Samuel Fosso
Samuel Fosso, Autoportrait Série « 70's Lifestyle », 1975-78 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris
Culture

Samuel Fosso, maître des avatars

Spécialiste de l'autoportrait, l'artiste d’origine camerounaise se raconte à la Maison européenne de la photographie.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

« Je suis très bien fait, grâce à Dieu. Le nez élancé, le visage mince et souriant – une personne qui ne sourit jamais à toujours l’air d’un chien méchant. » Samuel Fosso est un maître de l’autoportrait. Dans l’exposition qui lui est consacrée à la Maison européenne de la photographie, l’artiste d’origine camerounaise se multiplie ; en noir et blanc ou en couleurs, nu ou vêtu d’un pantalon pattes d’éph’, grimé en Angela Davis ou en Mao Zedong. « C’est vrai, je me trouvais beau et je voulais que mes enfants me voient tel que j’étais », se justifiait-il dans les colonnes de Libération. « Je ne suis pas trop grand, j’ai une taille de guêpe et des petits pieds, je chausse seulement du 39 ». La pointure est difficile à vérifier mais pour le reste, que les clichés aient été pris dans son studio de Bangui ou ailleurs, le charme opère.

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Fosso n’a pas toujours été le sujet de ses photos. Aux origines de la pratique du Samuel adolescent, on retrouve comme chez ses aînés Malick Sidibé ou Seydou Keïta, le portrait. D’abord assistant d’un photographe de la capitale centrafricaine, son quotidien consiste surtout à nettoyer le studio, ranger les projecteurs et s’occuper des tâches les plus rébarbatives. Il s’affranchit progressivement de cette tutelle en s’intéressant à la position des lumières au moment des séances, en réalisant ses premiers tirages en laboratoire et en allant photographier les habitants dans les rues de Bangui. En 1975, il a 13 ans et rien ne l’empêche d’inaugurer sa propre adresse : le Studio Photo Nationale. La devise ? « Ici, vous serez beau, chic, délicat, gentil et facile à reconnaître ». S’y pressent jeunes mariés, bébés fraîchement baptisés et quiconque considère que l’occasion est belle pour se faire tirer le portrait.

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Archives du Studio Photo National, studio photo de Samuel Fosso à Bangui © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

Au Studio Photo Nationale, que Bernard Descamps, fondateur des Rencontres africaines de la photographie à Bamako au Mali, décrit comme « classique, avec des grosses cuvettes qui servent de réflecteur et un fond peint, assez désuet, qui représente une ville moderne »,  le client est roi. « Je ne discute pas. Si ça ne lui plaît pas, ou je lui fais une nouvelle photo, ou je le rembourse. En photographie il ne faut jamais espérer réussir sur le plan de l'argent », assure l’artiste. Le fond en question est une peinture murale réalisée par un ami à partir d’une carte postale de Bucarest. C’est devant cette vision fantasmée du bloc de l’Est que Samuel Fosso commence à poser. Les premières photos sont un prétexte pour ne pas gaspiller les chutes de pellicule mais très vite, le studio est repensé pour devenir un espace unique d’expression et de liberté.

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « 70's Lifestyle », 1975-78 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

Dans les autoportraits, Samuel Fosso fait « ce qu'il ne fait pas dans la vie ». Il expérimente différentes facettes de sa personnalité, joue sur les représentations du genre et orchestre son goût pour la mode. Transparaissent différentes inspirations ; les publicités des magazines américains abandonnés par les Peace Corps venus voir des pygmées ou la musique populaire du Prince Nico Mbarga. Toujours dans le même noir et blanc, indémodable, il surgit en gants et slip kangourou ou en élégant salaryman avec serviette et redingote. Au grand critique d’art nigérian Okwui Enwezor, Fosso racontait que la première motivation de ces autoportraits, « c’est de créer des images que je pouvais envoyer à ma grand-mère, qui me manquait énormément ».

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « Tati », La Femme américaine libérée des années 70, 1997 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

En 1994, les Rencontres de Bamako lui offre un tremplin à l’internationale. Quelques années plus tard, c’est lui qui accompagne Malick Sidibé et Seydou Keïta, invités par Tati pour fêter les 50 ans de la marque. Dans la boutique historique de Barbès, au 42 boulevard de Rochechouart, les trois photographes sont chargés de reconstituer leur studio afin d’immortaliser les clients, passants, curieux et badauds, qui le souhaitent. Fosso refuse et propose une alternative ; se prendre en photo avec les vêtements vendus chez Tati. « Son style, c'est lui-même. Il a inventé sa propre réflexion », s’émerveille Sidibé cité par Libération.

