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Catastrophes Made in Bangladesh

On ignore exactement combien de collègues de Swapna ont trouvé la mort dans l’incendie de l’usine de textile de Tazreen le 24 novembre 2012. Beaucoup trop, en tout cas.

Photos : Syed Zain Al-Mahmood

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n ignore exactement combien de collègues de Swapna ont trouvé la mort dans l’incendie de l’usine de textile de Tazreen le 24 novembre 2012. Elle confectionnait un short – qu’ils appellent « demi-pantalon » au Bangladesh – quand des piles de laine et de fibre acrylique posées sur le sol ont pris feu. Elle venait juste d’apprendre à son mari Mominul, superviseur dans la même usine, qu’elle attendait un enfant. Lorsque l’alarme incendie s’est déclenchée, les responsables ont ordonné aux centaines d’employés de rester assis, criant que tout allait bien. Quelques minutes ont passé, puis, lorsque l’alarme s’est déclenchée à nouveau, il était déjà trop tard. La fumée s’était emparée des trois escaliers et les lumières s’étaient éteintes. Il n’y avait pas d’issue de secours. Swapna s’est dit qu’il valait mieux sauter plutôt que brûler vive, mais toutes les fenêtres étaient grillagées.

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Mominul avait renoncé à retrouver sa femme après l’extinction des lumières, préférant courir vers un coin de son étage où des hommes avaient réussi à retirer la grille d’une des fenêtres. Par chance, des ouvriers avaient laissé un semblant d’échafaudage en bambou contre le mur, permettant à plusieurs employés de descendre sur le toit d’un hangar juste en dessous. Debout sur le toit, il a contemplé les flammes qui s’emparaient des huit étages de la fabrique. Plusieurs employés avaient arraché les ventilateurs d’évacuation pour sauter de plus de 30 mètres de haut et s’écraser en bas. Soudain, une personne au visage noir et terrorisé s’est précipitée le long de l’échafaudage, a rejoint le toit et s’est accrochée à lui en criant sauvagement. Mominul n’a reconnu sa femme qu’au bout de quelques secondes.

Les employés de la fabrique de Tazreen, dans la zone industrielle d’Ashilia près de Dacca au Bangladesh, confectionnaient des tee-shirts, des jeans, et des shorts pour, entre autres, la ligne Faded Glory de Walmart, Sears, et M.J. Soffe, un fournisseur de vêtements sous contrat avec les US Marines. La fabrique pouvait produire des quantités énormes de vêtements – près d’un million de tee-shirts par mois. Ce commerce de fabrication et d’exportation de prêt-à-porter – que les experts et les commerçants occidentaux appellent « PAP » et que tout le monde au Bangladesh appelle simplement « textile » (puisque, « avant le textile, ces gens étaient tous fermiers ») – est né dans les années 1980, sous la forme d’une modeste industrie dirigée par un groupe de petits entrepreneurs ambitieux profitant, parmi d’autres avantages locaux, de la main d’œuvre très peu coûteuse de salariés mineurs.

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Mais les conditions se sont lentement améliorées avec le temps. Ces changements sont survenus suite aux campagnes incessantes d’activistes dénonçant l’« exploitation » d’entreprises occidentales comme Walmart ou Nike. Les entreprises qui dépendaient de ce genre d’infrastructure ont dû réagir et établir des règles supprimant le travail de mineurs ainsi que d’autres formes d’abus proches de l’esclavagisme dans les fabriques. En 1992, Walmart a publié une « charte des fournisseurs » en douze points qui détaillait les principes généraux exigés vis-à-vis des usines qui les fournissaient : salaire (« les fournisseurs doivent indemniser équitablement »), travail forcé (« ne doit pas être toléré »), liberté syndicale (les fournisseurs doivent respecter ce droit « tant que ces groupes sont autorisés dans leur pays »). Le document traite aussi de sécurité : « Walmart ne s’associera pas avec un fabricant dont l’environnement de travail serait malsain ou dangereux. »

Des règles comme cette dernière clause de la charte de Walmart expliquent sûrement pourquoi l’incendie de Tazreen a fait le tour du monde à la fin de l’année 2012. Celui-ci a été comparé par tout le monde, du comité de rédaction du New York Times à la secrétaire américaine au Travail, Hilda Solis, au terrible incendie de l’usine Triangle Shirtwaist en 1911 à New York : avec la « charte des fournisseurs », de telles tragédies ne devraient plus avoir lieu aujourd’hui. Le seul problème de cette « charte », cependant – détailomis par plusieurs médias grand public et d’autres observateurs –c’est qu’elle n’est rien d’autre qu’un conte de fées qu’on raconte aux consommateurs occidentaux pour qu’ils puissent dormir, apaisés, dans leur pyjama qui bouloche au premier lavage.

