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Les mecs de Magnum

Ian Berry prend des photos à couper le souffle de massacres et d’inondations

Le photographe est membre de l'agence Magnum depuis plus de 50 ans – ça fait donc un paquet d'années qu'il prend des clichés incroyables.

Magnum est de loin l'agence de photo la plus connue au monde. Même si vous n'en avez jamais entendu parler, vous connaissez forcément ce qu'ils ont fait : les reportages de Robert Capa sur les conflits internationaux, « Fille Afghane » de Steve McCurry, ou les escapades excessivement britanniques de Martin Parr. Contrairement aux agences classiques, les membres de Magnum sont sélectionnés par les autres photographes de l'agence – et comme il s'agit de la meilleure agence du monde, devenir membre est un truc plutôt tendu. En tant que partenaires de Magnum, nous allons vous présenter plusieurs de leurs photographes – qui sont pour résumer, nos photographes préférés – lors des semaines à venir.

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En 1962, Ian Berry est invité à rejoindre Magnum par Henri Cartier-Bresson– ce qui, dans le monde de la photo, revient à peu près à se faire canoniser. L'invitation a fait suite au travail qu'il a effectué en Afrique du Sud, où il était le seul photographe présent pour témoigner du massacre de Sharpeville, l'un des événements les plus violents de l'histoire post-apartheid. Ses photographies ont ensuite été utilisées par la justice pour prouver que la manifestation était pacifique. Il a couvert les conflits en Tchécoslovaquie, en Israël, en Irlande et au Vietnam.

VICE : J'ai cru comprendre que vous étiez chez Magnum depuis plus de cinquante ans. C'est exact ?
Ian Berry : Oui, aussi difficile que ce soit pour moi de l'admettre, mais oui. Ça traduit mon incapacité à lâcher prise, je pense. Je songe à m'arrêter tous les ans et je n'ai jamais réussi à le faire.

Vous avez commencé en Afrique du Sud. Comment avez-vous atterri là-bas ?
Eh bien, comme beaucoup de jeunes Anglais, je voulais voir le monde. Et à cette époque, on pouvait obtenir des subventions pour voyager au sein du Commonwealth. On avait donc la possibilité d'aller en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada et en Afrique du Sud. L'Afrique du Sud me paraissait la destination la plus excitante. Je croyais que j'allais voir des lions dans les rues de Johannesburg, des trucs comme ça.

Ha.
En l'occurrence, ma famille connaissait un photographe qui revenait tout juste des Etats-Unis, où il avait assisté Ansel Adams. Et il était prêt à se porter garant de moi pour un an. Je n'avais pas vraiment besoin d'un visa mais il fallait que quelqu'un se porte garant pour moi. Je suis donc parti en Afrique du Sud. Je ne regrette rien : c'était vraiment excitant d'être là-bas.

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Vous n'avez pas suivi de formation de photographe à proprement parler, n'est-ce pas ?
Les écoles de photographie n'existaient pas vraiment à l'époque. Il fallait devenir l'apprenti de quelqu'un et c'est ce que j'ai fait. C'était un bon entraînement, même si j'ai réalisé que ce n'était pas ce que je voulais faire.

AFRIQUE DU SUD. Des partisans montent sur chaque point en hauteur en attendant l'arrivée de Nelson MANDELA dans la ville de Natal. 1994.

Le massacre de Sharpeville semble avoir été un tournant majeur pour vous. Pouvez-vous rapidement nous raconter cette histoire ?
Après avoir quitté l'homme qui m'avait appris la photographie, j'ai travaillé pour le groupe du Sunday Times à Johannesbourg. J'y suis resté un petit moment, puis j'ai entendu dire qu'un rédacteur célèbre d'un magazine londonien très réputé, le Picture Post, venait sur place pour diriger un magazine africain du nom de Drum. Je sentais qu'il y avait quelque chose à faire avec ce type, j'ai donc candidaté et j'ai obtenu un job.

Après, il y a eu une manifestation massive en Afrique du Sud – beaucoup de photographes et de journalistes sont allés dans les endroits chauds, au cas où quelque chose arriverait. J'ai reçu un coup de fil qui m'apprenait qu'un gars s'était fait tirer dessus dans ce village, Sharpeville. Quand je suis arrivé là-bas, tout le monde était déjà présent – beaucoup de photographes internationaux aussi. Ils attendaient dehors quand un convoi de véhicules blindés a pénétré dans la ville. À cette époque, si vous étiez blanc, vous deviez avoir un laissez-passer pour entrer dans une ville noire.

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Nous avons tous sauté dans nos voitures et suivi le convoi. Au bout de 100 mètres, le convoi s'est arrêté et l'agent responsable est venu vers nous pour nous dire : « Vous feriez mieux de dégager d'ici ou vous serez en état d'arrestation. » La majorité des voitures ont fait demi-tour. Trois voitures sont restées, dont la mienne. Nous les avons suivis sous tension sur un kilomètre, avant que le gars ne ressorte et nous dise : « Vous feriez mieux de partir maintenant, c'est le dernier avertissement ! » et les deux voitures sont parties.