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « Tati », Le Chef (celui qui a vendu l'Afrique aux colons), 1997 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

Cette série est un premier tournant puisqu’elle ne gravite plus autour de sa propre identité. Fosso conserve les codes de la photo de studio mais rompt avec le noir et blanc. Il crée des personnages stéréotypés comme le Golfeur, la Femme américaine libérée des années 1970 ou le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons) qu’il reprendra à plusieurs reprises. Son répertoire de rôles s’agrandira aussi avec African Spirits (2008) série dans laquelle il prend les traits de Martin Luther King Jr., Patrice Lumumba, Malcolm X, Kwame Nkrumah ou Mohammed Ali pour rendre hommage « aux leaders qui ont essayé de nous libérer, de nous redonner de la dignité en tant qu’Africains et en tant que noirs. »

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « Le rêve de mon grand-père », 2003 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

Si les visiteurs de la MEP peuvent aujourd’hui admirer le travail de Samuel Fosso, certains de ses clichés ont failli ne jamais être exposés. En 2014, alors que la Centrafrique se déchire entre partisans de François Bozizé et soutiens de Michel Djotodia, la maison du photographe est pillée comme toutes celles des quartiers de Mustapha et Miskine à Bangui. « Voyous, anti-balaka ou Seleka, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, confiait le photographe au Monde depuis Paris. Ce sont les jeunes des quartiers qui ont pillé. Ceux-là même que j’ai photographiés. » Il faut l’intervention miraculeuse de membres de l’ONG Human Rights Watch et du photographe d’Associated Press Jérôme Delay, venu couvrir l’intervention de la force Sangaris, pour sauver des milliers de négatifs.

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Samuel Fosso, Autoportrait « Emperor of Africa », 2013 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

La République centrafricaine souffre d’instabilité chronique depuis le violent règne et la chute toute aussi brutale de son empereur, Jean-Bédel Bokassa. Et à l’image de son pays d’accueil, la vie de Samuel Fosso n’est pas épargnée par les conflits. Né le 17 juillet 1962, à Kumba, au Cameroun, il rejoint d’abord sa famille Igbo au Nigéria. Son grand-père, guérisseur traditionnel, est chargé de vaincre la paralysie dont souffre Samuel enfant, paralysie que la médecine occidentale n’est pas parvenue à soigner. La guerre civile du Biafra finira par pousser Fosso à fuir le village de ses parents et à suivre les pas de son oncle cordonnier réfugié à Bangui.

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « Mémoire d'un ami », 2000 © Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras / Paris

C’est aussi la mort d’un voisin, assassiné dans la même ville en 1997 qui pousse l’artiste à exposer pour la première fois son corps entièrement nu. Dans Mémoire d’un ami, une de ses séries les plus touchantes, Samuel Fosso imagine la nuit du drame et, comme le disait Alberti à propos de la peinture, par les images et par son corps « rend pour ainsi dire présent l’absent lui-même, et, qui plus est, peut, après bien des siècles, montrer les morts aux vivants ». À travers ses autoportraits, Samuel Fosso fait vivre des figures décédées et, de la même manière abolit le temps.

La mie au musée

L’écrivain Jean-Christophe Bailly disait de Narcisse qu’il était « prisonnier de son reflet et dévoré par sa propre image. Narcisse ne parvient pas à en faire un souvenir et en un sens, son drame est de ne pas pouvoir parvenir au stade de l’autoportrait, de ne pas pouvoir être un artiste. » Samuel Fosso lui, y parvient.

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Archives du Studio Photo National, studio photo de Samuel Fosso à Bangui © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Archives du Studio Photo National, studio photo de Samuel Fosso à Bangui © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Archives du Studio Photo National, studio photo de Samuel Fosso à Bangui © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Archives du Studio Photo National, studio photo de Samuel Fosso à Bangui © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « 70's Lifestyle », 1975-78 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « 70's Lifestyle », 1975-78 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « Fosso Fashion », 1999 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « Fosso Fashion », 1999 © Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « African Spirits », 2008 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « African Spirits », 2008 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « African Spirits », 2008 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « SIXSIXSIX », 2015 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « SIXSIXSIX », 2015 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

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Samuel Fosso, Autoportrait Série « SIXSIXSIX », 2015 © Samuel Fosso musée du quai Branly - Jacques Chirac

VICE est partenaire média de l’exposition Samuel Fosso, à la Maison européenne de la photographie, jusqu’au 13 mars 2022. La MEP propose une nouvelle offre d’abonnement permettant d’accéder aux trois grandes saisons d’expositions par an, à des projections, des Masterclasses ainsi qu’à de nombreux autres avantages à découvrir sur son site.

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