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L’incendie de Tazreen est loin d’être un cas exceptionnel. Depuis 2006, 500 employés bangladais ont été tués lors d’incendies d’usines de vêtements. Les employés qui essayent de former des unions syndicales se font frapper voire arrêter par les forces de l’ordre, sous les ordres du gouvernement. Ironiquement, l’Association des fabricants et exportateurs de textile du Bangladesh (BGMEA) et le gouvernement ont formé une nouvelle autorité qu’ils ont appelée la « police industrielle ». Celle-ci s’est vue accusée de harcèlement et d’intimidation par des groupes de protection des droits de l’homme. Au moins un activiste s’est fait enlever puis assassiner, et les manifestations sont fréquentes. Au cours du mois qui a suivi le calvaire de Swapna et Mominul à Tazreen, au moins 17 autres incendies ont détruit des usines de textile sur différentes zones industrielles.

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n janvier, j’ai pris un avion pour Dacca. Je voulais voir ce qui allait se passer suite à l’incendie de Tazreen et constater de moi-même – comme l’espéraient les observateurs qui l’ont comparé à l’incendie de Triangle Shitwaist – si cela marquerait un tournant décisif dans l’amélioration des conditions de sécurité de l’industrie textile comme cela avait été le cas aux États-Unis. Rien qu’à l’aéroport de Dacca, on pouvait déjà voir l’importance du textile dans le pays : « Dans le futur, indiquait un panneau à l’extérieur du terminal, les habits fabriqués au Bangladesh seront la source des tendances mondiales de la mode. »

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Le Bangladesh est le deuxième plus grand exportateur de vêtements au monde. Près de 5 500 usines produisent des habits pour des entreprises comme H&M et Walmart, les deux plus grands acheteurs d’habits du pays. (Vous portez sûrement une fringue faite au Bangladesh en lisant ces lignes. Ou alors votre mère en porte une.) Selon certains observateurs, d’ici dix ans, le pays devrait dépasser la Chine et devenir le plus grand producteur de vêtements bon marché au monde. Des millions d’employés ont quitté les campagnes surpeuplées – le Bangladesh fait tenir 150 millions de personnes sur un territoire qui représente la moitié de la botte italienne – pour trouver du travail dans les usines autour de la capitale. Les coûts de la main-d’œuvre au Bangladesh sont plus bas que dans tous les pays producteurs de vêtements au monde. Le salaire minimum est de 37 dollars par mois, soit 27 euros. Par mois.

Je voulais me rendre à la fabrique de Tazreen immédiatement après mon arrivée. Mon guide, Syed Zain Al-Mahmood, est donc venu me chercher directement à l’hôtel. Nous sommes sortis de la ville et avons roulé pendant 15 km avant d’emprunter un chemin de terre qui menait directement aux portes de l’usine. Un incident venait tout juste de se produire – un motard avait percuté un véhicule de police – et les personnes concernées réglaient le différend dans la cour de l’usine. J’ai demandé à Zain qui étaient ces hommes à forte carrure vêtus de costumes. « Eux, a-t-il répondu, c’est la police industrielle. »

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De l’extérieur, le bâtiment avait l’air intact et j’ai mis un petit moment avant de réaliser que nous étions sur les lieux de la catastrophe. La zone n’avait pas l’air aussi délabrée que ça. Des enfants et des chèvres couraient entre les bananiers et les quelques potagers qui entouraient l’usine. Les baraques en parpaing, louées par des propriétaires privés (et non les propriétaires de l’usine) aux employés, ne me semblaient pas en mauvais état. La plupart se divisaient en plusieurs chambres de trois mètres de large pour accueillir des familles entières, et étaient fermées par une porte en acier. Cela dit, cette accumulation de détails les rendait comparables à des cellules de prisons tropicales.

Zain, qui travaille aussi en freelance pour le Wall Street Journal, m’avait promis de me présenter certains des survivants qu’il avait interviewés juste après l’incendie. Mais lorsque nous sommes descendus de voiture pour demander aux quelques jeunes garçons qui s’étaient mis à nous suivre où nous pouvions trouver ces survivants, ils nous ont dit que la plupart des gens que Zain avait interviewés étaient retournés dans leur village natal. Ou bien : « Ils ont trouvé un travail dans une autre usine. »

Zain leur a posé une autre question en bengali – que je suis bien content de ne pas avoir eu à poser moi-même – en leur tenant à peu près ce langage: « Petit, emmène-moi voir quelqu’un qui a survécu à l’incendie qui a tué une centaine de tes voisins, te marquant certainement de manière irréversible. » Ainsi, notre délégation de jeunes garçons, de chiens et de journalistes s’est rendue dans une courette entourée de trois baraques. Une femme d’un certain âge portant un kameez jaune a sorti deux chaises en plastique pour que Zain et moi-même puissions nous asseoir. Les survivants que nous étions venus rencontrer nous ont rejoints. Les enfants sont restés là, à écouter. Nous avons rencontré deux jeunes femmes qui se trouvaient au troisième étage lorsque l’incendie s’est déclaré. L’une d’elles, Sakhina, était très bavarde et vive. Elle nous a confié que depuis l’incendie, elle avait trouvé un travail dans une usine appelée Knit-Asia ; elle ne s’y était pas rendue ce jour-là. L’autre, Mahmooda, était encore trop effrayée pour retourner travailler en usine.

