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Vice Blog

J’ai passé toute mon enfance dans l’attente d’une greffe

Charlotte est née avec une atrésie biliaire – elle m'a raconté toutes les complications que ça impliquait.

Charlotte à l'âge de 10 mois, intubée par une sonde naso-gastrique

Enfant, mes yeux étaient jaunes, ma peau jaunâtre, mes dents difformes et mon ventre constamment ballonné. Je me rendais bien compte que mon corps était différent de celui de mes camarades de classe. Je ne pouvais pas courir ; j'étais toujours trop faible ou fatiguée. Je restais juste assise, à regarder les autres jouer.

Je suis née avec une atrésie biliaire. En gros, les petits conduits de mon foie qui sont censés évacuer la bile corrosive ne fonctionnaient pas. La maladie stagnait, me rongeant doucement de l'intérieur. À l'âge de huit mois, j'ai été placée sur la liste d'attente des demandeurs d'organes et les docteurs ne me donnaient plus que quelques mois à vivre.

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Ma famille s'attendait à recevoir un coup de téléphone annonçant une greffe du foie d'ici quelques mois ou un an – deux ans, tout au plus. Mais l'appel n'est jamais venu. En attendant, je suis devenue une habituée des hôpitaux. Mes os étaient si fragiles que je me suis cassé un bras, simplement en jouant dans la cour. Dès que quelqu'un avait un rhume ou une saloperie, j'étais sûre de l'attraper. J'ai attrapé des trucs que personne n'avait. Je chopais des virus obscurs et je ratais des semaines entières d'école. Les moments où j'étais malade étaient effrayants, parce que si un foie se rendait disponible à ce moment-là, je savais que les docteurs ne me le grefferaient pas.

L'hôpital avait pour habitude d'organiser des pique-niques pour les enfants aux maladies longues. On se réunissait dans un des parcs de l'hôpital et on jouait avec les autres enfants malades, au côté de leur saine famille. À la longue, toutes les familles se connaissaient. C'était sympa de la part des docteurs, ils étaient gentils avec nous, mais c'était étrange pour moi. Même quand j'étais vraiment jeune, je sentais que quelque chose était faux. J'y suis allée quelques fois, puis j'ai arrêté.

À chaque fois que le téléphone sonnait, on pensait que c'était un foie pour moi. Mon père avait un bipeur, lequel se mettait à sonner dès que la batterie était faible. Du coup, on appelait systématiquement l'hôpital pour savoir s'ils nous avaient contacté – mais ce n'était jamais eux.

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La veille de mon entrée en CE2, le téléphone a sonné aux alentours de deux heures du matin. Mes parents ont directement compris que c'était pour moi. Ils m'ont réveillé et sont descendus dans la cuisine, où mon frère et ma sœur attendaient déjà. Les médecins avaient dit : « Vous devez venir maintenant. Il y a de bonnes chances que vous soyez compatible. »

À l'instant où un organe est disponible, vous avez une heure pour aller à l'hôpital. On s'est précipité, comme si c'était la fin du monde. Même à ce stade, ce n'était pas sûr que j'obtienne un nouveau foie. Parfois, les docteurs appelaient plus d'un candidat possible. Ils vous examinaient et décidaient ensuite à qui le foie s'adapterait le mieux – et la meilleure anatomie gagnerait. Les autres enfants n'avaient plus qu'à rentrer chez eux.

Heureusement pour moi, ce ne fut pas le cas. J'ai été celle choisie. Nous n'avons pas vraiment eu le temps de nous réjouir : en moins d'une demi-heure, j'étais au bloc opératoire. C'était une super nouvelle, mais j'avais du mal à comprendre ce qui se passait autour de moi.

La greffe a duré 16 heures. Mes parents m'ont dit qu'ils ont vu le foie être amené dans un petite glacière bleue – celles qui sont juste assez grande pour contenir un pack de six bières.

Lorsque je me suis réveillée, j'avais une énorme cicatrice en L au niveau de mon estomac. Les souvenirs de la semaine qui a suivi sont plutôt confus. La première chose dont je me souviens, c'est le sentiment de faim qui s'est ensuivi. J'appelais mes parents pour avoir de la nourriture, et la bouillie coulait le long du tube enfoncé dans ma gorge.

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Quand j'ai vraiment repris conscience, ma mère a placé un miroir en face de moi. Pour la première fois, je pouvais voir de la blancheur au fond de mes yeux. Ma peau ne semblait plus si pâle et malade. Mon ventre n'était plus ballonné. Le tout en 24 heures.

Charlotte à l'âge de huit ans après sa greffe au Royal Children Hospital

J'ai passé deux semaines en soins intensifs, suivi d'un mois dans une chambre d'isolation. Les médecins ont accepté que je rentre chez moi, même si cela impliquait que je porte un masque pendant 12 semaines. Pendant un trimestre entier, personne d'autre que mes parents, ma sœur, ou mon frère ne pouvait entrer dans ma chambre. Mais à part ça, l'histoire qui suit est plutôt belle. Mon corps a accepté le foie et tout le reste n'est plus que de l'histoire ancienne.

Je ne parle plus vraiment de cette histoire autour de moi. Ce n'est pas que cela me gêne, mais je ne vois pas pourquoi j'en parlerais – il n'y a pas de raison. J'aime être ordinaire. Pour autant que je m'en rappelle, les enfants me traitaient bien. Les enseignants et les parents parlaient de moi comme celle qui était « la malade. » Tout le monde était obligé d'être gentil avec moi, on m'écrivait des cartes, je recevais des cadeaux. J'étais privilégiée, mais je n'aimais pas ça. Les gens ne se rendaient pas compte que je ne voulais pas être traitée différemment – je voulais juste être comme les autres.

Quand j'y repense, ça me dérange de savoir que quelqu'un a dû mourir pour me céder ce foie. Les médecins ne vous disent jamais d'où vient l'organe, mais vous pouvez deviner qu'un autre enfant est mort, et que ce fut suffisamment rapide pour que son foie survive. Vous n'avez pas de contact avec la famille du donneur. On a cependant eu le droit de leur envoyer une lettre de remerciement, pour leur dire ce que cela signifiait pour moi.

Je suppose que s'il y a une chose à tirer de cette histoire, c'est que trop peu de gens donnent leurs organes. Si je suis en vie aujourd'hui, c'est parce que quelqu'un a accepté que je reçoive son foie. Je pense que beaucoup de gens ne pensent pas à s'inscrire comme donneur d'organes. Donc si vous avez envie de le faire sans jamais avoir pris la peine d'entreprendre les démarches, foncez sans plus attendre.

Parfois, je demande à ma mère ce qu'il se serait passé si je n'avais pas reçu ce foie. Selon elle, après quelques mois, je serais morte. J'ai eu énormément de chance.

À la suite de la guérison de Charlotte, sa famille a lancé une association caritative pour soutenir les familles des enfants dans l'attente d'une greffe au Royal Hospital. Si vous voulez plus d'informations à ce sujet, allez sur Yellow Ribbon Kids.

Propos rapportés par Jack Callil. Il est sur Twitter.