Flics français au bord de la crise de nerfs

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Flics français au bord de la crise de nerfs

État d'urgence, manifs à gogo et problème d'effectif : on a demandé à deux policiers s'ils n'en avaient pas marre d'être sous l'eau.

Photo via l'utilisateur Flickr Chris Stephenson

Le 21 juillet dernier, le Parlement français adoptait définitivement une loi relative à la quatrième prorogation de l'état d'urgence, pour une durée de six mois. Cette décision, qui fait suite aux événements tragiques survenus à Nice le 14 juillet, a provoqué le scepticisme d'une partie de la population et l'indignation du Syndicat de la magistrature. Ce dernier a dénoncé dans un communiqué la banalisation d'un régime d'exception « au mépris des principes démocratiques et des libertés ».

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Du côté des policiers, extrêmement sollicités ces derniers mois – notamment par les grands événements sportifs, les manifestations contre le projet de loi El Khomri et les dispositifs de sécurité liés à l'état d'urgence – la nouvelle n'a pas fait bondir de joie non plus. Les forces de l'ordre affirment depuis plusieurs mois être épuisées et minées par le manque d'effectif et un rythme de travail intenable sur le long terme.

Pour comprendre ce qui se passe actuellement dans les rangs de la police nationale et revenir sur les événements des derniers mois, on a interrogé Sylvain Durante, officier de police judiciaire et membre de la brigade d'information de voie publique, chargée d'encadrer les manifestations dans toute la France. Sylvain est également délégué du syndicat Alternative Police, membre de la CFDT. En tant qu'agent de terrain, il est néanmoins soumis à un devoir de réserve. C'est pourquoi nous avons aussi fait intervenir Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police, pour répondre à des questions d'ordre plus « politique ».

VICE : Bonjour Sylvain. Pour commencer, dites-moi comment l'annonce de la prorogation de l'état d'urgence a été accueillie dans votre service ?
Sylvain Durante : Au niveau de nos missions, cela ne change pas grand-chose. Selon ce régime exceptionnel, le nombre de manifestations doit être limité. Pourtant, je n'ai pas remarqué de différence depuis son instauration. Il y a toujours autant de manifestations en France d'après ce que j'observe sur le terrain.

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Certains craignent que ce régime soit détourné de sa fonction initiale pour restreindre les libertés d'individus n'ayant rien à voir avec le terrorisme. Vous comprenez cela ?
Oui, je peux le comprendre. Les assignations à résidence ont notamment été critiquées. La plupart d'entre elles n'ont d'ailleurs pas tenu dans le temps sur décision de justice. Mis à part cela, je ne pense pas que l'état d'urgence soit liberticide. Je le redis, des manifestations, il y en a tous les jours en ce moment ! Hier encore [l'interview a été effectuée vendredi 22 juillet, ndlr], nous avons dû encadrer une manifestation de migrants. À mon niveau, je suis même surpris qu'autant de manifestations soient encore autorisées. Je pense que la réalité du terrain entre en contradiction avec ce que les gens s'imaginent.

Denis, nous sommes en période préélectorale et les politiques de tous bords ne se sont pas privés de commenter le dispositif policier présent à Nice le soir de l'attentat. Ces remarques influencent-elles votre travail ?
Denis Jacob : Le débat politique autour de ce qui est arrivé à Nice est franchement malsain. On est dans la surenchère. Ce qui me fait bondir, c'est qu'on critique les collègues à propos d'un dispositif qu'on leur a ordonné de mettre en place. Comme tous les dispositifs en France, celui du 14 juillet a été réalisé conjointement par les autorités de l'État, les collectivités territoriales et les sociétés privées de sécurité – si on les y associe. Il s'agit donc bien d'une responsabilité collectivité. En ce moment, la question de la sécurité est détournée à des fins électoralistes sans qu'on aborde les problèmes de fond.

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Selon vous, quels sont ces problèmes ?
Il y en a plusieurs, mais je peux vous en citer un. En 2008, on a supprimé la direction centrale des Renseignements généraux – on avait alors un gouvernement de droite, ce qui prouve encore une fois que les responsabilités sont partagées. Aujourd'hui, on a quinze services de renseignement différents, répartis entre la police nationale et la gendarmerie, et aucune transversalité. Nous, les policiers, disons ouvertement en interne ce qui ne va pas. Mais personne ne nous écoute.

J'ai plus de dix ans de métier. C'est la première année où l'on se retrouve dans cette situation. J'ai hâte de partir en vacances. –Sylvain Durante

Sylvain, pour en revenir au terrain, à quoi ressemble votre travail aujourd'hui ?
Sylvain Durante : Dès que nous mettons le pied sur la voie publique, nous sommes beaucoup plus vigilants qu'avant. Beaucoup de collègues à peine sortis de l'école viennent renforcer nos effectifs. La situation est tendue.

Cet été, nous essayons d'assurer la tenue de tous les événements, pour que les gens puissent continuer à s'amuser. Cela nécessite énormément de moyens matériels et humains. Rien qu'au niveau des heures de travail, c'est énorme. On reçoit régulièrement des messages sur les risques liés à tel ou tel rassemblement, telle menace. On doit être constamment prêt à intervenir. C'est usant psychologiquement.

J'imagine que vous recevez beaucoup d'alertes.
Il y a un effet de psychose. Avec les feux d'artifice de particuliers comme en ce moment, beaucoup s'imaginent qu'il y a des explosions. Les gens se font vite des films. Et nous, même si nous sommes formés pour gérer ces situations, il y a toujours un laps de temps où nous ne savons pas exactement ce qui se passe. Nous devons également faire attention à nos jeunes collègues, qui ne sont pas encore totalement prêts à faire face à toutes ces situations. Honnêtement, c'est une période vraiment étrange.

