Drogue

Prendre des breaks de weed pour buzzer encore plus fort

Prendre des breaks de weed pour buzzer encore plus fort

En pleine journée d’été, Annie a loué un kayak, enfilé une veste de sauvetage et, pagaie à la main, elle s’est mise à glisser sur les eaux qui entourent les îles de Sorel. Dans une réserve naturelle protégée et silencieuse, au milieu des nénuphars et des roseaux, elle s’est arrêtée pour une séance de relaxation particulière. Elle avait prévu le coup : son kit d’aventurier comprenait un briquet et un joint. À la surface de l’eau marécageuse, Annie a allumé son bat et a savouré pleinement la détente qui l’a envahie.

Après des semaines sans consommer de weed, le buzz était intense. « La méditation avec du cannabis dans le marais, c’est magique, confie-t-elle. Ça avait aucun bon sens. C’était le nirvana. Vraiment. »

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Ce qu’il y a d’ironique dans tout ça, c’est qu’il n’y a pas si longtemps, Annie Gagnon, 43 ans, détestait le cannabis. Elle le dit elle-même : elle serait allée au front pour empêcher sa légalisation. Mais elle est atteinte d’arthrite et de fibromyalgie, ce qui lui cause des douleurs et des inflammations dans tout le corps. Côté médicaments, elle a tout essayé – sauf les opioïdes – et rien ne fonctionnait. Elle a été surprise que son médecin lui suggère d’essayer le cannabis, en juillet 2016.

Sa vie a changé du jour au lendemain. En l’espace de 24 heures, elle estime que ses douleurs ont diminué de presque 70 %. Ça a changé sa vision du cannabis. Elle qui voulait l’interdire fume maintenant en moyenne trois grammes par jour.

C’est beaucoup, trois grammes. À la longue, Annie se tanne de fumer autant, et surtout, ça lui coûte une fortune en approvisionnement auprès des producteurs autorisés – entre 600 $ et 900 $ par mois, soit l’équivalent d’un second loyer. Et puis, il faut dire qu’à force de fumer autant et souvent, l’effet perd de son intensité. Comme plusieurs consommateurs réguliers, Annie a commencé à s’éloigner temporairement de la substance. Elle s’est alors rendu compte que de prendre une pause lui permettait de rééquilibrer sa tolérance, et de retrouver la pleine mesure de l’effet thérapeutique du cannabis.

Kayak
Annie en kayak. Photo de courtoisie

Et elle adore ça. Quand elle fume après une pause, Annie s’arrange pour être seule, pour mieux profiter de chaque instant de son buzz. Elle appelle ça son « rituel ». Elle est seule, à la maison, et elle écoute Netflix. Ou elle médite. Ou elle va faire du kayak. Côté thérapeutique, c’est pour elle une merveille. « Je le sais que ça fait tellement de bien. Pour moi, c’est comme un café avec du chocolat noir. C’est aussi réconfortant. »

Dans les milieux de stoners, cette pratique s’appelle un tolerance break, ou t-break. Et pour les quatre personnes que nous avons interviewées, ça fonctionne très bien.

Les visages de la pause

Pour Nathaniel Bélanger, 20 ans, les t-breaks, c’est surtout une question de plaisir. À son premier buzz, le premier où il a tripé, comme n’importe quel novice, il s’est retrouvé à rire à n’en plus finir avec ses amis, pour probablement aucune raison. « J’avais passé vraiment une belle soirée », se remémore-t-il, le sourire dans la voix.

Mais, au fur et à mesure que sa consommation devenait plus constante, la lune de miel s’est estompée. Ses buzz étaient moins forts et, aussi, il sentait que ça endommageait ses poumons. Il confie en outre qu’il devenait plus anxieux, qu’il s’imaginait que ses parents le jugeaient de rentrer tard le soir, complètement gelé.

Il a arrêté quelque temps, un mois. L’anxiété s’est évaporée. Et quand il est retourné au cannabis, ça lui faisait davantage d’effet. « Même une couple de jours, ça fait une différence, même une journée. Ça dépend aussi de la puissance du stock que tu fumes », témoigne Nathaniel.

