ceuta mineurs marocains
Un jeune Marocain dans une maison abandonnée à proximité de la frontière entre Ceuta et le Maroc.
Société

Avec les mineurs marocains échoués dans l'enclave de Ceuta

Le photographe français Hervé Lequeux a suivi le quotidien de plusieurs groupes qui errent dans la ville en attendant de tenter leur chance pour passer sur le Vieux continent. 
Pierre Longeray
propos rapportés par Pierre Longeray
Paris, FR

Dix jours après les importantes arrivées de migrants marocains dans l’enclave espagnole de Ceuta, le photographe français Hervé Lequeux s’est rendu dans ce petit bout d’Europe. Pendant les deux premières semaines de juin, le photographe a suivi le quotidien de plusieurs groupes de mineurs marocains qui errent dans la ville en attendant de tenter leur chance pour passer sur le Vieux continent. 

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Le 17 mai dernier, des milliers de jeunes marocains tentent leur chance par la mer. Leur but, rejoindre Ceuta. Si les passages sont fréquents depuis des années, l’envergure des tentatives de la mi-mai est inédite, les autorités espagnoles parlent de « record ». Les chiffres varient, mais on évoque ici et là l’entrée possible de 8 ou 9 000 personnes dans l’enclave – le tout en moins de deux jours. Deux personnes sont mortes, noyées, en tentant de rallier la rive et concrétiser leur rêve d’Europe. Rapidement, 7 500 d’entre eux sont renvoyés vers le Maroc, d’après le ministère de l’Intérieur espagnol. Restent alors un peu plus d’un millier de mineurs non accompagnés. 

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À proximité de la plage Benitez, des jeunes marocains ont installé leur campement de fortune. Non loin de là, sur un parking, des particuliers viennent distribuer un peu de nourriture et de l'eau.

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Dans le centre-ville de Ceuta, des mineurs marocains attendent que la mosquée ouvre ses portes pour aller chercher un maigre panier repas.

Les plus jeunes qui ont réussi à passer, dont certains sont à peine rentrés dans l’adolescence, sont rapidement logés dans des sortes de centres pour mineurs, qui ont très mauvaise presse auprès des jeunes migrants. Pas simple d’aller aux toilettes, nuits passées dans de grands hangars, nourriture infecte… D’autres ont choisi de ne pas s’y rendre et de monter des camps de fortunes sur les plages, dans les montagnes ou encore dans des terrains vagues à l’intérieur des quartiers résidentiels ceutiens. 

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À la frontière entre Ceuta et le Maroc, du côté de Benzù. Au loin, on distingue le village marocain de Belyounech, où les maisons sont accoudées au mur de séparation. Ici, des mineurs sont repartis vers le Maroc, épuisés par les conditions de vie imposées à Ceuta.

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Toujours vers Benzù, dans une maison abandonnée occupée par un mineur marocain ainsi qu'un majeur (photographié ici). C'est dans les montagnes alentour que le gros des trafics entre le Maroc et Ceuta se fait, rendant la zone très périlleuse la nuit venue. Parfois, des coups de feu y retentissent.

Ces derniers ont en règle générale 16 ou 17 ans, et sont souvent accompagnés par quelques majeurs, parfois présents à Ceuta depuis plusieurs mois ou années. Le quotidien de ces petits groupes est répétitif et fait de nombreuses galères. Pour manger, certaines mosquées de Ceuta offrent des petits paniers repas. D’autres comptent sur l’aide des habitants du coin. Sur un parking près de la plage du Benitez, dans la partie ouest de Ceuta, des particuliers ouvrent le coffre de leur voiture, une grosse marmite de couscous posée à l’arrière. Ils distribuent quelques bouteilles d’eau, de maigres collations. 

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Dans un quartier de Ceuta, des jeunes marocains ont monté quelques cabanes au milieu des roseaux sur un terrain vague entouré de petites maisons. Une sorte de bienveillance règne dans ce coin de Ceuta, même s'il vaut mieux rester discret.

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À Ceuta, les arrestations sont nombreuses, notamment en cas de manche un peu trop agressive. Vers le port, les policiers essayent de faire peur à ceux qui essayent d'y rentrer, en envoyant une voiture.

Souvent nés au bord de l’océan à quelques encablures de ce triangle d’Europe, certains passent leur journée à pêcher – avec pas mal de réussite – et improvisent quelques grillades de poissons pour survivre. Au devant des grands supermarchés discount posés près du port, quelques mineurs font la quête. Certains clients donnent des denrées – un peu de pain, des boîtes de sardines. On croise peu d’associations ou d’ONG sur place. Une association venue de Madrid distribue quelques habits et s’enquiert des mineurs en s’engageant à prévenir leur famille en cas de renvoi forcé vers le Maroc. 

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Un jeune marocain montre ses plaies. Dans le quartier de Principe, considéré comme le plus violent d'Europe, il s'est fait réveiller à coups de machette avant de se faire dépouiller. La nuit, l'ambiance change à Ceuta.

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Cinq mineurs marocains dorment dans une cabane construite de bric et de broc au milieu des roseaux, dans un quartier résidentiel de Ceuta.

Avec les locaux, la situation est parfois tendue, bien que les Ceutiens ont l’habitude de voir arriver de jeunes Marocains dans l’enclave – mais jamais dans ces proportions. Dans l’enclave, où le Covid n’a jamais été bien présent, la peur sanitaire crispe aussi l’ambiance. Or, quand l’extrême droite espagnole, du parti Vox, tente de venir faire un meeting pour surfer sur la dernière arrivée de migrants, nombre d’habitants s’y opposent, organisent une contre-manifestation et balancent des oeufs sur l’immeuble où est descendu Santiago Abascal, le président de Vox. Il repartira sur le continent sans avoir tenu son meeting. 

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En contrebas du terrain vague qui abrite les cabanes construites au milieu des roseaux, des jeunes marocains discutent après s'être faits racketter par d'autres migrants marocains, présents depuis plus longtemps à Ceuta.

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Des jeunes ont monté leur campement juste à côté du port de Ceuta. Ils ont récupéré des grillages du mur d'enceinte du port pour faire tenir des bâches et se protéger de la grosse averse qui leur tombe dessus.

Dans les montagnes qui dominent Ceuta, les jeunes Marocains ont monté des camps de fortune que l’on rejoint à condition de se plier à de longues marches éreintantes. Sur les plages, les campements ne sont guère plus agréables. La pluie froide, les vents violents, les vagues épuisent les corps et les esprits. Certains craquent et repartent vers le Maroc, laissant de côté leur projet d’Europe. Du moins pour le moment. Puisque cet objectif leur trotte dans la tête depuis leur plus jeune âge. Certains disent que leurs parents en parlent depuis leur sortie de l’enfance. 

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Non loin de la plage Benitez, un jeune homme prie à côté de son campement de fortune.

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Des jeunes escaladent le mur d'enceinte du port dans l'espoir d'aller se cacher dans un camion ou un bateau qui fera la traversée. Souvent, ils y passent une nuit tout au plus, avant de se faire dégager par la police le matin venu.

Alors, pour rejoindre l’Europe continentale en traversant le périlleux détroit de Gibraltar, les jeunes essayent d’accumuler un peu d’argent en faisant la manche ou en donnant de petits coups de main dans l’espoir de s’acheter un canoë, dont le prix tourne autour des 250 euros. D’autres, notamment ceux qui campent près du port, tentent inlassablement de se cacher dans les camions ou les bateaux qui font la traversée, à la recherche de leur destin européen.

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