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La caverne de la brutalité - la profession d'enseignant

Alors que j’écris ceci, un tote bag odieux repose dans ma cuisine, au-dessus d’une pile de nourriture en voie de décomposition. Si vous veniez chez moi et que vous extirpiez le tote bag de ma poubelle qui pue, vous seriez en mesure de lire le message inscrit en cercle dessus :

ENSEIGNEZ LA LECTURE SANS RÉPIT

À l’intérieur de ce cercle à la composition débonnaire, le message se poursuit :

TOUS LES ENFANTS

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TOUS LES JOURS

TOUTES LES CLASSES

TOUS LES ANS

Ce sac a été remis gracieusement à un membre de mon foyer, qui enseigne à des maternelles. Le district auquel elle est rattachée arrose régulièrement ses employés d’un stock de petits objets cheap et made in China : ainsi, nous n’avons pas la moindre idée du temps que ce tote bag a passé chez nous. C’est seulement cette semaine que nous avons pris la peine d’analyser son message – message qui échouait d’une façon saisissante, au moins à quatre niveaux :

1. EN TANT QU’OUTIL MOTIVATIONNEL

« Hé, toi le prof. Prends ce tote bag gratuit. C’est sympa, hein ? Avec un peu de chance, il va te convaincre qu’on t’a filé ce job pour te punir d’être né. Peu importent tes efforts, tu ne seras jamais à la hauteur. À bientôt. »

2. FACTUELLEMENT

Littéralement, les enseignants ne devraient pas apprendre à lire à tous les enfants de toutes les classes. Mettons que vous êtes prof de CE1, par exemple : vous vous feriez réprimander si, de votre propre initiative, vous essayiez d’enseigner à des élèves de sixième. Si vous vous obstinez à passer de classe en classe pour enseigner la lecture sans répit à tous les enfants que vous pourrez trouver, vous finirez au chômage et, au final, en prison. Si vous continuez à enseigner la lecture sans répit en prison, votre qualité de vie risquera d’en souffrir.

Il nous faut également préciser qu’il n’est pas souhaitable d’enseigner la lecture tous les jours de tous les ans. Les week-ends, par exemple. Les week-ends sont là pour que les enfants regardent des dessins animés et construisent des châteaux forts. Et l’été. Les enfants ont besoin de l’été pour recharger leurs batteries. C’est prouvé scientifiquement. Donc si vous pénétrez par effraction dans la maison d’un enfant, en juillet ou en août, et que vous tentez de lui apprendre à lire sans répit, il y a de fortes chances pour que vous vous retrouviez à nouveau en prison. Mais vous pourriez utiliser le tote bag comme preuve à décharge.

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3. COMME ACRONYME

Vous avez déjà entendu un professeur prononcer « ELLSR » au cours d’une conversation professionnelle ? Non. C’est parce que c’est un acronyme de merde dans une profession où règnent en maîtres les acronymes de merde. Est-ce que l’armée a le même problème ? Nan. Leurs acronymes, en général, sont géniaux, genre FUBAR.

4. EN TANT QUE CADEAU

« Hé, toi le professeur. Prends un tote bag gratuit. C’est sympa, hein ? Avec un peu de chance, il va te convaincre qu’on ne te prend jamais au sérieux, ni en tant que professionnel, ni en tant qu’adulte. Et on en a plein d’autres en réserve. Amuse-toi bien. »

Il y a un truc que ce tote bag fait correctement. Il résume à lui seul la brutalité paradoxale du métier d’enseignant au XXIe siècle. C’est déjà difficile de voir à quel point l’image des profs est mise à mal par des films comme Waiting for ”Superman” (prof = incompétent gâté), Bad Teacher (prof = incompétent sexy), ou par toutes les pancartes des manifs du Tea Party (prof = incompétent communiste qui Enseigne le Jihad Socialiste Sans Répit). C’est déjà difficile quand les politiciens assimilent les syndicats d’enseignants à des supporters de combats de chiens. C’est déjà difficile quand Bush, puis Obama, imposent à chaque classe des tests de niveau dignes de l’âge d’or du soviétisme. Mais en plus, les profs sont constamment rabaissés par leur hiérarchie. Vous avez déjà vu un flic serrer contre lui un tote bag COMBATTRE LES CRIMINELS SANS RÉPIT ? Non, parce que ce serait hyper con.

Autre chose que les flics n’ont certainement pas à supporter : les enseignants ne sont pas mieux traités, au quotidien, que des criminels sexuels. L’an dernier, le LA Times s’est mis en tête de noter les profs, nommément, en fonction des résultats aux tests de leurs classes. Un prof de CM2 dans une école difficile, bouleversé de s’être fait insulter par un grand journal, s’est jeté d’un pont en septembre. Sa famille a probablement dû balancer un bon tas de petits cadeaux insultants.