Préparez-vous à vivre avec des hologrammes

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Je vois Tom en double. Ce directeur commercial aux épaules carrées se tient debout à côté de moi, l’air radieux. Il est aussi en face de moi, sous la forme d’un hologramme humain en tenue de foot. Il fait rebondir un ballon entre ses genoux. « C’est embarrassant, déplore-t-il. Ça fait très longtemps que je n’ai pas joué au foot. »

Nous sommes dans la salle de conférences d’un espace de coworking avec le fondateur de l’entreprise, Janosch Amstutz, et son nouvel employé, Tom Pascoe. Le duo cherche à en mettre plein la vue ; leur regard alterne entre l’écran du téléphone et l’expression de mon visage. Ils veulent être sûrs que leur petite démonstration a l’effet désiré. « Beaucoup de gens me regardent vraiment bizarrement jusqu’à ce que je sorte mon téléphone », m’explique Tom un peu plus tard. « Ensuite, il leur faut environ trois minutes pour réaliser ce qu’ils viennent de voir, et ce n’est qu’après ça que nous pouvons avoir une conversation. »

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La réalité augmentée – ou AR pour « augmented reality » – est une technologie qui permet de superposer des objets virtuels à la réalité. Jusqu’à présent, la technologie a surtout été utilisée pour l’animation – l’exemple récent le plus évident étant Pokémon Go, qui place les personnages du jeu à chaque coin de rue pour que les utilisateurs puissent les découvrir avec leurs smartphones. Pourtant, le potentiel de cette technologie va bien au-delà du jeu.

HoloMe – la société dont j’occupe actuellement les bureaux – est une nouvelle start-up qui cherche à innover dans le domaine de la communication en créant des hologrammes de personnes réelles.

Janosch Amstutz. Photo : Chris Bethell

Janosch a fondé HoloMe il y a huit mois. Avant cela, il était responsable des matières premières pour une entreprise suisse, un boulot qu’il qualifie de barbant – « c’était un peu comme si je déplaçais de gros rochers à travers le monde ». Il avait des projets plus intéressants, alors il a commencé à financer de sa poche un groupe de programmeurs russes avec l’intention de créer des humains dans la réalité augmentée.

« Nous avons trouvé un moyen de créer une interaction humaine que personne d’autre n’avait trouvé », explique Janosch. Il s’exprime avec un accent mi-suisse, mi-australien, et tout le sérieux nécessaire à un fondateur de startup technologique.

En d’autres termes, dès qu’une personne est filmée, HoloMe convertit la vidéo en un « hologramme » réaliste qui peut être visionné à l’aide d’un smartphone ou d’une tablette. L’image, traitée de sorte à apparaître en 3D, occupe l’espace et se déplace. Au cours de notre conversation, Tom montre un de leurs premiers essais : une mannequin se promène dans la pièce vêtue d’une robe à fleurs. Le contenu en lui-même est un peu « femme en robe rouge », mais le résultat est indéniable. Elle est là.

La fiction nous a étrangement donné une idée assez démodée de ce à quoi devrait ressembler un hologramme. Les visions bleues chancelantes de Star Wars sont très limitées par rapport à ce que HoloMe a déjà accompli. Même l’hologramme le plus célèbre jamais produit – celui de Tupac à Coachella en 2012 – n’était qu’une silhouette floue et fantomatique. Les hologrammes que j’ai sous les yeux sont des gens on ne peut plus concrets : nets, détaillés, présents dans la pièce. « Ils sont dans votre espace et vous êtes dans le leur, explique Janosch. L’expérience est complètement différente. Vous êtes là. »

L’idée est que les entreprises puissent recourir à la technologie de HoloMe pour créer une meilleure communication avec les utilisateurs. Les clubs de foot (HoloMe est actuellement en pourparlers avec deux d’entre eux) seront en mesure de téléreporter les nouvelles recrues dans le salon de leurs supporters. Les maisons de disques pourront diffuser des clips dans n’importe quel coin de rue. L’entreprise a déjà rencontré des offices de tourisme et des musées désireux de remplacer leurs guides touristiques par des hologrammes.

Tom a rejoint la société en novembre dernier et vend le concept avec beaucoup d’entrain. Selon lui, quiconque ne voit pas le potentiel de cette technologie a besoin de lunettes. « Les entreprises qui choisissent de l’ignorer sont celles qui ont connu une chute de leurs revenus à Noël, ajoute-t-il. Beaucoup d’entreprises nous contactent maintenant parce qu’elles se rendent compte qu’elles doivent entreprendre un changement pour rester pertinentes. »

Certes, il est vrai que la réalité augmentée a son heure de gloire. Facebook, Snapchat, Instagram et Twitter l’ont tous expérimenté à des degrés divers. En décembre 2016, la start-up américaine Magic Leap – une entreprise qui a levé 1,4 milliard de dollars auprès d’investisseurs, parmi lesquels Google, pour développer des dispositifs d’AR – a été évaluée à 4,5 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, jusqu’à présent, au-delà du filtre chien que votre petite sœur ajoute sur tous ses selfies, l’impact a été faible.

