Life

Crush de rue : avec ceux qui sondent Internet pour retrouver l'inconnu

Entre la petite annonce et la bouteille à la mer, retrouver celui ou celle avec qui on a échangé un regard s'apparente parfois à un chemin de croix.
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Photo d'Oscar Wong © Getty Images.

« On est entrés dans le métro, on n’a pas arrêté de se regarder et j’ai souri comme une abrutie sous mon masque. J’attendais que tu fasses le premier pas jusqu’à ce que tu m’arraches le cœur en descendant à la station Châtelet ».

Inutile de fouiller bien longtemps pour se rendre compte que les réseaux sociaux regorgent d’avis de recherche d’âmes romantiques en proie au désespoir. Dix ans en arrière, les groupes Facebook Spotted servaient précisément à ça, avant de devenir le terrain de vannes d’une lourdeur assumée entre potes : en crush sur le mec ténébreux du lycée qui n’avait aucune idée de notre existence, on envoyait anonymement un genre de rébus romancé dans lequel on évoquait son chèche à carreaux et sa coupe de surfeur, dans l’espoir qu’il se reconnaisse.

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Laissés à l’abandon quelque part autour de 2013, les Spotted existent toujours, d’une certaine manière. Sur des groupes Facebook d’entraide, des internautes continuent de s’en remettre à la solidarité numérique pour retrouver l’inconnu qui occupe leurs pensées. Retour sur ces crushs de rue, à base de regards et d’occasions manquées, qui finissent en SOS sur l’Internet.

Rori, 25 ans, Lyon

Il y a environ cinq ans, je lisais un livre sur la spiritualité dans un parc du centre de Grenoble. Un mec était installé sur le banc d’à côté, et quand il s’est mis à pleuvoir on est tous les deux restés sur nos bancs respectifs, à s’échanger des regards de temps en temps. Quand il est parti, je me suis mis en tête de le suivre comme une psychopathe, mais de loin, juste pour voir s’il habitait le quartier. Il a fini par tourner et comme je n’étais plus du tout vers chez moi, je suis rentrée. Mais cette histoire m’a titillée, j’avais envie de le connaître et d’en savoir plus sur lui donc j’ai posté une story sur Instagram, pour voir si quelqu’un le reconnaîtrait avec la description que je pouvais en faire. Je n’ai pas eu de nouvelles, mais je suis retournée me promener dans le même parc plusieurs fois dans la semaine dans l’espoir de le revoir. Un week-end, je me suis posée sur un banc pour continuer mon livre et je l’ai revu au loin. Je suis allée lui dire que c’était curieux qu’on se retrouve au même endroit et je lui ai proposé qu’on fasse connaissance. On a échangé nos numéros, on s’est revus quelques fois pour discuter, mais c’est devenu un pote et ça m’a suffit. Je ne lui ai jamais dit que je l’avais cherché sur Internet, ça aurait été un peu bizarre.

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Photo d'illustration.

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Lise*, 22 ans, région Liégeoise, Belgique

J’étais en festival à Liège et j’ai croisé un mec plutôt mignon. Le soleil tapait sur lui et pour être honnête, c’était plus ou moins le seul à ressembler à quelque chose, ou bien les autres mecs étaient baptisés. J’étais saoule et l’alcool m’a motivé à poster un message sur le groupe Spotted de Liège sur Facebook (les Spotted vivent toujours en Belgique, ndlr), et puis je voulais savoir si ça fonctionnait vraiment, ces recherches anonymes. Dix minutes plus tard, un pote à lui l’a reconnu et tagué sur ma publication. On s’est ajouté sur les réseaux, il m’a envoyé un premier message et on a tout de suite super bien matché. C’était même étrange d’être compatibles sur autant de points. On n’habitait pas dans la même ville et on était à une heure de route l’un de l’autre, mais on est quand même allés boire quelques verres, on s’est fait un ciné, je lui ai rendu visite à Bruxelles… Sauf que plus les jours passaient, moins on se trouvait de points communs, et ce n’est jamais allé plus loin. On a fini par être de plus en plus distants, puis par s’avouer que ça ne fonctionnerait pas entre nous.

