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Musique

Vivian Grezzini organise des concerts de noise en hôpital psychiatrique pour traiter ses patients

En outre, cet infirmier cherche à faire de Bourg-en-Bresse la capitale du grindcore.

Photo publiée avec l'aimable autorisation de Vivian Grezzini​

Derrière le projet « Écoute la Mer​de» se trouve Vivian Grezzini, un jeune homme sans formation musicale particulière qui bidouille de vieux synthés trouvés dans des brocantes. En parallèle de ce projet, il a monté le label Underg​round Pollution Records, qui lui permet de faire des concerts jusqu'en Chine et en Russie. Et comme tout grand musicien, Grezzini a également un « v​rai​ » mé​tier : il est infirmier dans un hôpital psychiatrique situé dans le département de l'Ain, moins par vocation que par nécessité financière. En outre, il propose des concerts et des ateliers noise comme soins supplémentaires à ses patients, tout en cherchant à faire de Bourg-en-Bresse une sorte de capitale de la scène grindcore internationale.

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J'ai rencontré cet alchimiste des matières fécales et des bruits massifs pour lui poser quelques questions sur ses patients, les concerts qu'il organise dans son hôpital et ses ateliers noise.

Photo ​via​

VICE : Quel est le profil psychologique des patients de ton service ?
Vivian Grezzini : Ils ont une étiquette qui n'existe pas – par défaut, on dit qu'ils sont atteints d'une « psychose déficitaire grave ». Ce sont des patients bloqués dans des problématiques qui varient entre 6 mois et 3 ans d'âge mental. Ils ont peu de capacités relationnelles, pas forcément accès au langage, et beaucoup sont incontinents. Certains ont grandi à l'hôpital, et malheureusement, on sait qu'ils mourront également là-bas. La majorité des 31 personnes que l'on a en charge sont dans ce cas spécifique.

Et les tableaux cliniques sont lourds : beaucoup jouent avec leurs selles. On dit alors que ça relève de la psychiatrie, alors qu'ils n'ont rien à y faire. Le problème est sociétal : est-on prêts à intégrer ces personnes dans des lieux autres que l'hôpital psychiatrique ? Historiquement, ce sont des populations qui intéressent peu les médecins parce que leur cas ne relève pas de la psychiatrie « noble ». C'est difficile de le faire reconnaître, d'autant plus que l'enjeu de l'hôpital est de les conditionner pour les placer dans des foyers médicalisés, et non pas de voir ce qu'il se passe chez eux. Nos patients sont systématiquement casés ailleurs, surtout quand ils deviennent vieux et s'affaiblissent.

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Photo : Mélissa Monrazel

Comment en es-tu venu à organiser des concerts de noise pour les patients ?
​Au début, il n'y avait aucune activité proposée aux patients dans mon boulot. Il a fallu trouver des outils pour casser la routine et donner plus de sens à ce que je faisais. Je suis parti de ce qui me parle vraiment : le son. J'ai ensuite vérifié s'ils accrochaient à ce format-là. Le but n'était pas de leur imposer quelque chose, même si c'est généralement compliqué de savoir ce qui leur plaît ou pas.

J'ai monté un atelier d'initiation au son pour nos patients les plus autistiques. La démarche est plutôt humble : on se met dans une pièce – deux patients et un soignant – et on écoute du bruit. On fait tout sur vinyle pour que les patients aient des points matériaux auxquels se raccrocher : le CD n'est qu'un bout de plastique, alors qu'une platine vinyle est constituée de sillons, d'un bras, et de biais mécaniques visibles.

Ensuite, nous avons mis les concerts en place. Le premier s'est déroulé en juin 2011, avec Lucas Sigurta qui venait jouer gratuitement. Le concert s'est bien passé, et le médecin-chef m'a dit que j'avais carte blanche pour faire venir des musiciens tous les mois. On a aussi monté un studio pour faire participer les patients qui ont le plus de capacités. Nous n'intervenons pas, on leur montre juste une ou deux fois comment ça marche et ils se débrouillent. Ils ont une batterie, une basse, des guitares, des pédales d'effet, des synthés, des micros de contacts, des flûtes, des bouts de tôle, un peu de tout.

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Et ça donne quoi ?
​S'ils veulent taper dans le matériel, casser, crier c'est le moment d'y aller. Il n'y a pas de règle, c'est leur salle d'exutoire. Par exemple, j'ai un patient qui joue de la guitare avec ses pieds. Il la pose par terre, il marche dessus, il la matraque. Je ne sers que de vecteur. Le son qui en ressort est chaotique, et tout peut varier d'une séance à l'autre. Tout dépend de l'humeur du moment, du soleil, de ce qu'ils ont mangé à midi… Ça part dans tous les sens, c'est brut, c'est un processus de vie qui ne se cale pas sur les attentes que les autres peuvent avoir. Une séance peut durer deux minutes comme trois heures.

