Profession : flic anti-hooligan

Ils avancent masqués, presque invisibles, se fondant dans la masse de spectateurs venus au stade pour voir 22 types se disputer un ballon rond – et parfois, se mesurer à d’autres supporters.

La mission de ces policiers particuliers, surnommés les “spotters” ? Observer, repérer et surveiller les hooligans, ces fauteurs de troubles si souvent pointés du doigt par les autorités. En civil, sans arme, ils traînent autour des enceintes, ou des habituels lieux de rendez-vous des hools, où ils mènent leurs investigations.

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La méthode de travail des spotters peut différer d’un pays à un autre. Certains enquêtent, d’autres non. D’aucun se contentent de cumuler des informations, quand d’autres n’hésitent pas à créer des liens avec ces supporters un peu spéciaux. Mais l’objectif est le même : démanteler ces groupuscules qui aiment autant (et parfois davantage) le foot que la baston.

Pour Vice, l’un d’entre eux a accepté – sous couvert d’anonymat – de dévoiler les ficelles et les subtilités de ce métier hors du commun.

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Pour les hooligans, comme pour n’importe quel autre genre de supporter, tout part du football. Mais avec eux, la passion va beaucoup plus loin. Dans mon pays, qui se situe en Europe du Nord, nous avons deux types de supporters : les casuals, qui s’inspirent des Anglais, et les ultras, d’inspiration latine et italienne. Les ultras se préoccupent davantage du football, des animations dans les tribunes, des abonnements des stewards. Ils sont minoritaires chez nous. Les casuals sont également très attachés à leur club et à leurs couleurs, quoi qu’il arrive et quelle que soit la législation en vigueur en matière de supportérisme et de sécurité. Mais à la différence des ultras, ils ne portent pas ou très peu de signes distinctifs d’appartenance à un club. La raison est simple : c’est comme ça qu’ils passent plus facilement inaperçus et peuvent s’adonner à leur autre passion, la bagarre.

Les casuals sont apparus dans notre pays dans les années 80. A l’époque, chaque quartier de la ville avait sa bande – des jeunes qui se battaient pour faire respecter leur loi dans les bars ou les boîtes de nuit qu’ils fréquentaient. Si une fille d’un quartier se faisait draguer par un mec d’un autre quartier, vous pouviez être sûr de les voir débarquer sur la piste de danse pour remettre à sa place le malheureux qui s’était montré trop entreprenant. Au bout d’un moment, les autorités ont eu marre de ces règlements de comptes et ont fermé ces lieux. Résultat, les bandes ont dû trouver un nouveau territoire à défendre. Ces jeunes se sont emparés du foot en s’inspirant de ce qui se faisait en Angleterre et ont investi les stades. Les premiers hools sont des copies conformes de leurs collègues anglais.

« Pour les hooligans, la bagarre est un jeu. Ils jouent aux cow-boys et aux Indiens »

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On peut donc les comparer à des bandes de gosses qui jouent ensemble, mais aussi, sans que ce soit péjoratif, à des animaux. Si vous ne connaissez rien des hooligans, regardez un documentaire animalier. Vous vous rendrez compte que, parfois, les hommes agissent comme des bêtes. L’homme a vraiment des comportements préhistoriques qui demeurent. On l’a intégré dans nos esprits et nos réflexes de policiers.

Par exemple, on essaye de repérer les suiveurs, qui attrapent plus facilement peur et qui peuvent lâcher des informations. C’est comme dans une meute de loups, on essaye de repérer le plus faible et on l’attaque. On a réussi à en convaincre beaucoup d’arrêter de cette manière. C’est humain en même temps. A force de mettre des amendes, les mecs se font saisir leurs biens, madame n’est pas contente et ça les calme.

« Les hooligans ont pour la plupart un travail, une famille, comme tout le monde. C’est ce qui fait qu’avec l’âge, au bout d’un moment, ils décrochent »

En moyenne, je dirais que sur 200 mecs, 180 retrouvent une vie ”normale”. Je mets les guillemets car les hooligans ont pour la plupart un travail, une famille, comme tout le monde. C’est ce qui fait qu’avec l’âge, au bout d’un moment, ils décrochent.