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On leur a demandé de nous raconter ce qui s’était passé. Puis, nous avons entamé une balade parmi les baraques, toujours suivis des jeunes garçons et parfois même de gros groupes de gens. Chaque résident nous fournissait des détails qui dévoilaient peu à peu la vérité sur ce qu’il s’était passé ce jour-là au troisième étage, où 69 corps ont été retrouvés.

Plus de 1 100 personnes travaillaient dans l’usine le jour de l’incendie. Sakhina et Mahmooda avaient toutes les deux quitté leur village rural sept ans auparavant pour venir bosser à Tazreen. « Il n’y a rien pour nous dans les villages », a dit Sakihna lorsque je lui ai demandé si son village natal lui manquait. Ça faisait huit mois qu’elle travaillait en tant que manager des baraques, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle gagnerait plus d’argent en travaillant à l’usine.

Le soir de l’incendie, Sakhina s’est arrêtée de travailler pendant un moment et a mis ses coudes sur la table. L’un des superviseurs est venu la voir. Elle m’a raconté ce qui s’est passé après ça : « Il m’a dit : “Sakhina, es-tu en train de prier ? Ou en train de dormir ?” Puis l’alarme s’est déclenchée. Il y avait eu un exercice d’évacuation d’incendie quelques jours auparavant et c’est ce qui m’a sauvé la vie. » Je pensais qu’elle se moquait de moi. « Je n’avais jamais travaillé dans le textile, a-t-elle continué. Je n’aurais pas su ce que signifiait cette alarme. Le superviseur a levé ses bras en l’air en nous ordonnant de rester assis. Ils nous ont demandé de ne pas partir. Mais je lui ai dit : « S’il n’y a pas d’incendie, alors je reviendrai plus tard. » J’ai dévalé les escaliers et je suis sortie. Lorsque je suis revenue, il y avait de la fumée partout et les gens se jetaient par les fenêtres. »

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Pendant ce temps-là, Mahmooda, elle, n’a pas bougé. Lorsque le feu a coupé les lumières, elle a allumé l’écran de son portable afin de se frayer un chemin jusqu’à la fenêtre qui menait à l’échafaudage en bambou. C’est ce même chemin que la plupart des employés ont utilisé pour s’enfuir.

Plus tard dans la journée, j’ai rencontré Swapna et Mominul qui se trouvaient eux aussi au troisième étage au moment de l’incendie. « Je me suis dit qu’il valait mieux sauter que rôtir, m’a dit Swapna. Je pense que la plupart des gens ont suffoqué. »

Une fois le feu éteint, les pompiers ont sorti les corps et les ont transportés sur des sortes de pousse-pousse à plateau, généralement utilisés pour déplacer des matériaux de construction. Plus tard, les pompiers ont communiqué le nombre de décès : 100 tout rond, selon eux. Lorsque j’ai interrogé Kalpona Akter, militante syndicale, au sujet de ce nombre, elle a ri. « N’importe quoi ! Comme par hasard, ils sont tombés pile sur 100. Qui peut croire une chose pareille ?

L

e jour suivant, j’ai assisté à une conférence de presse chez l’Union des reporters, au centre de Dacca. 53 victimes non identifiées avaient été enterrées à la suite de l’incendie, mais un recensement final devait encore être fait (sans tenir compte de l’estimation « officielle » des pompiers). Un groupe d’étudiants en anthropologie avait fait venir en bus les proches des travailleurs portés disparus.La salle de conférence était pleine de reporters, mais je ne savais pas exactement de quoi il s’agissait comme Zain n’avait pas pu m’accompagner ce jour-là. J’ai compris que les étudiants, en inspectant la zone autour de l’usine, avaient rencontré au moins 68 familles qui n’avaient pas retrouvé les corps de leurs proches ; cela portait vraisemblablement le nombre de victimes à 131, au moins.

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Le nombre exact de corps retrouvés après l’incendie reste un mystère, bien que le New York Times, comme la plupart des médias, ait finalement choisi de fixer ce nombre à 112. J’ai parlé à une femme du nom de Rukiya Begum, dont la fille de 19 ans travaillait au 4e étage lorsque le bâtiment a pris feu. Comme son corps n’a jamais été retrouvé, Rukiya n’était pas en droit de toucher les 7 500 dollars (5 500 euros) que le gouvernement, le BGMEA et quelques entreprises étrangères ont offert en dédommagement aux familles des victimes. En fait, bon nombre de familles de victimes non identifiées attendaient toujours une indemnité, ou au moins une reconnaissance officielle que l’un de leurs proches avait péri dans ce brasier. « J’ai essayé d’obtenir un certificat de décès, m’a dit Rukiya, mais ils me demandent où est le corps. J’ai peur que le corps ait été réduit en cendres et qu’on ne le retrouve jamais. »