Il nous a fallu un an pour trouver la sensibilité de chacun, identifier leur préférence et tenter de les faire communiquer entre eux à travers la musique.

J'ai vu que tu avais également monté un festival.
Oui, le « Bourneville fest ». La première édition s'est déroulée en septembre 2012 dans la cour de l'unité, qu'on ouvre exceptionnellement à tous les autres patients. La programmation est sensiblement la même que pour eux, mais élargie à toute la population hospitalière. C'est beaucoup plus festif que les concerts mensuels qui ont une visée thérapeutique. C'est bénéfique pour l'image que l'on a d'eux d'habitude : l'unité est située tout au bout de l'hôpital, les gens les considèrent comme des légumes… Je recherche l'esprit des anciennes kermesses qui s'est un peu perdu, mais sous le prisme du grind et du noise.

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J'opte pour une programmation grindcore avec formation basse, batterie, guitare, quelque chose qui soit au moins visiblement associable à de la musique. Mais ça reste du son ultra violent.

Photo : Mélissa Monrazel

As-tu rencontré des obstacles pour faire des concerts de noise et de grind pour des handicapés mentaux ?
​Le processus a été long à mettre en place et c'est encore fragile aujourd'hui. Je n'ai aucune aide extérieure et je gère tout : le contact des groupes, la communication, le matériel, et même l'hébergement – les artistes viennent dormir et manger chez moi. Tous les mois, l'hôpital donne un défraiement symbolique de trente euros. Ce mois-ci, c'est Mesa of The Lost Woman & Junko (Junko Hiroshige, la Japonaise qui joue entre autre dans Hijokaidan !) qui sont venus : qu'ils viennent de Tokyo ou de Tourcoing, on aura toujours que trente balles.

J'annonce la couleur tout de suite quand les artistes me demandent de venir jouer. J'essaye de leur proposer une date pendant leur tournée pour qu'ils ne perdent pas de thunes en venant à Bourg-en-Bresse. Je fais l'effort de ne jamais contacter les groupes, j'attends que la rencontre se fasse par le bouche-à-oreille. Et ça marche plutôt bien, j'ai des dates jusqu'en février 2016 là !

Tant mieux. Quels regards portent tes collègues sur les concerts et les ateliers ?
​Je travaille sur la dissonance : certaines personnes comprennent et voient l'intérêt pour les patients, d'autres restent bloqués sur l'aspect rédhibitoire du bruit qui est agressif. Mon médecin-chef a tout de suite compris, la direction semble encore avoir du mal – mais ils me laissent faire.

Quel est l'intérêt pour les patients d'écouter de la noise ?
Les patients de mon unité ont un problème de contenance : les limites corporelles ne sont pas intégrées dans leur esprit. On peut avoir des personnes qui se sentent complètement éclatées, qui perçoivent leur chambre comme leur corps. Si tu rentres dans leur chambre, c'est comme si tu les violais, symboliquement. Ils ont parfois besoin d'être attachés à leur lit pour se rassembler et trouver leurs limites corporelles. Je me suis dit que de travailler avec des sons massifs, les vibrations et les bruits violents allaient les aider à se recentrer. Il fallait quelque chose d'agressif, de « rentre-dedans » pour que ça marche. C'est cette hypothèse-là que j'essaye de vérifier. Et visiblement, c'est plutôt positif pour eux, ça en apaise certains.

On peut parler de musicothérapie ?
​Pas du tout, parce que c'est déjà un processus de normalisation, ça formate les gens avec de la musique et une approche conditionnée. Moi, je travaille avec le son brut, pas avec de l'esthétique ni du joli. L'avantage, c'est qu'il n'y a pas besoin d'avoir fait des études pour connaître des sonates et le reste : c'est quelque chose qui se vit, qui prend aux tripes.

Avec tous ces concerts, ces ateliers… quel est ton but, finalement ?
​Au final, toute la question est de laisser des espaces de liberté. L'hôpital est un lieu de soin. Le but n'est pas qu'ils restent chez nous et que ça se passe bien chez nous, mais de les placer ailleurs. Les ateliers et les concerts permettent de voir comment ils réagissent face à l'imprévu et à l'inconnu. On les prépare pour leur sortie.

Merci, Vivian.