L'Homme qui s'apprête à brûler six millions d’euros d’objets punks

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Culture

L'Homme qui s'apprête à brûler six millions d’euros d’objets punks

Le fils de Malcolm McLaren et Vivienne Westwood nous explique pourquoi il va détruire un pantalon ayant appartenu à Johnny Rotten, et plein d'autres trucs inestimables.

Joe Corré nous montre une poupée à l'effigie de Sid Vicious, habillé en nazi

Le 26 novembre prochain marquera le 40e anniversaire de la sortie d'« Anarchy in the UK » des Sex Pistols. Pour l'occasion, Boris Johnson, l'ancien maire de Londres, brûlera publiquement des souvenirs punks d'une valeur de six millions d'euros – et ce juste devant les portes de Buckingham Palace.

« En tout cas, c'est le plan A », précise Joe Corré, cofondateur d'Agent Provocateur et fils de la styliste Vivienne Westwood et du manager des Sex Pistols Malcolm McLaren. « J'ai demandé à Boris de se joindre à moi, puisqu'il a déjà l'habitude de brûler de l'argent devant les sans-abri*. Tous les punks du Royaume-Uni – s'il en reste – sont invités à en faire autant. »

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Corré a récemment provoqué un tollé lorsqu'il a annoncé son intention de mettre le feu à ses souvenirs afin de protester contre l'appropriation de la culture punk par le mainstream. C'est le Punk London – un festival organisé pour célébrer les « 40 ans de la culture subversive », soutenu par le maire et même, selon Corré, par la reine – qui est à l'origine de cette rage.

« Le punk est devenu une attraction touristique – ce n'est pas nouveau. Mais ça, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase », ajoute Corré alors que nous discutons dans sa boutique, A Child of the Jago.

« Quand j'étais petit, je m'asseyais sous la machine à coudre de ma mère et je la regardais faire », précise-t-il, pendant que lui et son amie, la styliste et mannequin Daniel Lismore, rangent les articles dans des sacs vides. « Parfois, la police faisait des descentes et confisquait tout le stock. Certains vêtements étaient interdits et les gens qui les portaient se faisaient arrêter. Plus tard, j'ai vendu tous mes souvenirs afin de lancer Agent Provocateur. J'ai tout racheté quelques années après. Ces vêtements ont toujours fait partie de ma vie. »

Les objets dont ils parlent – un pantalon ayant appartenu à Johnny Rotten, une poupée à l'effigie d'un Sid Vicious nazi – pourraient pousser le plus honnête des hommes à commettre un vol.

« J'étais toujours fourré dans les bureaux de Glitterbest – là ou trainaient les Sex Pistols, le bureau de mon père, dit-il. Je prenais tout ce que je pouvais trouver : des affiches, des dossiers, n'importe quoi. J'ai tout gardé. Cela compte beaucoup pour moi. »

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Et pourtant, tout est désormais voué à disparaître dans les flammes.

« J'ai hâte de voir quel genre de phénix renaîtra des cendres, déclare Corré. Si j'arrive à organiser ça devant Buckingham Palace, ça risque d'être mémorable. »

Joe a eu la gentillesse de nous raconter l'histoire de ces objets condamnés.

SEINS. SEDITIONARIES, CIRCA 1976-1980

Cet objet vient de Seditionaries. Quand mes parents se sont installés sur King's Road, ils ont d'abord baptisé leur boutique Let It Rock. Ils vendaient surtout des pièces issues du mouvement des Teddy Boys. Mon père avait l'habitude d'aller à Brick Lane pour dénicher de vieux gilets de l'époque édouardienne, des manteaux drapés. Puis la boutique a changé de style et est devenue Too Fast to Live, Too Young to Die. On y trouvait plutôt des trucs de biker. Ensuite, le nom a été changé en SEX. Mes parents vendaient des vêtements fétichistes, des fouets et des chaînes. C'est aussi à cette époque que l'esthétique punk est née – des vêtements déchirés et des inscriptions sur les manches. Enfin, SEX est devenu Seditionaries : des vêtements pour les prostituées, les héros, les lesbiennes et les punks.

JUPE EN CUIR ET HAUT. SEX, CIRCA 1975

Cette jupe a besoin d'une retouche. C'est l'une des jupes de ma mère, elle vient de SEX. Ma mère travaillait avec plein de gens – les motards et les Hells Angels s'occupaient du cloutage et du cuir, par exemple. Notre appartement grouillait de mecs comme ça.

