Voici le premier jouet sexuel pour hommes trans

Dans la dernière décennie, l'industrie des jouets sexuels a explosé. C'est aujourd'hui un marché de 15 milliards de dollars, et les observateurs prévoient qu'il atteindra 50 milliards d'ici 2020. Il existe maintenant des jouets pour combler tous les fantasmes imaginables, et les tabous autour d'eux tombent un à un. C'est pourquoi il est étonnant d'entendre le militant trans et infatigable entrepreneur Buck Angel affirmer qu'« il n'y a jamais rien eu dans l'histoire des jouets sexuels pour les femmes trans ».

Mais maintenant si. Un nouveau jouet sexuel a fait son entrée dans les boutiques érotiques : le Buck-OFF, un produit d'aide à la masturbation pour les hommes trans ou les femmes en transition. L'objet, que le manufacturier de jouets sexuels pour hommes Perfect Fit distribue, est une création d'Angel. Il a mis cinq ans à le concevoir. C'est une nouveauté radicale dans ce domaine et peut-être un précédent pour les investisseurs et les manufacturiers qui souhaitent élargir leur gamme au-delà des harnais pour dildos et des balançoires.

Le Buck-OFF a été conçu pour les personnes qui prennent ou ont pris de la testostérone en cours de transition, ce qui a souvent pour effet d'accroître les dimensions des organes génitaux. Il ressemble aux autres masturbateurs, à deux différences près : il est plus court et plus large et peut créer une succion. Ces qualités facilitent la masturbation pour les hommes trans et, ce faisant, aide à éliminer la dysphorie que causent parfois les autres jouets.

De nombreuses personnes qui sont en transition ou ont terminé leur transition de femme à homme « ne veulent pas toucher leurs organes génitaux, observe Angel. Il y a une grande dissociation entre eux et leur vagin, qui n'est pas masculin. Quand vous êtes en transition, vous voulez un pénis, vous voulez vous sentir homme et vous ne voulez pas nécessairement toucher votre vagin. Le Buck-OFF vous permet de vous masturber sans toucher votre vagin. »

Comment les hommes trans avaient-ils pu échapper au radar de l'industrie des jouets sexuels jusqu'à maintenant? Alex Iantaffi, sexologue et éducateur sexuel de Minneapolis qui travaille beaucoup avec la communauté trans, pense que le problème découle de la perception de la société. Iantaffi affirme que les trans « représentent presque une forme d'excitation » pour les cisgenres, plutôt que des personnes avec leurs propres droits et besoins sexuels.

On pourrait penser que l'exploitation d'un nouveau marché a préséance sur les préjugés des investisseurs, mais selon Marina Adshade, professeure à la Vancouver School of Economics et auteure d'un livre sur le sexe et l'économie, ils sont loin d'être les calculateurs rationnels qu'on croit, et les préjugés peuvent influencer leurs décisions autant que la quête de profit. « Les investisseurs qui disposent de capital-risque peuvent faire preuve de discrimination, dit-elle. Les études montrent par exemple qu'ils investissent moins dans les projets de femmes entrepreneures. Et le développement de jouets sexuels peut être coûteux. C'est pourquoi on en voit beaucoup sur Kickstarter. Ils ont peut-être pensé que le marché était trop petit. Ils veulent le meilleur rendement pour leurs investissements. »

Angel comprend la prudence des investisseurs. « C'est toujours une question d'argent. Personne ne veut être le premier », pense-t-il. Mais il ajoute que la taille du marché a été sous-estimée. « C'est comme avec le premier ordinateur. Il fallait le prouver : ça va marcher, mes amis. »

Wyatt Riot, employé de She Bop, un sexe-shop de Portland, Oregon, spécialisé dans les produits pour femmes, queers et trans, dit que sa boutique a le Buck-OFF en stock. « Il y a certainement un marché pour des produits comme celui-là. Nos clients nous en demandent. » Il ajoute qu'il souhaiterait en voir plus arriver sur les tablettes. « Souvent, les trans doivent modifier des jouets sexuels pour les rendre compatibles avec eux. » Il donne en exemple le Bro Sleeve, un masturbateur que des hommes trans ont essayé d'adapter. Mais plusieurs d'entre eux rapportent que le résultat n'est pas satisfaisant, ce qui nourrit la dysphorie.

Iantaffi applaudit la volonté de reconnaître les besoins sexuels des personnes trans. Selon lui, il est essentiel qu'ils aient à leur disposition des jouets qui leur correspondent. Ce peut être « inestimable quand une personne explore son corps et sa sexualité ». Cependant, il s'inquiète aussi du marketing des poriduits comme le Buck-OFF. « Le marketing et les jouets sexuels pour trans représentent une autre façon de tirer profit du corps. Je pense que des produits comme celui-là qui arrivent dans les sexes-shops ont le potentiel de renforcer le discours voulant que les trans sont différents de la norme, soit implicitement les cisgenres et cissexuels. J'aimerais que le marketing des produits se concentre sur les fonctions plutôt que sur le genre. Après tout, l'opposition transgenre-cisgenre est aussi binaire qui reproduit le cisgenrisme, même si le but est de reconnaître les personnes trans. »

Angel croit que son produit peut aider à atteindre cette reconnaissance des personnes trans. Il aimerait que les sexologues et les éducateurs sexuels s'en servent comme instrument d'apprentissage pour aider les hommes trans à interagir avec leur corps. Objectif valable.

Après seulement une semaine sur le marché, les clients comme les détaillants sont enthousiastes. « On a du succès partout dans le monde », dit-il. « J'avais tout essayé pour me sentir bien quand je me masturbais. Maintenant, je me sens enfin comme l'homme que je suis quand je le fais, grâce à vous, lit-on dans l'une des premières critiques du Buck-OFF sur le site web de Perfect Fit. Je vous aime de tout mon cœur, Buck. »

Neil McArthur est le directeur du Centre for Professional and Applied Ethics à l'Université du Manitoba. Ses travaux portent sur l'éthique et la philosophie de la sexualité. Suivez-le sur Twitter.