Je me suis éloigné pour fumer une cigarette. Un homme vêtu d’un tee-shirt violet et d’une veste en acrylique s’est approché de moi. Nous nous sommes serré la main, et dans un anglais courant, il m’a demandé mon nom. Il m’inquiétait un peu donc je lui ai dit que je m’appelais Jim. Il m’a demandé ce que je faisais au Bangladesh. Il n’y a presque jamais de touristes dans la région, je ne pouvais pas dire que j’étais en vacances sans éveiller ses soupçons. Lorsqu’un étranger débarque dans un hôtel à Dacca, on lui demande systématiquement le nom de son entreprise. Ils n’imaginent pas que quelqu’un puisse venir dans le pays pour des raisons autres que professionnelles et, pour être honnête, je ne le pourrais pas non plus. Doutant de ma stratégie, je lui ai dit que j’étais là pour rendre visite.

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« Rendre visite à qui ?

– À des amis.

– Des amis d’où ? De quel pays venez-vous ?

– Du Canada.

– Que faites-vous au Canada ?

– Je suis un… artiste.

– Quel est le nom de votre hôtel ? »

Soudain, un homme avec un tee-shirt blanc et une veste s’est approché de nous et a lancé quelques mots en bengali à l’homme au tee-shirt violet. Il s’est ensuite tourné vers moi et m’a demandé si j’aimais le thé. J’ai dit que j’adorais le thé et il m’a intimé de le suivre. Nous nous sommes éloignés.

Il m’a emmené dans un petit jardin, où des journalistes étaient assis autour de quelques tables en plastique et sirotaient du thé. Il m’a dit qu’il travaillait à la télévision. « Cet homme était de la “branche spéciale” », m’a-t-il appris au sujet de mon interrogateur au tee-shirt violet. « Ils surveillent les diplomates, les journalistes et les étrangers. Ils les protègent, aussi. Vous n’avez aucun souci à vous faire. » Puis, il m’a posé la même question que celle que l’agent présumé de la branche spéciale m’avait posé : « Quel est votre hôtel ? » Il voulait aussi savoir si j’avais un visa de journaliste.

La branche spéciale et la police industrielle ne représentent qu’une petite partie des forces de police bangladaises. Il y a aussi le thana, la police des villages ; la branche des détectives ; une brigade de la branche spéciale qui supervise les douanes et les aéroports ; un bataillon d’action rapide paramilitaire ; et le service national de renseignement (NSI) qui surveille, entre autres, les militants syndicaux.

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Le NSI, dans une certaine mesure, est au service du gouvernement élu. Actuellement, c’est le parti de la Ligue Awami qui est au pouvoir, dirigé par le Premier ministre Sheikh Hasina. Lorsque le Pakistan a proclamé l’indépendance du Bangladesh en 1971, une forte concurrence est née entre les groupes proches d’Hasina et une femme appelée Khaleda Zia, actuelle dirigeante du Parti nationaliste du Bangladesh, le principal parti d’opposition. Les deux partis n’ont pas de grandes différences idéologiques. Les personnes au pouvoir et leurs proches s’enrichissent par le biais de la corruption ; l’opposition attend l’élection suivante en espérant que les citoyens, déçus par le gouvernement, votent cette fois pour eux. Jamais un gouvernement bangladais n’a été réélu.

À l’aide du gouvernement, les fabricants de textile sont devenus les premiers membres d’une classe entrepreneuriale supérieure. Selon la BGMEA, l’une des plus grandes sources de pouvoir politique du pays, l’industrie textile emploie 3,5 millions de personnes, et le nombre d’usines de textile a presque doublé depuis 1999. Le textile représente 80 % des recettes d’exportation du pays ; on pourrait presque dire que c’est la seule industrie de la nation.

Afin de ne pas perdre sa plus grande source de revenus, le gouvernement continue d’ignorer les requêtes visant à améliorer les conditions de sécurité et de salaires dans les usines. Il est dans l’intérêt des fabricants de textile de conserver des coûts peu élevés, car les prix offerts pas les acheteurs occidentaux sont si bas qu’il leur serait presque impossible autrement de maintenir une marge de profit décente. Et le gouvernement tient à préserver les exportations. « Ils ont pour but d’empêcher les militants syndicaux de faire leur travail, c’est à dire d’augmenter les salaires et de durcir les normes de sécurité. Cela pourrait faire perdre au Bangladesh sa réputation de fabricant de vêtements à bas prix », m’a confié Thérèse Haas du Worker Rights Consortium, un groupe militant pour les droits syndicaux qui surveille particulièrement les conditions de travail au Bangladesh. « C’est leur stratégie de développement. »