Pour Maxime, 39 ans, c’était aussi une question de plaisir, au départ. Fumeur régulier depuis ses 30 ans, il s’ennuyait de ses premiers buzz. Son premier, c’était en 1993, à un concert de Metallica à l’hippodrome de Québec. Ses amis et lui avaient acheté un gramme de hasch à un gars à l’école, l’avaient roulé dans une cigarette pour le fumer au show. « Je me souviens qu’on avait une boîte de biscuits et qu’on en avait lancé partout, parce qu’on était gelés et qu’on était cons. C’était la première fois qu’on était high, j’imagine que c’est pour ça qu’on a trouvé que c’était une bonne idée de lancer notre lunch dans les airs. On s’était bien amusés », raconte-t-il en riant.

Mais fumer régulièrement, ça n’avait plus cet effet, même plus d’effet du tout. Maxime était rendu à fumer une once par semaine. Il jetait 150 $ par les fenêtres, et il ne ressentait rien, à part une légère baisse de stress.

Il y a cinq ans, il a pris sa première pause. Il a arrêté pendant près de six mois, et a repris tranquillement. « Je fumais juste deux petites puffs, et j’étais mêlé comme si c’était la première fois », raconte-t-il. Il enchaîne les pauses depuis. Les trois ou quatre premiers jours suivant le jeûne, « c’est merveilleux, c’est comme si j’avais jamais fumé de ma vie ». Néanmoins, sa tolérance revient au galop presque instantanément. Au bout de deux semaines, il ne ressent plus aucune différence.

Ce n’était pas assez pour Maxime, qui s’est mis à fumer plus, puis à se tourner vers des concentrés beaucoup plus puissants, il y a un peu plus de deux mois.

C’est cette surenchère qu’a voulu éviter Richard, 30 ans, qui souffre d’un trouble de la personnalité borderline. Il a commencé à consommer du cannabis il y a un peu plus d’un an, dans le but de se sevrer de ses antidépresseurs. Trois ou quatre fois par jour, il prend des petites doses de produits comestibles, de 5 à 20 milligrammes. Mais pas tous les jours.

Il s’est renseigné sur le sujet et veut éviter de développer une trop grande tolérance au cannabis. Il prend des t-breaks de deux ou trois jours, chaque deux ou trois semaines, de manière préventive. « Je n’ai jamais vraiment eu besoin d’augmenter les quantités. C’est toujours resté à peu près pareil. »

Mais, malgré ces précautions, il sait que lorsqu’il consomme après une période de jeûne, l’effet du cannabis va être décuplé les premiers jours. « La première journée, je ne peux pas prendre 10 milligrammes d’un coup, sinon je ne suis pas fonctionnel. Je suis vraiment éteint. Je suis obligé de prendre des plus petites doses. »

La science derrière le break

Les exemples mentionnés ici sont anecdotiques, certes, mais ils ne sont pas anodins. On ne connaît pas toute la science derrière les t-breaks de cannabis, mais on en connaît assez sur le cerveau et les drogues pour comprendre un peu ce qui se passe.

On sait que le cerveau peut développer une tolérance aux drogues, indique le Dr Didier Jutras-Aswad, qui est à la fois chercheur, professeur et psychiatre, et une référence en cannabis et en toxicomanie.

On manque de données pour savoir comment ça fonctionne avec le cannabis, mais c’est le principe général : grâce à certains mécanismes d’adaptation, le cerveau s’arrange pour faire fonctionner normalement ses neurones, même si tu les enfumes de THC. Ça explique pourquoi les consommateurs réguliers en viennent à développer une tolérance à certains effets du cannabis, comme la perte d’attention et de mémoire juste après avoir fumé.

Pour les t-breaks, on peut surtout présumer l’effet d’une pause chez les consommateurs réguliers de cannabis, avance prudemment le Dr Jutras-Aswad. Il explique que la science ne s’est pas penchée spécifiquement sur ce cas, mais qu’on peut en analyser le principe.

« De ce qu’on sait aussi des mécanismes adaptatifs du cerveau, lorsqu’on va arrêter une substance, après un certain temps, le cerveau revient à un fonctionnement normal. Ça semble tout à fait logique que quelqu’un qui se réexpose à une substance pourrait retrouver certains des effets perdus avec le temps », explique le docteur, en précisant que c’est le cas pour d’autres substances.