Nous avons continué à les suivre jusqu'à un poste de police situé dans une espèce de camp, entouré de grillage. J'ai parlé à quelques-uns des policiers, j'ai sauté par-dessus le grillage et ils n'ont pas réagi. La foule ne semblait pas agressive non plus. J'ai pensé que rien ne se passerait donc j'ai fait demi tour en direction des voitures. Au moment ou je suis arrivé, la police a ouvert le feu. Des corps ont commencé à tomber de part et d'autre. Tout s'est passé très vite. J'avais juste deux Leica à l'époque. Un avec un grand angle et l'autre avec un objectif normal. J'ai photographié les gens qui couraient vers moi. Quand j'ai réalisé que les gens se faisaient tuer autour de moi, je suis à moitié tombé dans les pommes.

AFRIQUE DU SUD. Zululand. Les Zulus en chemin pour célébrer un mariage. 1985.

Quand les tirs ont cessé, je me suis relevé et il n'y avait plus que moi et une autre personne debout. Et gardant à l'esprit que la police sud-africaine détestait profondément la presse, j'ai sauté dans ma voiture et nous avons démarré en trombe. Les photos étaient dégueulasses, juste des photos de gens qui couraient vers moi, mais cet événement a fait le tour du monde. Et m'a permis de rentrer chez Magnum ; le rédacteur du magazine pour lequel je travaillais, Tom Hopkinson, avait écrit à Magnum à mon propos.

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Wow. Et ces photographies ont été utilisées comme preuve pour disculper certaines personnes ?
Oui. Ce qui s'est passé, c'est qu'ils ont chargé la foule. Ils ont dit qu'ils n'avaient tiré qu'une fois et que la foule était devenue agressive. Ce qui était faux. J'ai même une photo où on les voit recharger une arme automatique. Et la plupart des gens ont été abattus dans le dos. Ils ont continué à leur tirer dessus alors que les gens fuyaient. J'étais le seul témoin blanc, et à cette époque, les paroles d'un Blanc avaient plus de valeur que celles d'un Africain. J'ai donc fourni cette preuve et heureusement, les gens qui avaient été chargés ainsi que la foule, les blessés, ont été relâchés. Donc même si les photos n'étaient pas bonnes, elles ont servi une cause humanitaire.

Et grâce à ça, Magnum vous a contacté.
Eh bien, presque. D'abord, ce gars qui ouvrait une nouvelle agence à Paris et qui avait été chef du bureau de Magnum m'a invité à le rejoindre. J'étais avec eux depuis un an quand Magnum m'a proposé de les rejoindre. J'étais évidemment flatté et j'ai accepté.

Comment c'était de travailler avec Cartier-Bresson ?
C'était génial – un super apprentissage. Il était très amical et me laissait regarder ses planches contact. Marc Riboud, qui était un autre photojournaliste français très célèbre de chez Magnum à l'époque, me le permettait aussi. Vous pouvez apprendre beaucoup de choses en regardant les planches contact des photographes, leur approche, la façon dont ils pensaient. C'est une expérience qui a beaucoup de valeur.

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CORÉE DU SUD. Boryeong. Plage de Daecheon. Onzième festival annuel de boue.

Sur quel genre de photos vous travaillez maintenant ?
Je travaille sur un projet dont le propos est l'eau à travers le monde. Ça prend beaucoup de temps parce que j'ai besoin de situations particulières. J'avais la jambe cassée quand Katrina eu lieu, j'ai manqué ça. Quand le tsunami a eu lieu, il m'était arrivé un truc dans le même genre et je l'ai raté aussi. Donc mon travail est presque terminé mais il me manque des catastrophes naturelles. J'ai traversé le Yangzi, le Mékong, le Nil et le Mississipi. Vous savez, le problème avec un projet comme celui-là, c'est que vous vous retrouvez à shooter toujours la même chose. Et vous avez besoin de quelque chose pour le dynamiser, lui donner une contenance. Mais ça a le mérite de me garder à l'abri des ennuis.

Est-ce que votre travail a une portée politique ?
Non. Je sais que c'est populaire en ce moment d'aller quelque part avec une idée préconçue, mais j'ai toujours cette approche un peu démodée d'avoir l'esprit ouvert, où que j'aille. Par exemple, pour mon dernier voyage en Afrique du Sud, un magazine français m'a demandé de travailler sur les fermiers qui vivent juste en dessous du Zimbabwe. Je n'ai pas d'affection particulière pour les Afrikaners. Quand j'étais en Afrique du Sud, j'étais toujours davantage mis en danger par les policiers que par les Africains. Et bien sûr, les Afrikaners détestent passionnément les Anglais. Mais je suis allé là-bas pour photographier cette histoire et effectivement, beaucoup de fermiers se faisaient déposséder ou tuer. Et peu importe comment vous vous sentez par rapport à eux, vous avez pitié d'eux à un certain degré. J'ai visité une ferme qui appartenait à une vieille femme. Son grand-père avait été enterré ici et elle avait juste été dépossédée de ses biens, sans recours possible. Donc je pense toujours que vous devez être neutre, dépassionné, peu importe où vous allez et ce que vous faites.