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P

our prolonger notre enquête, Zain et moi avons rendu visite à la veuve d’un militant syndical du nom de Aminul Islam. Son cas est bien connu des activistes occidentaux ainsi que des autorités gouvernementales, et je voulais connaître l’histoire de cet homme qui avait essayé de défier les intérêts industriels de son pays. Nous sommes partis dans le petit village d’Hijolhati où vivait Aminul, à 80 km au nord de la capitale. À cause de la densité de la circulation, le trajet nous a pris trois heures et demie. Une fois sur place, nous nous sommes rendus au bazar du village pour demander où se trouvait la maison d’Aminul. L’homme que nous avons interrogé était l’imam de la mosquée que fréquentait Aminul. Nous lui avons expliqué les raisons de notre visite. Il a estimé que c’était une bonne chose que nous soyions là. « C’était un homme droit », a-t-il dit avant de monter dans notre voiture pour nous indiquer le chemin. Nous avons roulé une bonne demi-heure sur un chemin de terre qui n’épargnait pas les suspensions de notre Corolla de location. L’imam nous a dit qu’Aminul, comme bon nombre d’ouvriers du textile de la région, se rendait au travail tous les jours en empruntant la route sur laquelle nous étions, sauf qu’il marchait jusqu’au bazar où il prenait ensuite un bus. Un trajet quotidien de plusieurs heures.

La maison d’Aminul était une petite baraque ordinaire semblable à celle que nous avions vue à Tazreen. Sa veuve s’appelle Hosni Ara Begum Fahima. Elle n’avait pas l’air de vouloir nous parler parce que j’étais étranger et que Zain faisait partie de la classe bourgeoise. L’imam l’a convaincue du bien-fondé de notre démarche. Nous nous sommes assis sur son lit, celui qu’elle partageait avec son mari. Avec une certaine froideur dans la voix, elle nous a fait part de l’histoire de son mari.

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En 1998, Aminul a quitté Sherpur, à 160 km au nord, pour emmener Hosni et leur fille à Hijolhati et trouver un travail dans l’industrie textile. Plus tard, il a été élu président d’une association d’ouvriers dans l’usine où il avait trouvé un emploi ; en tant que président de l’association, il se confrontait aux dirigeants de l’usine au sujet des salaires et de la sécurité. Lorsqu’il s’est fait virer pour son engagement syndical, il a poursuivi le propriétaire de l’usine en justice et gagné le procès. Mais au lieu de le réintégrer, le propriétaire l’a expulsé de l’usine tout en continuant de lui verser son salaire mensuel. Aminul a finalement réussi à attirer l’attention du Solidarity Center de Dacca, un groupe luttant pour les droits syndicaux financé par l’AFL-CIO et qui l’a mis en contact avec des militants locaux. Il s’est fait engager dans une ONG bangladaise.

« Après ça, les policiers du village sont venus nous voir, a dit sa veuve. Il ont demandé aux gens quel genre de personne c’était et tout le monde disait que c’était un homme bon. Puis, ils sont venus ici et ont menacé de l’embarquer. »

En mars 2010, la police est venue chercher Aminul. « Il était à Dacca pour une réunion, a dit Hosni. J’ai reçu le coup de fil d’un homme qui disait être un ouvrier du textile. Je n’ai pas réalisé que ça pouvait être la police donc je lui ai dit qu’Aminul était en réunion. » Les officiers sont allés le chercher et l’ont emmené à Mymensingh, une ville à 120 km au nord. « Ils l’ont tabassé. Mais après ça, il a dit qu’il avait faim et qu’il voulait manger des fruits, a-t-elle continué. Les agents l’ont emmené au stand de fruits. Ils se tenaient sur le côté et fumaient une cigarette. Il était blessé mais il s’est quand même échappé et a sauté dans un train. »

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Plus tard, j’ai parlé avec un homme qui avait pu voir l’intérieur d’une salle de torture de la NSI : « Il y avait des crochets et des chaînes pour pendre les gens – des fouets et d’autres trucs du style. Tout ce qu’on peut imaginer de pire. Puis, sur le côté, j’ai vu un réchaud avec des œufs dessus. J’ai demandé pourquoi ils avaient des œufs dans une salle de torture et ils m’ont répondu : “Oh, ce ne sont pas des vrais œufs, c’est du caoutchouc. On les chauffe puis on les fourre dans l’anus des gens.” »

Dans le train, Aminul a appelé sa femme pour lui dire qu’il était en sécurité. « Mais je pense que nous étions sous écoute, a-t-elle confié, parce que lorsque le train est arrivé à la gare, la police l’attendait. Aminul a aperçu les forces de l’ordre et s’est faufilé dans un wagon à l’arrière. Il a emprunté le téléphone d’un marchand pour appeler l’un de ses amis activistes. Ils ont pu s’enfuir en moto un peu plus tard. « Il a ensuite passé une semaine à l’hôpital. Quand il se faisait torturer, il leur demandait : “Pourquoi me faites-vous ça ? C’est l’un des propriétaires de l’usine ?” Ils ne répondaient rien. Ils l’ont juste tabassé.