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Vous avez déjà dû faire face à des situations comme celles-ci dans votre carrière ?
J'ai plus de dix ans de métier. C'est la première année où l'on se retrouve dans cette situation. J'ai hâte de partir en vacances. En 2005, il y avait bien eu le CPE avec des manifestations tous les jours, mais la violence était moindre. À présent, on est vraiment pris à partie. La plupart des policiers ont voulu faire ce métier pour protéger les gens, pourtant j'ai l'impression que les gens nous en veulent aujourd'hui.

Beaucoup de manifestants ont le sentiment d'être provoqués par la police.
Je pense qu'il s'agit d'un manque de communication des deux côtés. Les choses se jouent peut-être plus haut, au niveau politique… Nous, nous sommes là pour protéger les gens et non pour leur faire du mal.

Il faut savoir que la police française est sans doute la plus surveillée au monde. –Sylvain Durante

Il y a ce sentiment que les bavures policières restent impunies. Beaucoup d'images ont été filmées pendant les manifestations, montrant des policiers prenant à partie des personnes qui a priori ne représentaient aucun danger.
Oui, on a tous vu ces images d'un lycéen pris à partie par un policier. Il faut savoir que la police française est sans doute la plus surveillée au monde. De nombreux organismes enquêtent sur ce qui se passe. À chaque bavure, une enquête est ouverte. Si les faits sont avérés et que le collègue n'a pas fait un bon usage de la force, une décision de justice vient le sanctionner. Le problème, c'est que ces images tournent en boucle à la télévision et qu'à côté, on parle moins des policiers qui se font frapper par des manifestants. En plus, à Paris le Flash-Ball n'est pas utilisé.

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Pourtant des témoins présents aux manifestations affirment avoir vu ou reçu des tirs de Flash-Ball.
En tout cas, dans mon service, personne n'est doté de cette arme. Je le reconnais, elle n'est sans doute pas la plus adaptée pour intervenir lors d'une manifestation. Elle blesse énormément. Tout ça pour vous expliquer qu'on préfère se blesser nous-mêmes plutôt que des manifestants.

Après, il faut voir ce que certains manifestants nous réservent. Peu avant la COP21, les services de renseignement nous avaient informés de la présence de groupuscules très bien organisés et très difficiles à identifier. On a reçu des formations pour s'en protéger et nous les avons effectivement croisés. Je n'avais jamais vu ça. Ce sont des types ultra-violents.

Notre mission est simplement d'encadrer des manifestations et on se retrouve face à des personnes qui veulent tout péter, surtout du flic. Du coup, cette violence effraie certains policiers, principalement ceux qui ont des familles. Beaucoup de mes collègues quittent le service pour aller ailleurs, vers l'administration par exemple.

On a observé des casseurs avec des militants de la CGT parmi eux. Tout le monde le savait et rien n'a été fait par les organisateurs ou les services de l'État. –Denis Jacob

Denis, en évoquant ces tensions récentes, j'imagine que vous n'avez pas bien accueilli l'affiche de la CGT qui mettait en cause les violences policières.
Denis Jacob : On l'a très mal vécue, d'autant qu'une branche de la CGT existe au sein des services de police. Quand, dans le même temps, on se plaint de la violence des manifestations, on ne peut pas mieux s'y prendre pour jeter de l'huile sur le feu ! C'est irresponsable de la part des organisations syndicales d'utiliser le problème des violences policières pour faire le buzz, envenimer encore plus la situation et faire plier le gouvernement. Là, je suis désolé, il ne s'agit plus d'un rapport de force syndicat/gouvernement. Au bout d'un moment, ça fait beaucoup à encaisser pour les policiers.

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Dans le même temps, certains considèrent que des directives ont été données au niveau de l'État pour laisser les manifestations s'envenimer, et ce afin de décrédibiliser le mouvement contre la loi travail.
Une manifestation s'organise entre l'État, les collectivités concernées et les organisateurs. Dire que, politiquement, il y a eu des manipulations pour dévoyer le but de la manif, je ne le crois pas. Quand on organise le tracé, on essaye de sécuriser au mieux pour que les gens puissent revendiquer leurs idées. En revanche, rien n'a été fait en amont des défilés pour exfiltrer les casseurs, alors qu'on avait clairement les moyens de les reconnaître. Je le sais, j'en ai vus sur Periscope. On a observé des casseurs avec des militants de la CGT parmi eux. Tout le monde le savait et rien n'a été fait par les organisateurs ou les services de l'État. C'est à ces gens-là qu'il faut désormais poser la question.

Sylvain, pour finir, on entend beaucoup parler du manque d'effectif dans les services de police. C'est un vrai problème au quotidien ?
Sylvain Durante : Dans tous les services, il y a un problème d'effectif. Rien que dans mon service, on devrait être deux fois plus nombreux pour faire notre travail correctement et assurer la sécurité sur tous les rassemblements parisiens.

Aujourd'hui on ne peut pas prendre de repos, car le roulement n'est plus assuré. C'est très compliqué. Et à Paris, contrairement au reste de la France, c'est le luxe ! Il y a des villes qui perdent des policiers chaque année. Entre le nombre de départs à la retraite et celui d'arrivants, il y a un déficit.

En tant que syndicaliste, je sais qu'à Toulouse, il manque 150 policiers par exemple. Certains rétorqueront que les moyens informatiques permettent de prendre le relais. Mais regardez à Nice : les caméras n'ont rien pu faire ! Il faut bien intervenir à un moment ou à un autre.

Je vois. Merci Messieurs.

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