Janosch entend bien changer cela avec HoloMe. Selon lui, les sociétés comme Magic Leap sont des fabricants d’idées « très futuristes » qui produisent très peu de résultats concrets – ce qui est peut-être un peu injuste dans le cas de Magic Leap.

Le duo aime relater les potentiels usages de sa technologie et planche actuellement sur une application qui vous permettra de faire défiler des hologrammes pré-fabriqués à partir des comptes que vous suivez – que ce soit des célébrités, des groupes, des journaux – ainsi que d’envoyer des hologrammes de vous-même à vos amis. De bien des manières, HoloMe pourra se fondre harmonieusement dans le monde physique. « Quand vous serez à proximité d’une maison à vendre et que vous verrez un logo HoloMe sur le panneau, vous pourrez ouvrir l’application et un agent immobilier apparaîtra et vous fera le topo de la maison », sourit Janosch.

La société a également mis au point une version live-streaming, ce qui signifie que les hologrammes pourront être enregistrés et diffusés en temps réel – une avancée réalisée moins de 48 heures avant notre interview.

Le plein potentiel de HoloMe et la promesse d’une réalité augmentée réaliste sont à la fois brillants et alarmants. L’entreprise voit une multitude d’opportunités dans le domaine de la politique. « S’il y a bien une chose qui manque aux politiciens pendant une campagne, c’est le temps », explique Janosch avec enthousiasme. « Bientôt, ils seront en mesure de se trouver en présence de millions de personnes en même temps – vous pouvez multiplier un hologramme à l’infini à l’aide d’un smartphone. » Tom ajoute que HoloMe est déjà en pourparlers avec un parti politique britannique – il ne veut pas me dire lequel – et un autre en Amérique centrale.

https://youtube.com/watch?v=4geLb1T3FQ8

Dans un futur pas si lointain, vous serez en mesure de voir des représentations saisissantes de personnes réelles, juste en face de vous, en temps réel. Janosch évoque la probabilité d’un Skype holographique et la suppression des réunions de boulot physiques.

« Vous n’aurez plus besoin d’aller à la banque – votre banquier pourra se téléporter dans votre salon, poursuit-il. Une fois que la technologie sera suffisamment précise, vous n’aurez même plus besoin d’aller chez le médecin. »

Les signaux d’alarme sont évidents. La technologie de HoloMe pourrait affecter de nombreux métiers, de l’enseignement au service à la clientèle, en les remplaçant par une main-d’œuvre infiniment reproductible de modèles réalistes. Inutile de dire que la potentialité d’hologrammes humains réalistes intégrant l’industrie du porno est aussi inévitable que déprimante.

Janosch insiste sur le fait que HoloMe ne pose pas de problèmes éthiques immédiats, puisque les gens doivent donner leur consentement pour avoir leur hologramme, mais il s’accorde à dire que, de manière générale, la réalité augmentée doit être contrôlée. « L’espace a définitivement besoin d’être réglementé, acquiesce-t-il, et je ne pense pas que cela viendra des grandes entreprises technologiques, je pense que cela doit venir du gouvernement ». Il tient également à souligner ce qu’il considère comme des points positifs écrasants : l’AR permet de mieux voir, de lire plus facilement – il est possible d’utiliser la technologie comme un outil de narration. HoloMe a même eu une réunion avec l’ONU au sujet de la création d’enseignants à distance pour les pays en développement. « Plutôt que d’envoyer un groupe de bénévoles et de formateurs, on pourra envoyer un volontaire avec un tas d’iPad. »

À chaque nouveau développement technologique, nous sommes confrontés à un compromis. Acceptez-vous d’être pistés en échange de directions faciles ? De partager vos habitudes d’achat en échange de recommandations de livres sur mesure ? L’évolution de la réalité augmentée soulèvera des questions quant à l’espace physique que nous occupons. Combien de murs sommes-nous prêts à abandonner ? Quelle partie du ciel sommes-nous prêts à céder ?

Pour l’instant, nous avons le contrôle. Si vous ne voulez pas que les gens entrent dans la pièce à l’improviste, il suffit de garder votre téléphone dans votre poche. Mais avec l’émergence inévitable de la technologie portable, la perspective d’interruptions plus invasives semble inévitable.

La technologie n’en est qu’à ses balbutiements. HoloMe offre un aperçu de la façon dont la « réalité » pourrait s’avérer malléable, mais actuellement, ce n’est qu’une petite start-up pleine d’enthousiasme. Mais Tom et Janosch ne semblent pas inquiets. Au contraire, ils semblent plutôt convaincus qu’ils vont changer le monde.

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