Après ça – et une autre arrestation, par la police industrielle cette fois –, Aminul a dit à sa femme qu’il envisageait d’abandonner l’activisme pour devenir commerçant. Mais il n’a pas eu cette chance. Le 4 avril 2012, un ami de la famille, Mustafiz, a rendu visite à Aminul dans son bureau à Ashulia. Mustafiz a dit qu’il voulait se marier et qu’il avait besoin d’un témoin. Aminul faisait souvent ça pour les ouvriers de l’usine, mais la demande de Mustafiz le perturbait. Il ne savait pas quoi dire. Mustafiz a insisté et Aminul a fini par céder. Plus tard, des photos de Mustafiz en compagnie d’agents de la NSI ont fait surface. La nuit où Aminul a disparu, la maison de Mustafiz était vide, la porte verrouillée et son téléphone éteint. Quelques jours plus tard, un avis est paru dans un journal de Tangail, à 160 km à l’est de Dacca, sur lequel figurait la photo d’un cadavre non identifié trouvé dans la région. La police locale l’avait enterré dans une fosse commune. Ce corps s’est avéré celui d’Aminul.

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Par le biais de Zain, j’ai demandé à Hosni de poser pour quelques photos. Elle a accepté passivement et en silence. Puis, je lui ai demandé de poser pour quelques photos à l’extérieur. Cette fois encore, elle a accepté, résignée. Ensuite, elle nous a montré des photos plastifiées du coprs sans vie d’Aminul ; on pouvait voir que son genou était percé d’un trou, sûrement suite aux tortures qu’il avait subies.

Les propriétaires de l’usine de textile étaient-ils impliqués dans ce meurtre ? Le gouvernement ? Plusieurs personnes m’ont donné le nom et le numéro d’un agent de la NSI prétendument impliqué dans l’enlèvement d’Aminul.

Les mêmes noms reviennent souvent au Bangladesh, mais c’était assez incroyable que l’agent en question s’appelle lui aussi Aminul Islam. On m’a dit qu’il avait récemment été transféré dans une région retirée du sud-ouest du pays. J’ai essayé de le joindre sept ou huit fois mais il a seulement répondu à mon premier appel. Zain a traduit : « Que voulez-vous d’Aminul Islam ? » a répondu l’homme au bout du fil avant de raccrocher.

E

En réaction à l’incendie de Tazreen et au harcèlement que ses fournisseurs imposaient aux ouvriers et aux activistes, Walmart a déclaré un truc du genre, ce n’est pas notre problème. Le comité éthique de cette multinationale américaine classe les usines – selon les critères du département de la sécurité intérieure – sur une échelle allant du vert au rouge, en passant par le jaune et l’orange. Ce classement, qui prend en compte le respect des mesures fondamentales de sécurité et la qualité de vie des ouvriers employés dans les usines de fournisseurs, est permis par des contrôles réalisés par des enquêteurs sous-traitants. Au moment de l’incendie, un indicateur orange signalait que l’usine en question devait être à nouveau auditée dans les six mois. Si, à la suite de ce deuxième contrôle, les conditions ne s’étaient pas améliorées, l’usine aurait écopé d’une nouvelle note « orange », ce qui leur aurait valu un contrôle supplémentaire dans les six mois suivants. Une troisième note orange aurait placé le fournisseur sur liste rouge, forçant Walmart à arrêter toute collaboration avec l’usine incriminée.

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Deux jours après l’incendie de Tazreen, des représentants de Walmart ont publié un communiqué. « Nos pensées vont aux familles et aux victimes de cette tragédie », ont-ils écrit. Ils ont ensuite fait référence aux énormes quantités de vêtements Walmart trouvés dans les décombres carbonisés : « L’usine de Tazreen n’avait pas le droit de produire de la marchandise pour Walmart. Un fournisseur a effectué des commandes auprès de cette usine sans autorisation, enfreignant directement notre règlement. Aujourd’hui, nous avons mis fin à notre relation avec ce fournisseur.

L’utilisation du singulier dans le communiqué de Walmart – « un fournisseur » – est spécieuse. Des documents photographiés par Zain et d’autres complices après l’incendie indiquaient que non pas un, mais au moins trois fournisseurs de Walmart avaient utilisé les services de l’usine de Tazreen dans les mois précédant l’incendie. Walmart a certes cessé toute relation commerciale avec un fournisseur lié à l’usine de Tazreen, une entreprise new-yorkaise du nom de Success Apparel. Mais jusqu’à récemment, ils n’avaient pas mentionné d’autre fournisseur. Walmart a refusé d’expliquer les raisons de sa rupture de contrat avec Success Apparel.

