changer d’URL une seule fois, juste après qu’un sénateur russe a exigé sa fermeture.

Dans un contexte plus large, on remarque que ces sites de l’Est sont une autre manifestation de la façon dont groupes mafieux et malfrats intègrent Internet dans leur mode de fonctionnement. Qu’il s’agisse d’un cartel de la drogue au Mexique qui utilise Tor et le cryptage pour communiquer, d’un mouvement social au Brésil qui prend de l’ampleur par le biais de Twitter ou d’association de tueurs à gages qui élargit sa base de clients, la technologie permet à tous – hors-la-loi et citoyens – de continuer à faire ce qu’ils font, mais en mieux. Et les États dont les fonctionnaires sont submergés, alanguis ou corrompus ont souvent un train de retard. « Ils ne peuvent pas évoluer aussi vite qu’un individu, a analysé Andrew. S’ils bloquent un site, il change d’URL. »

C’est ce qui est arrivé à Silk Road, les sites miroirs de Pirate Bay et même WikiLeaks. De la même façon que les dealers trouvent qu’il est plus facile de vendre de produits dans le cyberespace, les tueurs à gages russes ont trouvé leur havre sur Internet.