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De Stalingrad à Rio, le destin olympique de Souleymane Cissokho

Tout juste revenu des Jeux, on est allé à la rencontre du médaillé de bronze et leader de l'équipe de France de boxe, qui nous parle du XIXe arrondissement, de la Team Solide et de Floyd Mayweather.
Reuters

Stalingrad : sa pauvreté, son crack, ses migrants et désormais son médaillé olympique. Parti de rien dans un quartier difficile, Souleymane Cissokho est devenu le capitaine de l'équipe de France de boxe la plus médaillée aux Jeux olympiques (deux médailles d'or, deux d'argent et deux de bronze). Dans sa valise, le jeune homme de 25 ans ramène, lui, la médaille de bronze des moins de 69 kg après une demi-finale arrêtée suite à une blessure non intentionnelle de son adversaire.

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Cissokho, né au Sénégal mais qui a grandi dans le XIXe arrondissement, n'a jamais oublié ses racines. Il nous reçoit à quelques mètres d'un camp de migrants évacué dans la matinée. Déterminé, combatif et généreux, le boxeur revient sur ses blessures, ses galères, comme ses plus beaux moments, moins d'une semaine après son retour de Rio.

Bonjour Souleymane, qu'est-ce que ça te fait de revenir à Stalingrad après les paillettes de Rio ?

Franchement, Rio, c'était super. On a vécu des Jeux magnifiques dans une ambiance incroyable. Maintenant, retour à la réalité. On arrive à Stalingrad et on voit ce qu'il vient de se passer avec les migrants… C'est pas facile pour eux, j'en ai réellement conscience. Beaucoup de jeunes essaient de les aider avec de la nourriture et autre. J'essaie parfois de passer même si dernièrement je n'étais pas trop présent. Ce sont des choses qui me touchent. De façon personnelle aussi, quand tu vois quelqu'un en galère tu essaies de l'aider. Ce n'est pas grand chose mais on fait ce qu'on peut.

Avec toute cette médiatisation qu'est-ce qui a changé dans ton quotidien ?

Même si je ne suis suis pas encore trop sorti, certaines choses ont déjà changé. Rien qu'en venant ici, je me suis fait arrêter deux fois par des passants. Hier, je suis sorti avec un pote manger une glace - je suis très desserts (rires) - trois personnes m'ont arrêté pour féliciter. Je pense que nous avons montré un nouveau visage de la boxe. Maintenant, il y a un réel engouement autour de notre sport. Ça va changer beaucoup de choses. Ceux qui s'intéressaient déjà au milieu de la boxe me connaissaient, mais désormais ça prend une autre tournure. Et c'est un truc de malade…

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Ça fait quoi d'être reçu par le président ?

C'est quand même une fierté. On sent qu'on a accompli notre devoir en tant que sportif de haut niveau. J'ai déjà été reçu à l'Élysée dans le cadre du Pacte de la performance par le Premier ministre et le Secrétaire d'État aux sports Thierry Braillard. Mais là… Lorsque le président te dit « Félicitations, tu as eu de beaux discours », tu te dis que même lui nous a suivi et écouté. C'est une fierté !

Ne crains-tu pas un phénomène de récupération politique ?

C'est un protocole qui existe depuis des années. Lorsque les sportifs reviennent des JO, ils sont accueillis à l'Élysée. C'est valable pour François Hollande comme un autre. Je ne pense pas que ça soit purement de la récupération politique.

Si on t'avait dit il y a dix ans que tu reviendrais des Jeux olympiques avec tous ces succès, qu'aurais-tu répondu ?

J'y aurais vraiment, vraiment pas cru. Je le répète souvent : j'ai commencé la boxe par hasard. Je n''avais rien à voir avec ce sport. Je ne savais même pas mettre une gauche ou une droite. Tout est allé super vite : en un an et demi, je suis devenu champion de France cadets, puis je suis rentré en équipe de France… Jamais je n'aurais imaginé un truc pareil.

Justement, pourrais-tu décrire ton parcours pour ceux qui ne te connaissent pas encore ?

J'ai commencé avec un groupe de cinq amis du collège. Nous sommes partis au Bac 9 chez José Chacon, un vieux qui nous mettait tout le temps des coups (rire). Mon truc, c'est que j'ai pas lâché. J'avais faim. Petit à petit, j'ai progressé. Les potes ont arrêté mais moi j'ai continué jusqu'à devenir champion de France cadets en 2007.

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Par la suite, je suis rentré en équipe de France par le biais de petits stages. J'étais encore étudiant au Lycée Turgot (dans le troisième arrondissement de Paris, ndlr). C'était compliqué de concilier les études et le sport. Malgré les déplacements, j'arrivais tout de même à maintenir mes notes aux alentours de 11-12. J'aimais les langues, la philo et les sciences économiques et sociales. Je suis ensuite rentré à l'INSEP pour passer mon bac. J'ai enchaîné avec un DUT en technique de commercialisation et quelques diplômes sportifs.

A gauche : Souleymane en compagnie de son entraîneur José Chacon en 2008 après sa médaille internationale au tournoi des 4 nations. A droite : Souleymane lors d'un de ses premiers stages avec l'équipe de France en 2008.

Ces dernières années ont été difficiles. J'ai eu pas mal de blessures, notamment une déchirure musculaire à une semaine du tournoi de qualification européen. Ma dernière chance, c'était le tournoi de qualification mondiale. Un "one shot". J'ai réussi finalement à me qualifier pour les Jeux. J'avais déjà eu un avant-goût à Londres en tant que sparring-partner d'Alexis Vastine. Ça m'a beaucoup aidé. Je me suis dis « Souley, dans quatre ans, c'est pour toi ».

Le moteur de ta réussite ?

