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Au SPVM, un scandale n’attend pas l’autre

Deux des hommes arrêtés dans ce dernier dossier, Fayçal Djelidi et David Chartrand, sont accusés de parjure et de tentative d'entrave à la justice.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est à nouveau impliqué dans des allégations d'inconduite sexuelle et d'actes criminels : quatre policiers feront maintenant face à la justice.

Au début juillet, le deuxième plus important corps policier au Canada a arrêté quatre des siens. Un énième épisode controversé pour l'organisation frappée par la controverse. Le SPVM a traversé plusieurs crises dans les dernières années, et la plus récente n'aide en rien ses relations avec le public.

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En 2012, on l'a accusé de zèle dans ses interventions pendant les manifestations étudiantes en réponse à la hausse des droits de scolarité : des centaines de personnes avaient été arrêtées et des dizaines blessées. En 2014, deux agents ont été filmés avec deux jeunes femmes en état d'ébriété assises sur leurs genoux dans leurs véhicules de patrouille, et ensuite suspendus.

La semaine dernière, La Presse a rapporté que le procès de deux importateurs de cocaïne pourrait avoir déraillé parce que trois policiers ayant participé à l'enquête avaient été sanctionnés en raison de liens avec le crime organisé. Ces épisodes s'ajoutent aux divers cas de policiers accusés de profilage racial, sans compter que le responsable des affaires internes lui-même est ciblé par une enquête criminelle.

Bien sûr, le SPVM n'est pas le seul corps policier pointé du doigt. Trois agents de Toronto ont été accusés d'agressions sexuelles à la suite d'un incident en 2015, tandis que l'ensemble des forces policières de l'Ontario sont critiquées pour des arrestations et demandes d'identification — une pratique appelée carding — visant de façon disproportionnée la population non blanche.

Néanmoins, le SPVM connaît des années particulièrement difficiles, et les plus récentes arrestations ne représentent qu'une mauvaise nouvelle de plus pour le service.

Deux des hommes arrêtés dans ce dernier dossier, Fayçal Djelidi et David Chartrand, sont accusés de parjure et de tentative d'entrave à la justice. Djelidi, policier depuis 16 ans, fait aussi face à des accusations d'abus de confiance ainsi que de sollicitation et d'obtention de services sexuels moyennant rétribution. Les deux enquêteurs, qui étaient spécialisés dans les affaires touchant les gangs de rue, la prostitution et la drogue, faisaient partie de ce que la police de Montréal appelle, sans ironie, l'« escouade de la moralité ».

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Peu d'information a été divulguée au sujet des deux policiers, contre lesquels aucune accusation n'a encore été portée, mais le directeur du SPVM Philippe Pichet a expliqué en conférence de presse que les deux hommes avaient commencé à éveiller les soupçons l'hiver dernier quand ils ont négligé de documenter correctement leurs rencontres avec des informateurs.

Pichet a ajouté que les Affaires internes ont ensuite mené une enquête criminelle de sept mois au cours desquels les policiers ont été suivis et mis sur écoute. D'après les rapports, Djelidi a fréquenté des salons de massage et reçu des services sexuels de prostituées.

Puis, selon La Presse, un agent double de la GRC s'est fait passer pour un informateur auprès de Djelidi et de Chartrand, prétendant qu'il pouvait les aider à saisir 10 kilos de cocaïne. N'ayant pas suffisamment de renseignements pour obtenir un mandat de perquisition, les deux policiers auraient falsifié des déclarations écrites dans le but d'accélérer le processus.

« On se sent tous concernés lorsqu'un des nôtres traverse la ligne. C'est toute la communauté policière qui s'en trouve affectée », a déclaré Pichet, ajoutant que « la très grande majorité des policiers et des employés civils du SPVM font leur travail avec éthique et intégrité, dans le respect des valeurs organisationnelles ».

