Une semaine sur les terres de Dieu au Creation Festival

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Société

Une semaine sur les terres de Dieu au Creation Festival

Chaque année, les plus grands musiciens chrétiens se retrouvent dans un centre de vacances de 15 hectares en Pennsylvanie.

Cet article est extrait du « Numéro Musique »

« Tu vas adorer Sheetz, Eric », m'a dit le pasteur Steve Price, au volant, tandis que nous quittions le parking d'une église du centre de la Pennsylvanie. Nous étions suivis par une congrégation de jeunes chrétiens. « Il ne s'agit pas d'une simple station-service. C'est une véritable expérience culinaire. » Price avait raison. Deux heures plus tard, on me servait des boulettes de mac'n'cheese tout droit sorties de la friteuse. Je n'avais jamais entendu parler de cette variante locale de junk-food. C'était douteux. Mais délicieux.

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Lorsque j'ai gobé ces boulettes au fromage, un gamin du groupe – dont j'avais déjà oublié le nom – m'a demandé ce que j'en pensais. « Pas mal », ai-je répondu. Puis Caleb – un gamin dont je n'ai toujours pas oublié le nom –, m'a posé une autre question, plus compliquée : « Pourquoi as-tu arrêté d'aller à l'église ? » J'ai réfléchi un instant, avant de lui dire la vérité : « J'ai remis en question quelques trucs. » Il a levé les yeux et s'est dirigé vers les toilettes. Je me suis demandé si je n'avais pas été trop con. Venais-je de lui planter une graine dans le cerveau qui allait le faire disjoncter tôt ou tard ? Ou s'en foutait-il royalement ? De mon côté, je n'avais pas menti; j'avais véritablement remis en question certaines choses. Je m'étais notamment demandé pourquoi Dieu ne respectait pas les gays, n'aimait pas le sexe et pouvait laisser certaines âmes partir en enfer.

J'étais donc chez Sheetz, à manger des boulettes de mac'n'cheese et à remettre en question ma foi – ou plutôt, mon manque de foi. Nous nous préparions à aller dans un festival de rock chrétien de la Pennsylvanie rurale. Pour être franc, j'avais plusieurs raisons de participer au Creation Festival. En tant que journaliste musical ayant remarqué que de plus en plus d'artistes faisaient mention de leur foi dans leurs textes – et notamment Kanye West, Kendrick Lamar ou Chance the Rapper, qui a sorti un album entier de gospel-rap en mai –, je me demandais si la musique chrétienne craignait toujours autant. Je voulais aussi savoir à quoi ressemblait un festival capable de rassembler des dizaines de milliers de chrétiens au nom du rock'n'roll, genre musical pourtant indissociable du monde des toxicos, du sexe et de la rébellion. Enfin, j'espérais comprendre pourquoi j'avais moi-même abandonné la foi. En fait, toutes les questions que je me posais étaient des excuses afin de répondre à celle-ci.

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Durant mon enfance, je participais chaque été à des colos chrétiennes. On était hébergés dans divers campus de l'Iowa. Comme il faisait super chaud, on se demandait à chaque s'il allait y avoir de l'air conditionné dans nos chambres ou pas. Il est arrivé qu'il n'y en ait pas. Croire en Dieu à ce moment-là devenait alors plus compliqué, mais on le faisait quand même.

Ma vision de la foi était simple – quoique compliquée à décrire. Si on m'avait demandé à l'époque, j'aurais certainement répondu : « Je n'ai pas de religion; c'est plus une sorte de relation. » Quand on lui pose la question, le pasteur Price répond d'ailleurs quelque chose du même ordre. Comme moi à une époque, il pense que Jésus-Christ est mort pour nos péchés. Et que, quand on l'a crucifié, il portait tous les péchés du monde sur son dos. Pour aller au paradis, il suffisait alors « d'accepter Dieu dans [son] cœur ». Une sacrée affaire.

Contrairement à la plupart des enfants, j'adorais aller à l'église. J'y avais trouvé une communauté, une famille et des amis. Dès l'école primaire, j'allais à la Grace Christian Fellowship, une église chrétienne non confessionnelle d'environ 150 personnes. Peu après, je me suis joint à son groupe de jeunesse. Je jouais de la guitare durant les messes. Je faisais de mon mieux pour aimer Jésus, et cela a duré plusieurs années.

Puis, lors de mon année de terminale, il m'a fallu choisir une université. L'appel de Dieu m'a motivé à rejoindre l'université Oral Roberts. Je souhaitais devenir pasteur – écrire cette phrase m'est aujourd'hui étrange. Que signifie être « appelé par Dieu »? Pour être honnête, je n'en sais absolument rien. À l'époque, ça me semblait juste la meilleure chose à faire. C'est pourquoi je l'ai fait.

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Puis, j'ai eu ce que les chrétiens appellent une « crise de la foi »; d'autres appellent ça « grandir ». C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me poser des questions. Quand je suis arrivé dans cette fac – dont la réputation avait déjà été entachée par des affaires de corruption –, tout s'est mis à se casser la gueule. Être chrétien commençait à me coûter pas mal de fric. Surtout, je ne voyais plus le monde avec la même insouciance. Je commençais à capter de quelle façon la gentillesse pouvait être utilisée pour manipuler des gamins – chose qui, évidemment, m'était arrivée à moi aussi. À la fin de ma première année, j'ai rassemblé mes bouquins, mes fringues et ma guitare. Je suis rentré chez moi et ne suis jamais retourné à l'université.

Le Creation Festival est similaire aux autres festivals en de nombreux points. Les dizaines de milliers de participants ont assisté aux shows les plus populaires sur la scène centrale ; les concerts indie étaient donnés sur la plus petite.