On sait que Tazreen a obtenu une note orange à la suite d’un contrôle, et qu’un autre était prévu. Il n’ont jamais été audités de manière plus poussée.Lorsque j’ai demandé à un représentant de Walmart, Kevin Gardner, s’ils avaient publié un quelconque document mentionnant que l’usine de Tazreen avait été placée sur liste rouge, il a refusé de répondre. Malgré plusieurs demandes insistantes, Walmart a refusé de dire quand cela se serait produit ou dans quelle mesure Tazreen aurait été placée sur liste rouge. Lorsque j’ai demandé comment l’usine aurait pu être placée sur liste rouge sans jamais avoir reçu de deuxième et de troisième audit, Walmart a de nouveau refusé de me répondre. Il faut dire que les contrôles ne prenaient pas en compte les précautions sécuritaires telles que les sorties de secours ou les cages d’escalier antifumée ; le système compte sur les autorités locales pour s’assurer du bon respect des règles de sécurité élémentaires. Difficile, donc, de savoir qui était disposé à empêcher un désastre comme celui de Tazreen. Les acheteurs européens et américains ont mis en place un système selon lequel les usines bangladaises sont traitées comme des sous-traitants à distance ; aux yeux de Walmart, ce n’est pas à eux de prendre l’initiative d’installer des sorties de secours.

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Apparemment, les acheteurs occidentaux attendent de leurs fournisseurs qu’ils endossent à eux seuls la charge financière que représente la mise en place de bonnes conditions de travail et de salaires corrects. Mais comme me l’a expliqué Scott Nova, directeur du Worker Rights Consortium, si les gouvernements concernés autorisent les ouvriers à se syndicaliser et si les fabricants font un effort pour améliorer les conditions de travail désastreuses, qui ont causé la mort de centaines d’ouvriers au cours des dernières années, les acheteurs seront obligés de payer – soit en participant directement aux frais que de telles installations exigent, soit en s’acquittant d’un prix supérieur auprès de leur fournisseur. « Mais les marques ne veulent rien faire parce que s’ils font concevoir leurs habits au Bangladesh, c’est justement pour diminuer les coûts », a-t-il ajouté.

Lors d’une réunion, en 2011, à la suite de deux incendies mortels dans des usines de zones industrielles bangladaises, un représentant de Walmart a confirmé ce sentiment. Des représentants du gouvernement, des groupes activistes et des fabricants s’étaient réunis dans les quartiers généraux de la BGMEA à Dacca. Ils ont engagé une discussion autour d’un projet de loi censé établir des normes minimales pour la prévention des incendies dans les usines locales. « Le représentant de Walmart s’est levé », m’a relaté Scott, présent à la réunion. « Premièrement, il a reconnu que les problèmes de sécurité devaient être abordés pour ensuite affirmer qu’en aucun cas, Walmart ne financerait de quelconques mesures. » En gros, c’était réduire à néant tous les espoirs d’amélioration des conditions de sécurité dans les usines bangladaise.

Si de telles mesures avaient été mises en place au lieu d’être évacuées du revers de la main, l’incendie de Tazreen aurait pu être évité. Il est difficile de faire assumer aux coupables leurs responsabilités, vu que tout le monde est coupable. Lorsque les inspecteurs du gouvernement ont contrôlé Tazreen quelques semaines avant l’incendie, ils auraient dû remarquer les failles de sécurité comme l’absence d’escaliers antifumée. Or, ce sur quoi a insisté le comité d’enquête du gouvernement dans ses conclusions sur l’incendie de Tazreen, c’est que l’incendie aurait été causé par un acte de sabotage industriel. Même si c’est vrai – et ça reste encore à prouver –, cela n’excuse pas le manque de précautions fondamentales qui auraient dû être mises en place il y a longtemps. Des entreprises comme Walmart et Sears refusent d’en endosser la responsabilité – sous prétexte qu’ils n’étaient même pas au courant que Tazreen faisait partie de leurs fabricants. Delowar Hossain, directeur général de Tuba Group, société mère de Tazreen, n’a toujours pas été poursuivi en justice pour « négligence impardonnable », comme le comité gouvernemental bangladais l’a recommandé. Les seules personnes inculpées sont trois cadres qui ont ordonné aux employés d’ignorer les alarmes et de continuer à travailler quand l’incendie s’est déclaré. De plus, il est difficile de déterminer qui exactement est responsable puisque les ordinateurs de l’usine ont été détruits et que les disques durs sont introuvables.

Le 26 janvier, un autre incendie s’est déclaré dans l’usine textile de Smart Export à Dacca. Sept ouvriers y ont perdu la vie. Aucun extincteur n’a été trouvé sur place, et selon la presse locale, l’une des portes de sortie est restée verrouillée. Les ouvriers ont donc dû sauter par les fenêtres, comme à Tazreen.

Sur le sol de l’usine de Smart Export, Zain a trouvé des habits produits pour la marque Lefties, qui appartient au conglomérat espagnol Inditex. Un auditeur qui travaillait pour Inditex a dit quelque chose à Zain qui montre à quel point il est simple de décliner toute responsabilité avec ce système de sous-traitance instauré par les Occidentaux : « Aucune marque qui se respecte ne devrait passer de commande dans un tel merdier. »

Pour leur part, Walmart a ajusté ses normes et interdit à ses fournisseurs de travailler avec des usines non réglementaires. Ce qui était déjà censé être le cas, non ? On peut donc avoir des doutes sur le changement que cela va provoquer.

