Société

Hijabis Fight Back : touchez pas à leur foulard, touchez pas à leurs études

En cause, la décision de la Haute Ecole Francisco Ferrer d’interdire le port du voile dans son établissement
Souria Cheurfi
Brussels, BE
Hijabis Fight Back manifestation Bruxelles porte du voile école


Ce dimanche 5 juillet, des milliers de personnes se sont rassemblées au Mont Des Arts à Bruxelles sous la bannière Hijabis Fight Back (la police parle de 1200 manifestant·es et l'organisation de plus de 2000). La manif était organisée par quatre jeunes femmes de trois collectifs anti-racistes et féministes – Fatima-Zohra Ait El Maâti et Souhaïla Amri d’Imazi.Reine, Sarah Tulkens de Belges Comme Vous et Salma Faitah de La Cinquième Vague – en réaction à la décision de la haute-école Francisco Ferrer d’interdire le port du voile dans son établissement. Des étudiantes avaient introduit une action contre cette décision, mais la Cour constitutionnelle a donné raison à l’école le 4 juin dernier. On a notamment entendu parler de Zahra, qui habite près de Francisco Ferrer et qui a fini par changer d'école pour étudier à l’ICHEC, à 1h20 de chez elle.

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« Le climat est intenable pour les communautés musulmanes en Occident. »

Si la Cour constitutionnelle a estimé que « la disposition en cause ne fait pas de distinction fondée sur la nature des convictions religieuses », les collectifs considèrent cette décision comme islamophobe et sexiste. « Le climat est intenable pour les communautés musulmanes en Occident. Le fait de bloquer le port du voile pour nous protéger témoigne d’une ignorance folle. On a besoin de vrais lieux de rencontre et de discussion pour déconstruire les idées préconçues », explique Fatima-Zohra du collectif Imazi.Reine.

En plein confinement, les quatre jeunes activistes ne savaient pas trop comment réagir. Mais la rentrée scolaire se faisant de plus en plus proche, elles ont décidé de passer à l’action pour sensibiliser l’opinion publique et éviter que d’autres écoles ne suivent « l’exemple » de Francisco Ferrer, empêchant d’autres femmes portant le voile (l’appellation « femme voilée » largement véhiculée par les médias occidentaux renforçant le statut passif des femmes qui portent le voile, nous privilégions la forme active, ndlr.) de poursuivre leurs études comme elles l’avaient prévu.

« La manif était géniale et on ne s’attendait pas à un tel succès », se réjouit Fatima-Zohra, « C'était important de voir le débat qu’on mène en ligne se matérialiser dans la rue. Je pense sincèrement qu’on a fait pression sur l’opinion publique et que ça freinera certaines écoles qui avaient comme projet d’appliquer la décision du 4 juin. »

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« Ce débat épuise les femmes musulmanes et joue sur leur santé mentale depuis des années. »

Bien sûr cette action et la presse qui en a découlé a aussi engendré de nombreux commentaires racistes, mais Fatima-Zohra ne se laisse pas décourager : « J’aimerais inviter ces personnes à discuter dans mon salon, pour qu’elles réalisent qu’au sein de nos communautés aussi, les visions politiques et religieuses divergent. C’est pas tout noir ou blanc. Mais ce qui compte ce sont les messages de soutien ; on ne retient pas le reste. »

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Photo : Juan Sanchez

L’histoire sans fin

Le débat sur le foulard, c’est un peu comme une mauvaise série Netflix qui n’en finit pas. On n’en parle plus pendant des mois et puis boum, c’est reparti, on remet le couvert, on parle au nom des femmes musulmanes qui portent le voile, on les infantilise et on enfile nos gros sabots occidentaux pour décider pour elles quand et comment elles doivent « s'émanciper ».

« On a besoin des féministes blanches pour faire entendre nos voix. »

« Ce débat épuise les femmes musulmanes et joue sur leur santé mentale depuis des années. Nos mères et nos grandes soeurs se sont battues avant nous et nous ont laissé les outils pour continuer, mais on ne compte pas le léguer aux prochaines générations. », s’engage Fatima-Zohra. Selon elle, si le débat perdure autant, c’est simplement parce que les personnes concernées n’y sont pas conviées : « On veut créer un dialogue direct et avoir une place à la table des décisions. C’est l'élément nouveau qu’on amène à ce débat. » Les collectifs font également un travail d’archivage de témoignages avec pour objectif de faire pencher la balance sur le plan juridique.

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Photo : Juan Sanchez

Une intersectionalité à sens unique

Comme l’explique Fatima-Zohra, la question du port du voile est féministe, avant même d'être politique ou religieuse : « Ce sont toujours les femmes qui prennent ce genre de coups. C’est quand même drôle qu'à 24 ans, y’a des gens qui pensent à m'émanciper, et surtout qui pensent pouvoir le faire mieux que moi. »

À la manif, une centaine de femmes portant le foulard ont fièrement agité la coiffe des diplômé·es en symbole de leur réussite mais aussi des nombreuses discriminations qu’elles ont rencontrées avant de décrocher leurs diplômes. « Ces femmes excellent dans leur domaine et cela montre ce que notre communauté a à apporter au milieu académique, alors que faut-il encore répondre quand on essaye de parler en mon nom et qu’on me dit que je ne sais pas pourquoi je fais ça ? » Et ça va bien plus loin que du mansplaining, puisque beaucoup de femmes ont aussi du mal à se positionner.

« C’est quand même drôle qu'à 24 ans, y’a des gens qui pensent à m'émanciper, et surtout qui pensent pouvoir le faire mieux que moi. »

Si les collectifs derrière la manif se veulent radicalement inclusifs, elles ne ressentent pas autant de soutien de la part des mouvements féministes blancs. La notion d’intersectionnalité reste assez récente dans l’histoire du féminisme, et pour la question du voile, on ressent encore pas mal de réticence. Pourtant la question du voile, c’est aussi une question de liberté des corps – My body, my choice, en gros. Mais même au sein des féministes, il y a un gros travail de déconstruction et de décolonisation des esprits en jeu : « En fait, l'intersectionnalité s’est construite par les femmes racisées, et pas l’inverse. On est en contact avec des orgas féministes blanches, mais dès qu’il s’agit de la question du voile, il y a beaucoup moins d’engouement que pour les questions LGBTQ+, par exemple. Or on a besoin des féministes blanches pour faire entendre nos voix », regrette Fatima-Zohra.

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Cette action est un appel tant aux féministes qu’aux autorités. En 2020, suite à cet Xème épisode d’une saga médiatique minable, il serait peut-être temps d'arrêter de parler au nom de ces femmes pour les laisser faire entendre leurs voix. C'est une déconstruction complexe pour celleux qui voient la religion comme une oppression, mais au final, parler au nom de ces femmes, c'est les opprimer aussi. « On est des êtres humains qui pensent, qui parlent. On porte le voile par choix. On sait ce qu’on fait et on exige simplement le contrôle sur nos corps. », conclut Fatima-Zohra.

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Photo : Juan Sanchez

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Photo : Juan Sanchez

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