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Culture

L'acteur qui a joué Jar Jar Binks ne regrette rien

L'interprète du personnage le plus agaçant de tous les temps m'a expliqué comment Michael Jackson avait failli obtenir son rôle.

Ahmed Best devait être la prochaine grande star d'Hollywood. Passer de l'obscurité à un rôle important dans l'un des films les plus attendus du XXème siècle. Si son nom ne vous dit rien, peut-être que celui de son personnage vous rappellera quelque chose : Jar Jar Binks.

Après la sortie en 1999 de Star Wars Episode I : La Menace Fantôme, les critiques et les fans ont tous réagi de manière assez radicale à la présence du personnage de Jar Jar Binks. Ce Gungan orange de deux mètres parlait dans un patois jamaïcain approximatif. Il était maladroit. Il était énervant. Il était attachant — pour quelques enfants, tout du moins. Lucas et son équipe avaient en plus troqué le maquillage et les costumes pour les effets spéciaux, et il était entièrement numérisé. Best était un des premiers acteurs à tester la technologie de motion capture. Jar Jar Binks devait être la petite touche comique pour le public, particulièrement pour les enfants, comme C-3PO et les Ewoks dans les précédents volets

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Pour faire simple, disons que ça n'a pas trop marché.

Le personnage de Best est devenu l'inspiration pour le livre du critique Daniel Kimmel Jar Jar Binks Must Die, et a poussé des fans à créer The Phantom Edit, une version du film dans lequel les dialogues du personnage (apparemment inspirés des babillages d'un fils de Lucas) sont remplacés par un dialecte alien sous-titré. Dire que le personnage a fait un flop serait un euphémisme. Aujourd'hui encore, Best ne comprend pas vraiment comment son travail a pu mener à ce qui a été qualifié du personnage de film le plus agaçant de tous les temps.

« Pour être complètement honnête, personne sur le tournage ne se doutait que ça allait se passer comme ça » m'a confié Best au téléphone depuis Los Angeles. « Au fond, c'est du cinéma, si le personnage ne passe pas pour les spectateurs, il ne passe pas. Je n'ai pas à le prendre personnellement ».

Pour Best, c'était le rôle d'une vie. Gamin du Bronx sud, obsédé par le jazz et la performance visuelle, il a grandi avec Star Wars. L'Empire contre-attaque est son film préféré, et il est un disciple de Buster Keaton et de Charlie Chaplin (lui et Lucas se sont inspirés des deux stars du muet pour les mouvements de Jar Jar Binks).

Le personnage a effectivement un peu disparu au fur et à mesure que la saga a continué. Tu as déjà parlé d'une scène coupée de la Revanche des Sith, parce que l'histoire de Jar Jar ne rentrait pas dans l'arc narratif du film. Tu y as vraiment cru, ou tu penses que l'image négative du personnage a eu à faire avec la disparition du rôle ?
Je pense que c'est un peu des deux. Au fond, c'est du cinéma, si le personnage ne passe pas pour les spectateurs, il ne passe pas. Je n'ai pas à le prendre personnellement. C'est au cinéaste de s'assurer que non seulement le film fonctionne pour lui et pour ses spectateurs. Du coup, vu que le personnage n'était pas vraiment le chouchou des fans, je peux comprendre qu'il ait un peu disparu. Et, d'un point de vue narratif, ils sont passés à autre chose. Il n'y a pas vraiment de place pour lui dans la Revanche des Sith; c'est une histoire très sombre. Il n'y avait pas besoin de ressort comique, et c'est le principe même de Jar Jar. Il n'existe que pour apporter de la légèreté. À ce moment de la saga, il n'y en avait plus du tout.

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Joe Morganstern du Wall Street Journal a déclaré que ton personnage était un « Stepin Fetchit rasta ». Il n'a pas été le seul à noter le sous texte racial de Jar Jar. Tu es quelqu'un de très conscient de la place des Noirs dans les media. Comment tu l'as pris ?
C'est juste de l'ignorance et de l'aveuglement, et ça prouve de la difficulté de traiter du racisme dans ce pays. Ce manque d'éducation sur ce qui est vraiment raciste de la part des non-noirs est abyssal. Dire ça de Jar Jar est offensant, parce que ça montre l'ignorance de ce qu'est un rastafari et le manque d'éducation et de connaissances sur ce qu'était vraiment la minstrelsy au temps du vaudeville, de Butterfly Mcqueen et de Stepin Fetchit. Ils ne savent vraiment pas quels ont été ces rôles et pourquoi ils ont existé.