Les effets indésirables

Pour certains consommateurs, prendre des t-breaks représente un défi. Le Dr Jutras-Aswad souligne qu’un consommateur régulier sur trois va présenter des symptômes de sevrage en arrêtant le cannabis. Et chez les consommateurs « très, très réguliers », ça pourrait dépasser les 50 %.

Les symptômes vont de la légère anxiété, l’insomnie et la perte d’appétit à l’irritabilité et même les malaises gastro-intestinaux. Ces effets varient d’une personne à l’autre. Les données ne sont pas très solides à ce sujet, mais on pense que plus la personne consomme des produits élevés en THC, plus elle aurait des chances de ressentir des symptômes de sevrage.

Dans notre petit échantillon de personnes interviewées, on a plusieurs cas de figure. Annie Gagnon, qui consomme pour ses douleurs, n’a aucun symptôme de manque, même si elle arrête du jour au lendemain. Nathaniel Bélanger, qui consomme pour le plaisir, dit avoir été quelques fois sur les nerfs, avoir eu un peu plus de mal à dormir, sans plus.

Mais pour Maxime, qui était rendu à consommer des concentrés, l’effet de manque est plus intense. Il devient irritable et anxieux, et il ressent par vagues des pulsions qui le poussent à fumer. La première semaine, il ne mange pas, et peut perdre de 10 à 12 livres. Il a aussi expérimenté des terreurs nocturnes et des épisodes de paralysie du sommeil. « Ça n’a pas été le meilleur bout de ma vie, je ne te le cacherai pas. Je m’en serais passé. Le monde dit que le pot, c’est pas addictif, c’est un gros mensonge », dénonce-t-il.

Il demeure nuancé et convient que quelqu’un qui fume de temps en temps les vendredis soir ne s’expose pas à de grands risques. Mais Maxime souffre d’anxiété, d’un trouble bipolaire et d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité : un mauvais cocktail pour y ajouter du cannabis, selon lui. Il considère sa consommation comme un problème. « Je me considère addict à ça », admet-il.

Son cas n’est pas si rare, selon ce que rapporte le Dr Jutras-Aswad. Environ 9 % des consommateurs vont développer une dépendance au cannabis. Le taux augmente chez ceux qui consomment dès l’adolescence : on parle plutôt de 16 % à 17 % de personnes dépendantes.

Mais beaucoup de données sur le cannabis datent d’il y a 10, 20 ou 30 ans, explique le psychiatre, et pourraient avoir changé, avec les taux de THC qui ont graduellement augmenté avec les années. « On pourrait émettre l’hypothèse que les taux de dépendance au cannabis pourraient aussi évoluer, avance-t-il. Il faudrait l’étudier. » De récentes études américaines pointent en ce sens, indique le psychiatre, mais des études supplémentaires seront nécessaires pour corroborer ces informations.

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Sa dépendance au cannabis, Maxime veut s’en défaire. Fumer quotidiennement du pot puissant, c’est trop pour lui. Et quand il arrive à passer l’étape du sevrage, soudainement, il va mieux. Avec sa psychiatre, il a convenu qu’il devait arrêter de consommer du cannabis. La première fois que nous lui avons parlé, il fumait encore un peu, mais il s’apprêtait à entrer au Centre de réadaptation en dépendances de Québec, parce qu’il n’arrivait pas à arrêter par lui-même.

Quelques semaines plus tard, au moment de publier l’article, l’homme de 39 ans n’avait pas encore mis son plan en branle. Avec les Fêtes qui arrivent à grands pas et les multiples rencontres familiales, Maxime ne se sentait pas prêt à être complètement sobre. « J’ai décidé de faire mon break après la période des Fêtes. Ça me stressait trop », a-t-il confié.

La nouvelle année, il la voit d’un bon œil. Il n’a pas pris la résolution d’être sobre – il voit le mot comme ayant une connotation trop négative, « personne ne tient ses résolutions ».

Il préfère voir 2019 comme « un nouveau défi avec la nouvelle année ». Son rendez-vous au centre de réadaptation est pris. Et puis, il commencera alors un nouvel emploi.

C’est, pour lui, un nouveau départ.

Justine de l’Église est sur Twitter.