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BLANCHE NEIGE. SEDITIONARIES, CIRCA 1976-1980

C'est un t-shirt en mousseline provenant de Seditionaries. Il y a beaucoup de dessins célèbres datant de cette époque – notamment ceux représentant Blanche-Neige les seins à l'air, ou des cow-boys le pantalon baissé. Il s'agissait de désacraliser des symboles – Walt Disney, les croix gammées, des images pédophiles ou de relations sexuelles entre gays.

FUCK YOUR MOTHER. SEDITIONARIES, CIRCA 1976-1980

Quand vous n'êtes encore qu'un enfant, vous vous contentez de porter ce que votre mère vous donne. J'ai porté ces vêtements dès mon plus jeune âge parce que ma mère me les mettait sur le dos. Finalement, je ne les ai jamais quittés, parce que je les aime vraiment. Ils faisaient réagir les gens.

J'ai grandi dans le sud de Londres aux côtés d'enfants d'immigrés. Les médias étaient complètement contre nous et nous harcelaient. Ils nous détestaient et nous voyaient comme l'ennemi public numéro un. J'étais à la maison quand le Front national britannique a débarqué pour briser nos fenêtres et encercler notre appartement. Quand j'ai regardé dehors, j'ai vu mes copains – tous ces enfants d'immigrés – aider le Front national à casser nos vitres ! En réalité, nous étions haïs par tout le monde, pas seulement par l'establishment.

YOU'RE GONNA WAKE UP ONE MORNING AND KNOW WHAT SIDE OF THE BED YOU'VE BEEN LYING ON. SEDITIONARIES, CIRCA 1976-1980

Vous devez choisir de quel côté vous êtes. D'un côté, il y a la télévision. C'est de la merde. Mick Jagger, c'est un con. Puis de l'autre côté, il y a Eddie Cochran, Christine Keeler, Raw Power, le SCUM Manifesto, Ronnie Biggs, les rude boys jamaïcains, Bamboo Records. C'est une liste de ce qui est bien, et de ce qui ne l'est pas.

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POUPÉE SID VICIOUS, CIRCA 1980

Je me souviens avoir fabriqué cette poupée avec ma mère. Nous avions passé une nuit entière à défoncer le visage de centaines de poupées, tout en prenant soin d'enlever leur poitrine à l'aide d'un couteau brûlant pour qu'elles ressemblent à des mecs. Ma mère a conçu les petits vêtements.

HAUT NOIR. SEDITIONARIES, CIRCA 1976-1980

Cette pièce était très populaire. C'était l'un des looks classiques : un pantalon « bondage » et une veste assortie. C'est ma mère qui l'a inventé. S'inspirer de l'idée du bondage, c'est à elle qu'on le doit. Aujourd'hui, les gens pensent qu'ils portent un pantalon bondage juste parce qu'il possède quelques fermetures supplémentaires, mais ils se trompent. J'avais un super pantalon en cuir et à rayures et je l'ai porté jusqu'à l'usure totale.

BIKINI EN CUIR. SEX, CIRCA 1975

Je n'ai pas de problèmes [psychologiques]. Je souhaite faire passer un message. Les gens ont du mal à comprendre pourquoi je désire brûler des souvenirs d'une valeur de six millions d'euros.

PANTALON DE JOHNNY ROTTEN

Johnny Rotten n'a jamais aimé les enfants. Ou du moins, il ne m'a jamais aimé – peut-être parce qu'il n'aimait pas mon père, qui se vantait d'avoir transformé ce groupe de gamins en Sex Pistols. Johnny répondait que personne ne l'avait « créé », et je pense qu'il avait raison. Les Sex Pistols n'auraient jamais existé sans lui. C'était un homme incroyable. Je n'avais jamais vu ça. Mes cheveux se dressaient sur ma tête dès que je le voyais. Il a fini par devenir mégalo, mais c'est le cas de beaucoup de monde, non?

*Il fait référence à l'allégation selon laquelle Boris Johnson et David Cameron auraient brûlé des billets de banque devant un SDF pour pouvoir entrer au Bullingdon Club, ce qui constituait un rite d' initiation à lpoque où ils étudiaient à Oxford.

Charlie et Chris sont sur Twitter.