Je crois que ce sont cette ignorance et ce manque d'éducation, très présents dans ce pays, qui permettent à une critique d'être exprimée sans preuve. Ça explique également l'état actuel des rôles [limités] pour les Noirs au cinéma – les Noirs connaissent autre chose que la prison – et autre chose que les histoires de gang qu'on voit à l'écran aujourd'hui. Ils ne pensent pas que les acteurs noirs, et particulièrement les Afro-américains, ont suffisamment de profondeur pour s'essayer à d'autres rôles, et cette mentalité a gâché énormement de talents aux Etats-Unis. Les meilleurs acteurs noirs au monde sont anglais. Et ce sont les seuls à être autorisés à jouer des rôles plus complexes. La critique de Morganstern souligne le manque d'intelligence et d'originalité de ces types qui essaient de comprendre l'expérience noire dans l'entertainment.

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Ahmed Best aujourd'hui. Photo de Luigi Novi. Image via Wiki Commons

Sans grande transition, est-ce que tu es d'accord avec l'idée que des acteurs spécialisés dans le motion capture devraient pouvoir concourir pour les grandes récompenses comme les Oscars ?
C'est difficile d'attribuer une performance en motion capture à la simple performance de l'acteur. C'est une relation symbiotique entre animateurs, programmateurs et acteurs. Chacun informe l'autre, et je pense que récompenser seulement l'acteur serait injuste envers les programmateurs et les animateurs qui donnent vie au personnage. Pour Gollum dans le Seigneur des Anneaux, par exemple, le personnage existait dans les livres et Andy a vraiment apporté quelque chose que seul lui pouvait apporter, mais il ne fait pas 1 mètre, et il n'a pas naturellement ces immenses yeux globuleux – donc oui, c'était une collaboration. Si on doit rajouter une catégorie aux Oscars, je ne pense pas qu'on puisse avoir simplement une catégorie acteur ou une catégorie technologie. Il faut trouver un compromis entre les deux.

Penses-tu que ce timing a eu à voir avec les réactions violentes à Jar Jar ? Vous expérimentiez des choses avec cette nouvelle technologie. Si Jar Jar était introduit aujourd'hui, avec la technologie actuelle, penses-tu qu'il aurait été mieux accepté ?
C'est vrai que les premiers seront toujours les derniers. C'est une question intéressante mais c'est difficile d'y répondre. Je sais que j'aurais probablement eu une meilleure carrière si Jar Jar était sorti aujourd'hui. C'était très compliqué pour moi d'expliquer exactement ce que je faisais. Personne ne pensait que j'étais, en tant qu'acteur, capable de donner de la vie à ce personnage ; tout le monde se disait que c'était du ressort du département des effets spéciaux. C'était un peu l'inverse du débat avec Andy. Tout le monde pense qu'Andy fait naître Gollum, et que les effets spéciaux ne font que suivre. Quant à moi, c'était les effets spéciaux qui faisaient naître Jar Jar, et j'étais juste le modèle. Aujourd'hui, on peut avoir une carrière dans le motion capture. Peter Jackson et Andy Serkis ont été des pionniers. Jackson s'est assuré que tout le monde sache qu'il y avait un acteur derrière Gollum. Je ne pense pas que Lucasfilm comprenait ça à l'époque, parce que c'était encore très nouveau.

En parlant de nouveauté, tu as affirmé ne pas avoir discuté avec J.J. Abrams à propos de Star Wars : Le Réveil de la Force, c'est bien ça ?
Non. D'ailleurs, je n'en ai pas envie.

Abrams a récemment blagué sur la possibilité de te rajouter au casting, peut-être en faisant un plan de tes ossements dans le sable. S'il t'appelait, tu serais intéressé ?
Non merci. J'ai eu mon expérience, j'ai fait mon truc. Maintenant, c'est à la nouvelle génération de prendre la relève. C'est au tour de John Boyega [l'une des stars du Réveil de la Force]. J'en ai fini avec ça. Je suis passé à autre chose, et ça me va très bien.

Penses-tu être arrivé à un moment dans ta carrière où les gens ont arrêté d'associer ton nom à celui de Jar Jar Binks ? As-tu réussi à passer à autre chose ?
Je ne sais pas. C'est une bonne question. On verra bien.

Gavin Godfrey est un auteur qui vit à Los Angeles. Il est sur Twitter.