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Comment j’enfreins les règles de la prison pour contacter ma famille

Repas sautés, portables de contrebande et solitude permanente : de la difficulté d'appeler ses proches en prison.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Illustration : Dola Sun
Illustration : Dola Sun

« Life Inside » est une collaboration entre le Marshall Project et VICE, qui propose des témoignages de prisonniers ou de personnes travaillant dans le milieu carcéral américain. Ici, un de nos interlocuteurs explique brièvement comment il parvient à avoir des nouvelles de ses proches.

Le plus dur en prison, c'est la solitude.

Il m'est difficile de parler à ma famille. Elle ne peut pas se permettre de passer des coups de fil en PCV, et je n'ai pas les moyens de passer des appels depuis la prison. De temps à autre, quelqu'un m'envoie une lettre concernant le récent décès d'un proche ou les problèmes dans le voisinage en général, mais ça s'arrête malheureusement là.

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Comme je suis en prison depuis longtemps, j'ai appris à contourner les questions d'argent pour que l'on puisse se parler. Parfois, je rencontre un gardien sympathique à qui je décris tout ce que je traverse – je lui parle des difficultés que je rencontre pour maintenir un semblant de contact avec ma famille. Et parfois, le gardien en question me prend en pitié et va m'acheter un téléphone prépayé pendant son jour de congé. Il l'active et le fait passer en prison en le cachant dans son déjeuner. Puis, il me l'amène quand arrive le bon moment.

Tout ce qu'il demande, c'est que je ne le balance pas si je me fais attraper.

J'ai trouvé un autre moyen de rester connecté à ma famille : je vends mon petit-déjeuner, mon déjeuner ou mon dîner à un autre prisonnier en échange d'un appel.

Il arrive que je n'obtienne pas de nouvelles de mes proches pendant plusieurs années – soit parce que leur ligne a été désactivée, soit parce qu'ils ont changé d'adresse faute de pouvoir payer le loyer, ou encore parce qu'on m'a transféré d'une prison à une autre. Durant ces longues périodes, j'ai le sentiment d'être abandonné. Et quand ils finissent par appeler, je leur demande s'ils m'aiment vraiment.

Après quoi je me maudis, parce qu'il s'avère que je n'aie aucune idée de ce qu'ils traversent de l'autre côté des barreaux. Pour ce qui est de la nourriture et de l'argent, je suis peut-être mieux loti en prison que ma famille ne l'est dans le monde libre.

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Ce qui est sûr, c'est que la vie en prison est difficile sans le soutien de ma famille. Il faut même une énergie surnaturelle pour tenir le coup.

Je comprend de plus en plus les détenus qui disent : « Personne ne se soucie que je vive ou que je meure. »

Quand je rencontre des mecs de ma ville natale qui sont libérés, je leur donne désespérément des photos et des adresses, les suppliant de retrouver les membres de ma famille, de leur dire où je suis, que je vais bien, que je les aime et que j'espère entendre de leurs nouvelles au plus vite.

J'accepte tout ce que je vis ici comme un homme, parce que je me suis moi-même mis dans cette situation merdique.

J'ai peur que les six dernières années qui me restent à passer derrière les barreaux ne me fassent perdre ma famille pour toujours.

L'auteur purge une peine de 17 ans en prison pour avoir tenté de commettre un vol à main armée. Son nom n'a pas été divulgué pour des raisons évidentes.