Ces types réfléchissent, ils ne sont pas cons. Ils ne veulent pas risquer de la prison pour un match de foot. Alors ils arrêtent. Mais tu en as toujours 20 qui n’en sortent pas, car ce sont des logiques de comportement qui sont profondément ancrées en eux. Ils disent toujours qu’ils ne font que se battre contre d’autres qui sont d’accord pour se battre et qu’ils ne sont pas des terroristes. Mais si l’un d’eux meurt, comment vont réagir leurs parents ? C’est aussi pour ça qu’on intervient. Parce que si c’est un jeu à leurs yeux, les conséquences sont bien réelles.

Notre boulot est d’éviter qu’ils en arrivent à de telles extrémités. C’est un travail qui nécessite d’être disponible 24h/24, d’être toujours à la recherche de l’information, d’être observateur et surtout d’écouter, le tout sans poser de question. Il faut également savoir oser – en allant, par exemple, dans les cafés et bars où les hooligans passent leur temps. Il y en a toujours un qui va parler et te donner une information malgré lui. On ne fait pas d’auditions, on ne les convoque pas, ça ne marche pas comme ça. C’est un métier qui nécessite d’avoir déjà pas mal d’expérience. Tous les spotters sont des policiers confirmés.

La priorité, c’est de casser leur anonymat, de leur montrer qu’on sait qui ils sont, ce qu’ils pensent, ce qu’ils organisent, leur état d’esprit. On ne fait pas d’infiltration, mais de l’intégration. On va à leur contact, on les rencontre. On essaie de filmer les faits, de verbaliser, mais aussi de dialoguer, de leur faire comprendre que ce qu’ils font ce n’est pas bien, que ça ne va pas.

Il y a une dimension sociale dans notre travail. La police, ce n’est pas que de la répression, les gens pensent qu’on a seulement un bâton, mais c’est complètement faux, nous aidons les plus faibles. Plus d’une fois, il m’est arrivé de me poser avec l’un d’entre eux et de l’aider à remplir sa déclaration d’impôts ou de répondre à son courrier.

Quand ils réussissent à se retrouver pour se battre, nous sommes les premiers à essayer de les séparer. Mais on ne suit pas seulement les hooligans, on accompagne tous les supporters. Nous avons des conventions européennes avec les autres polices, on échange des infos et on envoie au minimum deux spotters lors des compétitions européennes.

« Le hooliganisme est devenu plus contrôlable, mais le feu intérieur est toujours là »

Notre boulot, c’est de courir après les hooligans – qui inventent toujours de nouvelles techniques. Parfois, on les rattrape, parfois pas… Notre métier change sans arrêt, et c’est aussi ce qui le rend passionnant. Il faut s’adapter aux nouvelles générations, constamment anticiper les évolutions. Aujourd’hui par exemple, c’est devenu un peu plus difficile de récolter des informations. Leurs habitudes ont changé. Avec les mesures répressives, les hooligans ne se battent plus dans les stades, ni même aux alentours des centres-villes.

La mode est au free-fight et les groupes sont plus petits. Ils se donnent rendez-vous dans un bois, dans un parc, à l’abri des regards et de la police, et se battent. C’est plus difficile de trouver un mec qui va parler. A 25, ce n’est pas comme à 250, où tu en trouves toujours un qui parle.

A l’heure actuelle, dans mon pays, le hooliganisme est devenu plus contrôlable, mais le feu intérieur est toujours là, dans le cœur des hooligans. Et ça ne changera pas. Les jeunes doivent toujours se prouver des choses, il y a toujours des coqs qui ont de la fierté. Et comme le foot est très important, ils l’utilisent pour s’affirmer. Mais avec ou sans le foot, ces pulsions trouveront toujours un terrain pour s’exprimer et nous devrons toujours veiller à les canaliser.