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J’ai passé la nuit à empêcher des bouseux anglais de buter des blaireaux

La guerre est déclarée dans les vertes campagnes anglaises.

La guerre est déclarée au cœur des campagnes anglaises. D'un côté, on a un groupe qui aime les blaireaux ; de l'autre, une bande de ruraux qui détestent ces petits omnivores et veulent anéantir leur existence avec des fusils de calibre 12.

Depuis le mois de juin dernier, les habitants du Somerset et du Gloucestershire se sont attelés à l'éradication des blaireaux, un massacre que l'Union nationale des fermiers (UNF) juge nécessaire pour protéger les vaches de la tuberculose – une maladie que les blaireaux peuvent leur transmettre. L'UNF a engagé des tireurs d'élite pour tuer autant de blaireaux que possible. Si la stratégie fonctionne, le massacre pourrait s'étendre à tout le pays.

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Sans surprise, les militants pour les droits des animaux n'ont pas réagi positivement à cette nouvelle. Ils ne sont pas convaincus par l'argument selon lequel les blaireaux devraient mourir pour sauver la vie des vaches et ont juré de mener un long et combat pour protéger leurs copains blaireaux. Un de ces militants s'appelle Drew, et il a gentiment accepté de m'emmener sur le front, dans le Gloucestershire.

Drew est passé me prendre à la gare et m'a conduit jusqu'à sa base. S'y trouvaient déjà un groupe de personnes d'âges divers. Tous portaient des gilets fluo avec des bandes réfléchissantes. Drew et ses amis activistes sont connus sous le nom de « la patrouille des blaireaux en détresse ».

« C'est la classe moyenne anglaise », m'a dit Drew avec une pointe de dédain, lorsqu'il explique que la troupe s'est donné pour mission de parcourir les sentiers toute la nuit, torches allumées, dans l'espoir que les blaireaux prennent peur et se planquent dans leur terrier afin d'échapper aux tireurs. C'est un moyen simple et légal d'éviter le massacre, et je crois que c'est plutôt efficace. D'autant qu'un truc qui peut nuire à cette campagne d'éradication plus sûrement que des photos de petites bestioles au crâne explosé, c'est bien qu'un lecteur du Daily Express se prenne une balle perdue.

Tout au long de la nuit, les activistes m'ont expliqué à quel point ça les touchait de voir un grand nombre de personnes « ordinaires » s'impliquer. La pétition lancée pour éviter le massacre a déjà récolté plus de 300 000 signatures.

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Debbie et Chrissie

Nous avons atteint le parking d'une église qui nous ferait office de QG pour la nuit. Pendant que les activistes s'organisaient, j'ai parlé à Debbie, une « militante végétarienne luttant pour les droits des animaux ». Selon elle, les blaireaux sont des boucs émissaires, et il faudrait plutôt se préoccuper de vacciner le bétail. « Vacciner, vacciner, vacciner », a renchéri son amie Chrissie. « Pense au roman Le Vent dans les saules – le blaireau est un animal emblématique que nous avons toujours connu. » Réglo.

J'ai ensuite discuté avec une femme appelée Sue, particulièrement touchée par le massacre. Elle m'a parlé du travail de Lord Krebs, à qui le gouvernement avait commandé un rapport suite au massacre de blaireaux mené à la fin des années 1990 : « Il est revenu et a dit que selon lui, rien ne prouvait que buter des blaireaux réduisait de façon significative le risque de tuberculose. En neuf ans, on avait constaté une baisse de seulement 16 %. Si j'étais fermier, je me serais demandé à quoi étaient dus les 84 % restants. Mais c'est vrai que c'est plus simple d'exploser des petites bestioles sans défense. »

La nuit tombait. Le ciel du samedi soir était clair après des jours de pluie torrentielle. Un sentiment de sérénité commençait à m'envahir, jusqu'à ce que les militants m'expliquent que c'était aussi le temps idéal pour les chasseurs de blaireaux.

Tout le monde a sorti sa torche et s'est réuni autour de cartes marquées de petites croix rouges localisant les terriers des blaireaux.

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Il était important que nous déterminions précisément notre itinéraire. En d'autres occasions, le fait de se perdre nous aurait valu, au pire, de nous faire expulser d'un terrain par un fermier en colère. Là, on avait de fortes chances de tomber sur des escadrons de la mort de blaireaux armés et fatigués, ou des flics zélés contents de serrer des fauteurs de troubles égarés.

Nous nous sommes ensuite séparés pour partir dans différentes directions. Notre voiture faisait partie d'un convoi qui s'est dirigé vers un terrier de blaireaux où des tireurs avaient été aperçus ces dernières semaines.

Une fois sortis de la voiture, on a marché au clair de lune. Il fallait éviter les chardons tout en essayant de ne pas se tordre la cheville dans les terriers de lapin. On entendait des cris qui ressemblaient à ceux d'un hibou. Les militants ont marqué l'arrêt, soupçonneux, essayant de déterminer s'il s'agissait vraiment d'un hibou ou d'une ruse des tireurs pour communiquer entre eux.