Pour notre dernier jour ensemble, Zain et moi-même avons parlé avec Abdus Salam Murshedy, le propriétaire d’une usine qui travaille pour Walmart et qui est à la tête de l’Association des exportateurs du Bangladesh. Plus jeune, fils de professeur dans la région rurale et marécageuse de Subdarbans, Abdus était capitaine de l’équipe nationale de football. De son temps, il était l’athlète le plus populaire du pays, mais aujourd’hui, il travaille en tant que directeur général de Envoy Group. Parti du textile, ce conglomérat s’est ensuite lancé dans les hôtels puis dans l’emballage de viande, pour atteindre un chiffre d’affaires annuel de 220 millions de dollars (164 millions d’euros). C’est un homme très puissant au Bangladesh.

Abdus nous a reçus dans son bureau, où il nous a servi une tasse de thé. Il était petit mais en bonne forme et portait de belles lunettes qui lui donnaient un air très professionnel. Il nous a parlé de son premier travail en tant qu’ouvrier dans une usine de jute. « C’était très ordonné, a-t-il dit, tout était fait à la perfection. » Il insinuait par là qu’il était rare de voir ça au Bangladesh. « Et je me suis dit, je vais devenir un industriel ! » Il était tellement enchanté de raconter ses histoires qu’il n’a pas hésité à répondre franchement lorsque nous lui avons posé des questions au sujet de la police industrielle – « C’était moi ! C’est moi qui ai lancé ça ! » – et de la pression financière des acheteurs occidentaux. « Les acheteurs, ce sont nos dieux », a-t-il dit avant de se reprendre : « Ce sont nos seconds dieux… Nous ne pouvons pas faire tout ce qu’ils nous demandent en terme de prévention d’incendie s’ils veulent qu’on maintienne des prix aussi bas. » Il a même remis en question certaines mauvaises habitudes occidentales : « J’aimerais bien savoir pourquoi ils vendent “deux produits pour le prix d’un”. Ça nous fait perdre de l’argent. Pourquoi vendent-ils “deux produits pour le prix d’un” ? »

Abdus nous a affirmé qu’il entretenait d’excellentes relations avec ses ouvriers et qu’il exigeait des mesures strictes en termes de prévention d’incendie dans toutes ses usines. Selon lui, l’industrie du textile est un bon moyen de mener son pays sur la route de la prospérité. « 80 % d’entre eux, les ouvriers, ce sont des femmes ! » Je lui ai demandé de me décrire ce qu’il avait ressenti lorsqu’il avait entendu parler de Tazreen. Il m’a dit qu’il se trouvait à Londres à ce moment-là et a ajouté : « Je me suis senti mal car je connais le propriétaire, M. Delowar Hossain. C’est un homme bien et maintenant, il a beaucoup de problèmes financiers, de dettes, et il va faire faillite. » À l’intérieur de son porte-monnaie, Abdus avait une carte de Douglas McMillon, le PDG de Walmart International. Il l’a sortie pour nous la montrer. Elle faisait la moitié de la taille d’une carte de visite normale. Zain l’a fait remarquer. « Je lui ai posé la question, a dit Abdus. Il dit que ça coûte moins cher. »

Nous sommes allés dans la salle de conférence pour prendre quelques photos. Jusqu’à maintenant, il avait eu le temps de réfléchir à ce qu’il devait dire mais soudain, il est devenu très tendu. « Je ne savais pas qu’il poserait des questions au sujet de Walmart !  a-t-il dit à Zain en bengali. Je vois où il veut en venir maintenant. »

« Cela pourrait bien être ma dernier interview, m’a-t-il confié gracieusement. Vous pourriez me coûter cher ! » Il a souri et nous nous sommes serrés la main. Il m’a demandé, d’un ton un peu suppliant, de lui envoyer une copie de l’article avant impression.

Abdus était correct, moderne et évolué – c’est d’ailleurs pour ça que Zain m’avait emmené le voir. Je voulais savoir à quoi allait ressembler l’industrie dans quelques années lorsque, avec un peu de chance, tous les fabricants adopteraient la même philosophie qu’Abdus. Avant de partir, Abdus et moi avons parlé de la logistique de la prévention d’incendie. « Il y a quatre escaliers dans mon usine, et chacun mène à un endroit différent, a-t-il expliqué. Pas besoin d’issue de secours. » Je lui ai parlé d’Aminul Islam et du harcèlement que subissent les activistes dans l’industrie du textile. « Certaines personnes ne causent que des problèmes », m’a-t-il répondu.

Aujourd’hui, trois mois après avoir survécu à l’incendie de Tazreen, Swapna s’est trouvé un nouvel emploi dans une entreprise appelée S21 Apparel qui dit travailler pour AllSaints, une marque britannique de streetwear pour les riches banlieusards. Mominul m’a dit qu’il cherchait un travail dans une usine du Ha-Meem Group – une usine où 23 ouvriers ont péri dans un incendie le 14 décembre 2010. « On offre du confort aux gens et on leur fait de beaux habits, m’a dit Mominul. Et comme ça, les gens entendent parler du Bangladesh. »

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