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ÉTHIOPIE. Les villageois marchent trois kilomètres pour atteindre leur seule source d'eau pour remplir leurs gourdes, laver leurs vêtements et prendre leur bain. 1987.

Quand je regarde vos photos, elles me frappent car elles coïncident avec l'idée que je me fais du moment décisif. Qu'est ce que vous pensez de la photographie numérique et de sa capacité à prendre des milliers de photos par jour ? C'est quelque chose que vous appréciez ou que vous rejetez ?
Non, je travaille en numérique et je pense que, techniquement, c'est une bonne chose. Quand vous partez prendre des photos pendant deux ou trois semaines, être capable de revenir en arrière et de regarder ce que vous avez shooté pour savoir ce qui vous manque, je trouve ça super. Mais les exigences ont changé. À l'époque, vous pouviez vous promener pendant 10 heures, et ensuite faire un bon repas, vous relaxer… Maintenant vous devez rentrer, télécharger toutes vos photos et tout envoyer le même jour. C'est à double tranchant. Mais je pense toujours que vous avez plus de chance de saisir le moment en numérique.

ALLEMAGNE. Berlin. Christophe SORCI joue du jazz dans un piano-bar de Berlin Est. 2000.

Quelques conseils pour la jeune génération ?
Si j'avais des conseils, je me les donnerais à moi. Ça serait intéressant de savoir comment Newsweek travaille, parce qu'en ce moment, personne ne fait vraiment d'argent en photographie. J'ai animé des ateliers et on m'a posé la même question. J'ai peur de ne pas trop savoir comment y répondre. Je suppose que si je devais vraiment me montrer dénué de sentiments, je conseillerais de prendre une caméra plutôt qu'un appareil photo. Mais c'est un monde différent. Je viens juste d'être contacté pour réaliser un projet en Mozambique et, à la dernière minute, ils ont décidé qu'ils voulaient de la vidéo. Jusqu'à maintenant, j'ai évité d'en faire.

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Au bout du compte, les gens vraiment dévoués, qui ont l'œil, vont réussir. Jusqu'à ce qu'on commence à faire de l'argent grâce à Internet, tout ce que vous pouvez dire à ces gens est de s'accrocher. Mais je regarde les écoles de photographie dans le pays et le nombre de jeunes qui en sortent. Je doute qu'1 % d'entre eux arrivent à vivre de la photographie. Ils devront sûrement avoir un travail alimentaire à côté, travailler pour la police, pour des musées, des mariages ou Dieu sait quoi. Peu vivront du photojournalisme, je pense. J'aimerais me tromper.

Merci Ian. C'était un plaisir de discuter avec vous.
Et avec vous Christian.

Cliquez ci-dessous pour voir plus de photos d'Ian Berry.

CHINE. Province de Gansu. Xiahe. Un apprenti moine tibétain sur le chemin de la prière. 1996.

BANGLADESH. Khulna. Jessore. Village Jhikargachla. Une femme dont les bras et les flancs portent les marques noires d'un empoisonnement à l'arsenic n'a que cette pompe pour de l'eau fraîche. La pompe est peinte en rouge pour indiquer que l'eau est contaminée à l'arsenic. 2000. 

ANGLETERRE. Londres. Trafalgar Square. Un baiser à minuit, au réveillon du Nouvel An. 1964.

AFRIQUE DU SUD. Gauteng. Johannesburg. Fordsburg. Moment d'affection entre deux personnes dans un café multiracial.

AFRIQUE DU SUD Natal. Durban. Membres d'un groupe religieux participant à une cérémonie de baptême par immersion totale dans l'océan Indien. 1984.

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AFRIQUE DU SUD. Une jeune fille noire, tout juste adolescente, surveille l'enfant d'une famille blanche.

AFRIQUE DU SUD. Paarl. Des Blancs dégustent un verre de vin au Cap pendant que des travailleurs noirs apportent des rafraîchissements. 1981.

COSTA RICA. Côte Atlantique. Limon Camp. Des réfugiés du Nicaragua passent le temps en jouant de la guitare et dorment sur des matelas à même le sol. 

AFRIQUE DU SUD. Venderstop. La police et le mouvement de résistance afrikaner s'affrontent pour la première fois. 1991.

AFRIQUE DU SUD. Sharpeville, Transvaal. Lundi 21 mars 1960. Les villageois fuient le village où la police a commencé à ouvrir le feu sur eux, en mettant leur veste sur leur tête pour essayer de se protéger.

Précédemment : Thomas Dworzak a des clichés de marines qui pleurent et de talibans qui se marrent

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