Alors qu'on marchait, j'ai réalisé qu'aussi longtemps que Drew et ses potes activistes garderaient les terriers la nuit, les tireurs allaient avoir du mal à trouver des cibles. Tuer des blaireaux était, au final, beaucoup plus difficile que prévu. Les fermiers allaient-ils finir par se décourager et décider de changer de méthode ?

Tout le monde admet que gazer les blaireaux, une méthode qui a été envisagée, est une idée difficile à vendre au public. Et s'ils se mettaient à poser des pièges ? « S'ils posent des pièges, nous les trouverons. Faire sauter un piège, c'est un des trucs les plus simples du monde », m'a affirmé un des militants.

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On est arrivés au niveau du terrier. Voilà à quoi ça ressemble, au cas où vous vous poseriez la question – c'est simplement un gros trou dans le sol. Pour un trou comme ça, on compte environ dix blaireaux.

On a ratissé le sol pour trouver des cacahuètes qui auraient été disposées là par les tireurs pour attirer les blaireaux vers la sortie. On n'en a pas trouvées, mais si ça avait été le cas, on les aurait aspergées de spray répulsif pour chien.

Je parie que vous vous demandez pourquoi on ne se serait pas contentés de virer les cacahuètes. Moi aussi. Un des activistes, à qui j'ai posé la questions, m'a répondu : « Apparemment, si on prend les cacahuètes, c'est considéré comme un vol. »

La moitié du groupe était d'accord pour passer la nuit autour de ce terrier. C'est la stratégie la plus efficace pour dissuader le massacre : s'asseoir et attendre près des terriers, pour empêcher les tireurs de viser. L'autre stratégie consiste à allumer des lampes-torches et à faire le plus de bruit possible pour que les blareaux restent planqués.

Ça ne me branchait pas trop de rester assis toute la nuit dans un champ, j'ai donc suivi l'autre moitié du groupe, qui se dirigeait vers la base. Sur le chemin du retour, on a entendu environ cinq tirs en l'espace de dix minutes, au loin. On a pressé le pas en se demandant si d'autres militants remontaient vers la source des coups de feu.

Sur le chemin du retour, on a aperçu une voiture de police. Les flics étaient peu appréciés par mes nouveaux amis. J'ai demandé à Drew si la police se montrait active et il a éclaté de rire. « Il m'est arrivé de me faire arrêter six fois en une nuit », m'a-t-il dit. Ensuite, il m'a raconté qu'il avait été arrêté 26 fois en tout, depuis le début de la campagne d'éradication. Il a ajouté qu'un des activistes s'était fait épingler pour excès de vitesse alors qu'il roulait à 10 km/h.

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Les flics se sont arrêtés à notre hauteur pour nous demander comment on allait, ce qui était sympa de leur part. J'ai réalisé que le massacre des blaireaux avait créé un écosystème inédit : des tireurs qui tirent sur les blaireaux, des activistes qui suivent les tireurs pour qu'ils ne tirent pas sur les blaireaux, des flics qui suivent les activistes pour qu'ils n'attaquent pas les tireurs.

Quand nous avons atteint le parking de l'église, certains activistes portaient plainte auprès des officiers de police présents : ils affirmaient qu'ils s'étaient fait suivre par une voiture de police pendant une heure et demie, du harcèlement, selon eux. Pour être honnête, c'était un peu l'hôpital qui se fout de la charité, puisque les saboteurs ont récemment rendu publics les noms et les numéros de téléphone de ceux qu'ils suspectaient de participer au massacre.

La police, pour sa part, a répliqué que la voiture incriminée était sous surveillance, soupçonnée d'être impliquée dans des activités criminelles. Plus tard, j'ai appris de source sûre que tel n'était pas le cas.

Je suis allé voir les flics pour leur demander leur avis sur l'affaire mais ils ont refusé de me parler.

Ensuite, le type qui portait à la fois une veste de camouflage et un gilet fluo a commencé à les filmer en leur demandant des explications. Ils ont réagi comme n'importe quelle personne qui a le pouvoir de vous arrêter : ils sont remontés dans leur voiture et ont fermé les portes.

On est repartis en voiture pour repérer d'éventuels tireurs. Malgré les conditions idéales pour la chasse au blaireau, on n'a croisé aucun tireur. Même les bruits de tirs entendus plus tôt n'avaient rien à voir avec la campagne d'éradication : il s'agissait de lampers, soit des mecs qui s'amusent à surprendre leurs animaux avec leurs phares, pour ensuite pouvoir les chasser et leur tirer dessus alors qu'ils sont trop pétrifiés pour bouger. Réglo.

Drew m'a confié qu'il se demandait si les tireurs ne commençaient pas à abandonner. Si le massacre doit théoriquement s'arrêter fin octobre, il semble que c'est déjà un échec. On a recensé seulement 100 blaireaux tués depuis le début de la campagne, à Somerset, bien en deçà de l'objectif officiel, qui est de 500 blaireaux.

Une chose est sûre, les amoureux des animaux ne vont pas arrêter de veiller au grain, et il est incroyablement facile d'interrompre le massacre sans enfreindre la loi. Les blaireaux anglais respirent un peu.