Cédric*, 28 ans, Paris

Le premier regard, c’est parce qu’on s’est rendus compte que quelqu’un avait pété dans le train. Tout le wagon jetait des regards à droite et à gauche, et on s’est regardés droit dans les yeux, on était morts de rire. Je partais voir mon beau-père à l’hôpital donc j’étais pas vraiment dans le mood de draguer, mais on a quand même continué à se faire des petits sourires tout le long du trajet, il y avait ce petit truc mignon. Comme on s’est suivis jusque sur le quai de métro, j’ai fini par lui dire que je ne la suivais pas en rigolant. C’est seulement quand je l’ai vue monter dans sa rame, dans une autre direction, que je me suis dit que j’avais fait le con et que j’aurais dû prendre son numéro. Quelques jours plus tard, j’ai réalisé qu’elle hantait toujours mes pensées, mais genre très fort. J’avais déjà vu des personnes se retrouver sur les réseaux, alors j’ai rédigé un texte au feeling, pour tenter ma chance. J’y ai mis un peu d’humour en me disant que si le délire ne lui plaisait pas, je ne perdais pas grand chose. Je l’ai publié sur un groupe Facebook parisien, ça n’a encore rien donné mais peut-être un jour, qui sait. À mon humble avis, les applis de dating servent énormément, mais manquent d’âme et d’histoire. Tu choisis la personne comme sur un shop en ligne, puis tu vois si elle te convient autour d’un verre. Rencontrer quelqu’un dans un bar, dans la rue ou dans le métro, c’est ça qui est kiffant. Tu vois comment est la personne, ses manières potentiellement mignonnes, et c’est ça qui te fait craquer. 

Emilie, 24 ans, Paris

Je suis allée voir une rediffusion de The Lost City of Z au cinéma, et comme on était trois pélos à cette séance, j’ai pris la meilleure place en plein milieu de la salle. Quand je me suis retournée sur mon siège, le mec installé deux rangées derrière moi était en train de me fixer. Je n’ai pas vu son visage car on était en plein Covid et qu’on portait des masques, mais il s’est tout de suite passé quelque chose, et nos regards se sont croisés plusieurs fois avant que le film commence. Il m’a tenu la porte en sortant et on s’est tous les deux dirigés vers le métro. Quand je l’ai vu descendre une station avant moi, je me suis dit que c’était foutu, que j’avais manqué ma chance et que je ne le reverrai jamais. C’était à la fois dramatique et ridicule, on a continué à se regarder quand il est parti et j’ai senti qu’on faisait tous les deux le deuil d’une relation qui n’allait même pas naître. J’ai cogité jusqu’à 3h du mat’, et un peu désespérée, j’ai posté un message sur Wanted Community Paris. En me réveillant, mon post avait plus de 1000 réactions et 500 commentaires, les gens étaient à fond et voulaient la suite de l’histoire. Je ne l’ai pas du tout retrouvé grâce au groupe, mais trois jours plus tard, on a tous les deux eu l’idée de retourner dans le même cinéma, à la même heure. Je sortais de ma séance et lui arrivait, je l’ai reconnu avec son masque avec une fermeture éclair dessinée dessus. On s’est croisés au pied des marches du ciné, il est venu m’aborder, j’ai pris son numéro et on s’est retrouvé pour un verre juste après mon film. Ça fait maintenant deux ans qu’on est ensemble, et on a emménagé ensemble en octobre dernier. C’est le cliché de l’histoire à l’eau de rose hyper romantique, mais je n’arrive toujours pas à m’expliquer ce coup de foudre.

Julie, 23 ans, Nîmes

Je l’ai vu pour la première fois il y a cinq ans dans le funiculaire de Lyon, où je venais régulièrement pour voir mon ex. On a eu un eye contact de fou mais je n’ai pas cherché à ce que ça aille plus loin, justement parce qu’à l’époque j’avais un copain. Je l’ai recroisé quelques fois toujours dans le métro, et à chaque fois il y avait ces jeux de regards, ces petits sourires… J’ai ressenti quelque chose de très fort pour ce gars, c’était comme un coup de foudre. Quand je me suis séparée de mon ex, je suis rentrée sur des groupes lyonnais sur Facebook et des pages dédiées aux coups de cœur pour essayer de le retrouver. Le problème, c’est que je ne savais rien de lui à part qu’il avait un genre de signe chinois tatoué dans le cou. Une émission de télé m’a contacté pour essayer de le retrouver pour moi, je leur ai donné les quelques infos que j’avais, mais c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin et ça n’a évidemment rien donné. J’ai même déjà pensé à prendre un Airbnb à Lyon un week-end pour attendre toute la journée le métro de le voir… Ça fait grave psychopathe dit comme ça, mais depuis que j’ai croisé son regard, j’ai toujours plus ou moins pensé à lui. Cinq ans plus tard, je regrette toujours profondément de ne pas être allée vers lui, je suis persuadée au plus profond de moi que je suis passée à côté de quelque chose qui aurait pu être très beau. 

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