Mais selon l'ex-policier et consultant en sécurité Stéphane Berthomet, ce récent incident n'est que la pointe de l'iceberg des problèmes au SPVM. « On a vu dans plusieurs cas, dans plusieurs dossiers, que la vraie problématique est dissimulée derrière un coup d'éclat. »

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« La vraie problématique est dissimulée derrière un coup d'éclat. »

Ces arrestations surviennent alors que règne un climat de tension au sein des forces de l'ordre. Depuis 2014, de nombreux policiers de la province portent un pantalon de camouflage et une casquette rouge non réglementaire en service, une forme de manifestation silencieuse (mais pas toujours) contre les réductions de budget et les changements à leur régime de retraite.

L'an dernier, Marc Parent, alors chef du SPVM, a démissionné de son poste après cinq années tumultueuses plombées par les rumeurs de tensions administratives. Puis, début juin, le responsable des communications du SPVM, Ian Lafrenière s'est vu retirer son poste, un autre indice des tensions internes. Pour justifier sa décision, le chef Philippe Pichet a dit vouloir s'adapter au paysage journalistique changeant et confier cette responsabilité à un expert en communication, un employé civil plutôt qu'un policier. Pourtant, il a aussitôt remplacé Ian Lafrenière par une policière, Marie-Claude Dandenault.

Quelques jours après cette restructuration, la Fraternité des policiers et policières de Montréal, le syndicat des policiers, a publié un message à ses membres au sujet d'une enquête interne que les journalistes qualifiaient de chasse aux sorcières et de la « présence de plus en plus évidente du maire Coderre dans les affaires policières ». On y invitait aussi les policiers à communiquer sans tarder avec la Fraternité si les enquêtes internes demandent à les rencontrer et à « refuser toute demande de passer le polygraphe », ce qui apparemment arrivait.

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Ce message de la Fraternité des policiers et policières de Montréal (obtenu par Radio-Canada) demande aux policiers de refuser de se soumettre au test du polygraphe.

Stéphane Berthomet dit ne pas être surpris que le SPVM demande aux policiers de ne pas parler à la presse. « D'une façon très générale, ça n'existe jamais, un corps policier où la hiérarchie dit au personnel : "Oui, vous pouvez communiquer avec les journaux." Ce qui compte, c'est la façon dont on gère ça. Je comprends que ça ne fait pas l'affaire des journaux, et c'est à l'avantage du public d'avoir l'info, mais si on se place du point de vue du corps policier, y a rien de nouveau. »

Compliquant encore plus la situation, le responsable des affaires internes, Costa Labos, est lui-même l'objet d'une enquête de la Sûreté du Québec parce qu'il aurait menti à un juge.

« C'est évident qu'avec une enquête de cette nature pesant sur lui, il n'a pas la crédibilité ni la légitimité nécessaires pour assumer un rôle de surveillance de la probité de nos membres », a déclaré Yves Francoeur par voie de communiqué, dans lequel il demande la démission de Costa Labos. « Le processus disciplinaire au sein du SPVM souffre déjà d'un grave déficit de crédibilité et ignore les règles de justice naturelle », affirme pour sa part la Fraternité.

Selon Stéphane Berthomet, le SPVM doit se donner de plus hauts standards et d'être plus sévère à l'endroit des policiers qui s'en écartent. « Un corps policier qui n'est pas extrêmement vigilant sur la déontologie de ses fonctionnaires, qui laisse certaines erreurs se faire et qui a la main légère sur les sanctions… on court le risque à un moment donné que ses policiers commencent à en mener large. » Selon lui, on aurait dû punir plus sévèrement les quatre policiers récemment arrêtés dès qu'on a noté leurs agissements discutables d'il y a sept mois.

« Pour moi, il y a un jeu à plusieurs bandes qui s'est mis en place depuis plusieurs années entre la mairie, la direction du SPVM, certains policiers, le syndicat… J'ai l'impression que des comptes sont en train de se régler, ajoute Berthomet. Ça vient renforcer malheureusement l'image que peuvent avoir les citoyens d'un corps de policiers qui fonctionnent en autarcie, fermés sur eux-mêmes et qui règlent leurs comptes en famille. »

Interrogée sur ces questions, la Fraternité des policiers a déclaré qu'elle n'avait aucun commentaire sur ces questions, et le SPMV a refusé notre demande d'entrevue.

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