Heureux comme un skinhead

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Culture

Heureux comme un skinhead

Gavin Watson revient sur ses années 1980, entre clopes précoces, oi! music et bretelles apparentes.

Lorsque je retrouve Gavin Watson dans un biergarten de la banlieue de Londres, il est en train de fumer une clope roulée. Il a troqué son vieil uniforme bottes-bretelles pour un trench noir et un béret. Je constate rapidement qu'il est plutôt sympa et qu'il passe ses journées à jouer à Dark Souls. « Je n'aurais jamais été capable de parler devant des gens si je n'avais pas été skinhead », me confie-t-il.

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Vous connaissez peut-être Gavin pour son livre Skins & Punks qui, comme son nom l'indique, regorge de photos de punks et de skins des années 1970-1980. Gavin s'est également intéressé au milieu de la mode et de la musique et a publié deux autres livres de photos. Cependant, il n'en a gardé aucune copie, insistant sur l'importance de ne conserver aucun droit sur ses œuvres.

Aujourd'hui, Gavin publie son quatrième livre. We Were Here 79-89 est un recueil de photos prises sur le vif, photos tirées de sa jeunesse au sein du mouvement skinhead. C'est pour parler de ce bouquin que je le retrouve autour d'une bière sous le ciel nuageux de la capitale britannique.

VICE : Salut Gavin. Tout d'abord, peux-tu m'expliquer pourquoi tu as fini par donner tous les exemplaires de tes précédents livres ?
Gavin Watson : Ils sont mieux dans une autre maison que la mienne, non ? Le travail d'un artiste n'est pleinement achevé que lorsqu'il est visible par une tierce personne – voilà pourquoi j'ai décidé de tout donner. C'est au spectateur de se faire sa propre idée. J'ai fait ma part du boulot, j'ai pris les photos, les gens les apprécient et elles ne sont plus là. Je n'aime pas être catalogué, c'est pour ça que je ne décris jamais mes photos – ce qui m'a valu pas mal de critiques.

Les gens se demandent souvent pourquoi il n'y a aucune explication. Les gars, vous savez très bien d'où viennent les skinheads. Regardez les photos et réfléchissez. Créez votre propre récit. Où est passé ce gamin ? Qu'a-t-il fait une fois la photo prise ? Où est-il maintenant ? C'est à vous de voir. C'est ça pour moi le sens de la photographie. Ça ne me gêne pas de donner quelques indications mais jamais vous ne m'entendrez dire : « Voici Neville, fils d'un prêtre irlandais, les skinheads viennent de blah blah blah. » Non, ça je refuse. Je ne l'ai jamais fait et ne le ferai jamais. Je laisse ce travail aux autres.

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À cette époque, tu photographiais seulement tes potes, non ?
Ouais, jusqu'à l'âge de 28 ans je ne photographiais que mes potes – j'avais une soixantaine de photos qui valaient le coup. J'habitais à Londres et je cherchais à faire un truc de ma vie, être acteur ou photographe. Je voulais trouver ma voie. Ma période skinhead appartenait au passé mais je conservais précieusement des reliques dans une boîte jusqu'en 1994 – date à laquelle la popularité du mouvement a explosé. Avant, il s'agissait simplement d'une « culture jeune ». Je me faisais cinquante livres par-ci par-là pour quelques photos qui finissaient au Zimbabwe ou dans des magazines obscurs d'extrême droite. Je détestais ça, ce n'était pas du tout ma vision des choses. J'ai donc accumulé près de 100 photos dans ma boîte, photos qui ne valaient pas grand-chose jusqu'à 1994.

Tu évoques la dimension politique des skinheads, qui a toujours posé problème au sein du mouvement.
Le mouvement skinhead était un truc universel. Sa branche extrémiste ne représentait qu'une toute petite partie de la sous-culture – à l'image des rude boys en Jamaïque. Après, il fallait tenir compte de leur présence. Ils ont eux aussi participé à l'élaboration du mouvement. Vous ne pouvez ignorer les racines. Nous devons nous accommoder de ces tarés d'extrême droite.

C'était aussi ça, le bonheur d'être un skinhead : tout le monde se trompait sur votre compte. Les gens essayaient de comprendre un mouvement qui, dès son origine, n'était pas monolithique. Des types ont tout tenté pour désunir un truc qui réunissait les Blancs et les Noirs – encore plus dans les années 1980 avec The Specials et Madness – en poussant des nazis à foutre le bordel.

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C'est rien que de la politique. Des enfants chantent en faveur de la libération de Nelson Mandela et, soudainement, il y a 30 enculés de nazis qui débarquent pour démolir les petits gars de gauche présents aux événements – c'est un peu bizarre, vous ne trouvez pas ?

Tout à coup, on a associé les skinheads aux nazis. Ils ont été manipulés. Les médias racontaient de la merde et ça commençait à me faire vraiment chier. Puis j'ai eu 23 ans et j'ai commencé à aller en rave. C'est là que j'ai compris que je n'avais rien à prouver à personne.

Comment es-tu passé des skinheads aux raveurs ?
C'était lié à mon âge. J'avais 23 ans mais j'étais pas comme les connards de 23 ans d'aujourd'hui qui se croient encore adolescents et ne pensent qu'à aller à la fac. En plus, la définition des raveurs n'était pas aussi précise que celle des skinheads, c'est pour ça que le mouvement n'a pas été aussi facilement diabolisé. L'idée était vraiment puissante, d'autant plus qu'il n'y avait pas d'idoles, pas de Twiggy ni de Rolling Stones.

Les raves ont tout changé mais les médias n'y ont pas prêté attention comme dans les années 1960 parce qu'ils n'arrivaient pas à coller des étiquettes. Elles ont fait éclater les carcans et évoluer les mentalités. Tout allait bien jusqu'au 11-Septembre. À partir de ce moment-là, c'en était fini de l'innocence.

Quelle était l'importance des sous-cultures pour toi ?
Elles étaient là durant les années où je suis devenu un homme, parce que je n'avais de modèle. Lorsque votre père est au fond du trou, vous ne pouvez pas le regarder et lui dire : « Je veux être comme toi. »

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Quand vous êtes jeune, les mecs les plus créatifs sont souvent les plus perchés – les skins, les punks et les hippies de demain. On ne parle pas de ces types rigides qui passent leurs examens avec brio et ont l'impression de « faire ce qu'il faut ». Non, les gamins des sous-cultures sont ceux qui, au plus profond d'eux-mêmes, pensent qu'il faut tout chambouler.

Les gens adorent diaboliser les autres pour être en situation de contrôle. J'étais diabolisé – les médias ont parlé des skins mais mes photos montrent qu'ils avaient tort. Je n'ai pas été payé et c'est pour ça qu'elles sont authentiques. À cette époque, on était heureux, on se marrait. On était des gamins.

Merci, Gavin.

@bijubelinky