Chaque année, pendant près d'une semaine, les plus grands musiciens chrétiens se retrouvent à l'Agape Farm, un centre de vacances de 15 hectares en Pennsylvanie. 40 000 à 10 0000 fans de musique chrétienne font la même chose. On surnomme souvent la région autour d'Agape la « terre de Dieu », et l'on comprend pourquoi: on y trouve tout un tas de collines verdoyantes et de petites criques. En arrivant en voiture, je me suis fait la réflexion que je n'avais jamais vu de nuages aussi duveteux. Si Dieu existait, peut-être s'agissait-il en fait du peintre Bob Ross: la terre de Dieu ressemble étrangement à ses œuvres réalisées en direct à la télé. Tandis que Price et moi nous dirigions vers la ferme, suivis d'une vingtaine de voitures remplies de jeunes, je lui ai demandé comment il connaissait la direction. Il s'est marré. « Quiconque va au festival sait comment y aller », m'a-t-il dit. J'ai admiré sa façon de me répondre par une réponse qui objectivement, n'en était pas une.

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Le Creation Festival est une sorte de grand camp chrétien où l'on joue, en permanence, de la musique bas de gamme. Comme la plupart des festivals, on y trouve une grande scène et une plus petite. Les grands shows, comme celui des Newsboys (les U2 chrétiens), sont organisés sur la grande scène; les concerts indie ou punk le sont sur la petite.

Parfois ceci dit, la musique pouvait être à peu près écoutable. Elle manquait d'inspiration, certes; mais la musique chrétienne n'a, de toute façon, jamais eu vocation à être la plus cool. La tête d'affiche du premier soir, un groupe australien nommé For King & Country, était une sorte de Coldplay version chrétienne. Leur performance fut spectaculaire, accompagnée de nombreux jeux de lumières. Le groupe entraînait la foule avec lui, et j'avais comme l'impression d'assister au spectacle d'un magicien. Leur musique n'avait, en revanche, rien de bien transcendant. De fait, chaque groupe chrétien est en quelque sorte la version religieuse d'un « vrai » groupe de musique. Ces concerts permettent aux chrétiens de s'amuser d'une façon qui ne contrevient pas à leur foi. Lorsque le journaliste John Jeremiah Sullivan avait participé au festival il y a une dizaine d'années, il avait écrit dans GQ : « Le rock chrétien est le seul genre musical farouchement hermétique à l'excellence. »

Andy Mineo est un rappeur chrétien mais il n'aime pas être labélisé comme tel. Il m'a longuement parlé des obstacles que le genre s'imposait de lui-même. « Les chrétiens veulent des trucs qui les encouragent dans leur voyage spirituel. Quand on met cette étiquette sur une œuvre, ça aide à trouver une audience, dit-il. Mais ça limite aussi cette audience. Un titre chrétien ne donnera pas forcément envie aux non-chrétiens de l'écouter. »

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« On vous a probablement dit qu'il s'agissait du Woodstock chrétien», m'a avancé Lora Harrison, une jeune femme de notre groupe. Puis, elle est partie d'un grand fou rire. « C'est, en effet, une sorte de Woodstock chrétien ! »

Harrison joue elle aussi dans un groupe de rock ; elle a une voix incroyable. Lorsqu'elle s'est mise à chanter une version a cappella d'« Amazing Grace », elle a, momentanément, éloigné tous mes doutes concernant l'existence d'une puissance supérieure. Elle est restée catégorique sur l'importance de la musique dans la foi. « Elle est au cœur des choses, m'a-t-elle dit. Ici, on s'apprête à passer une semaine à ne rien faire d'autre que vénérer notre Créateur à travers différents genres musicaux. » Puis, Harrison m'a raconté que, quand elle avait 5 ans, elle se frappait la tête contre les murs à cause de récurrentes crises de douleur. À l'âge de 13 ans, son frère s'est fait assassiner. Enfin, elle s'est fait violer à 17. «Tu me demandes comment je peux croire en Dieu, m'a-t-elle dit. Je te demande comment toi, tu peux ne pas y croire.»

Un soir, alors que tous les festivaliers se rassemblaient, les mots de Lora ont résonné dans ma tête. David Crowder, un joueur de banjo, venait d'entonner « I Saw the Light » avec une telle ferveur qu'on aurait presque pu voir le visage de Dieu. Puis, le pasteur Harry Thomas, l'homme qui a créé le festival il y a près de 30 ans, a pris le micro. «Louez le Seigneur, a-t-il prononcé. Louez le Seigneur.» Il a ensuite expliqué à la foule le but premier de l'événement : celui de se rapprocher des jeunes et de leur faire savoir que quelqu'un les aime, peu importe qui ils sont et ce qui leur est arrivé. Il a ensuite distribué des bougies à l'assemblée.

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Je me trouvais près de la scène, devant la foule, au pied de Thomas. Il tenait une bougie. « Jésus a affirmé qu'il était la lumière du monde. Puis, il s'est tourné vers ses disciples et a dit : "Vous êtes la lumière du monde." Il vous transmettait le flambeau. »

À ce moment-là, j'ai escaladé le gros ampli à ma gauche et ai regardé les milliers de festivaliers qui me faisaient face. Tous tenaient une bougie. Un type d'une vingtaine d'années a alors approché sa bougie de la mienne de façon à ce que je puisse l'allumer. Nos regards se sont croisés. Ses yeux pétillaient, éclairés par les chandelles. « Jésus t'aime », m'a-t-il dit.

Comme je ne savais pas quoi répondre, j'ai prononcé la seule phrase qui me semblait envisageable : « Jésus t'aime aussi. »

Prochainement sur Noisey, retrouvez le reportage d'Eric Sundermann dans le plus grand festival chrétien des États-Unis.