La détermination. Je suis hargneux. Je lâche pas le morceau et je travaille dur. J'ai des rêves et je me donne les moyens de les accomplir. Je suis une référence pour pas mal de jeunes. C'est eux qui me donnent de la force. Lorsque tu es un ambassadeur de ton sport, il faut montrer que tu peux t'en sortir quelque soit ton milieu social. Ces derniers temps, j'ai eu des messages de soutien du Sénégal, de la Mauritanie, du Gabon… Même de profs du primaire ! C'était il y a quinze ans et ils m'ont quand même reconnu. C'est l'un des avantages de la médiatisation des JO, ça permet de retrouver du monde que l'on avait perdu de vue. C'est magnifique.

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Tu évoques tes origines avec le Sénégal. Qu'est-ce que ce pays symbolise pour toi ?

C'est mon pays de cœur. J'y suis né et j'y retourne chaque année. Avec notre association Secteur Sport Éducation, nous soutenons une école de foot à Médina, un quartier populaire de Dakar. On aide également au soutien scolaire en leur donnant des fournitures. C'est important pour moi.

Tu arrives à Villiers-le-Bel à quatre ans pour déménager ensuite dans le XIXe arrondissement de Paris. À quoi ressemble ta jeunesse, ici à Stalingrad ?

J'étais discipliné. Je n'étais pas du genre à faire n'importe quoi, même si je ne blâme pas ceux qui l'ont fait. Grâce à mes parents, je n'ai manqué de rien. Ils m'ont bien éduqué. Certains n'ont pas eu cette chance. La boxe m'a aussi permis de voyager et de m'ouvrir l'esprit. Je le dis souvent : « les voyages t'apprennent plus que l'école ». Ça donne une longueur d'avance sur les mecs de ta génération qui n'avancent pas. D'où l'idée de l'association Secteur Sport Éducation : aider les jeunes à persévérer dans le sport plutôt que dans la drogue ou autre. Il y a des sportifs à l'état brut dans les quartiers. Il faut juste les tailler, les peaufiner, pour qu'ils deviennent de grands champions.

Ton quartier est surtout connu pour ses difficultés, on découvre grâce à toi que des destins olympiques s'y forment aussi…

Moi je suis trop content d'être du XIXème. C'est un arrondissement qui réunit tout le monde. Il y a une belle mixité sociale avec différentes religions, milieux sociaux… Beaucoup d'artistes, d'acteurs césarisés et de sportifs de hauts niveau viennent d'ici. C'est un quartier magique, un quartier de cœur. J'y suis très attaché même si je vis également à Bagnolet où se situe mon club : le Top Rank Bagnolet.

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Niveau mental, quel changement s'est produit lorsque tu as appris que tu allais devenir capitaine ?

J'avais déjà ce côté « meneur d'homme » donc c'est venu naturellement. C'était en 2013. Malgré mon âge j'étais un peu l'ancien du groupe (rires). J'ai accueilli ça avec fierté. L'équipe était déjà soudée et déterminée. Il n'y avait pas grand chose à faire au sein de cette « Team solide ».

Tiens d'ailleurs, ça vient d'où ce terme « Team solide » ?

De Christian Mbili. On l'a appelé comme ça, tout simplement car c'est un mec solide. Il lâche pas le morceau et asphyxie ses adversaire grâce à sa condition physique. Mais « Team solide », c'est avant tout un état d'esprit : « On est ensemble et on arrache tout ! »

Comment est née cette fameuse complicité évoquée à longueur d'interviews ?

Progressivement, au fil des entraînements. On passe plus de 300 jours par an ensemble soit plus qu'avec nos propres familles. Ça va au-delà du sport. L'équipe devient ta seconde famille. Les gens ne se rendent pas compte à quel point la boxe est le plus collectif des sports individuels.

Il n'y avait pas trop de pression après les mauvais résultats de Londres ?

Une olympiade, c'est à la fois long et court. Il fallait tout reprendre à zéro avec une nouvelle équipe et un nouvel entraîneur. Il y avait aussi les critiques à cause des mauvais résultats… Mais on s'est construit et on n'a pas lâché le morceau. La différence avec Londres, c'est que l'équipe est super soudée. On a vécu des situations très précaires ensemble. Par exemple à Cuba, pendant 5 jours, on a dû se doucher avec l'eau de la piscine. Je peux te dire que ça soude ! Et puis il y a eu la perte d'Alexis Vastine qui nous a donné un esprit revanchard par rapport à toutes les décisions litigieuses…

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La « Team solide » dit souvent que ce drame a renforcé les liens et soudé l'équipe dans un même esprit. Tu confirmes ?

Oui ça nous a tous touché… On ne s'y attendait tellement pas. Le mec était jeune et comptait encore revenir aux JO. C'est un drame terrible qu'on a vécu tous ensemble. Malgré les apparences, les boxeurs sont des personnes sensibles. C'est triste à dire, mais Alexis n'a pas eu de chance. C'était une référence au niveau international. Si j'ai attends mon niveau c'est aussi beaucoup grâce à lui. Nous étions dans la même catégorie (-69 kg ndlr). C'était une « concurrence saine ». Je savais qu'il fallait que je m'entraîne deux fois plus car il était très fort. Vraiment, quel grand champion c'était…

Je vais maintenant te montrer plusieurs images, à toi de les commenter.

Ça marche !

Cliquez sur les pastilles rouges pour écouter les réactions de Souleymane Cissokho

Voilà pour les belles images. Malheureusement il y a aussi eu des moments gênants avec les commentaires de France Télévisions. Pêle-mêle, j'ai noté « Ces boxeurs sont de beaux modèles d'intégration » ou « Ils viennent des quartiers mais sont bien éduqués »… Ça t'évoque quoi ces paroles ?

Concernant les commentaires d'Arnaud Romera et Brahim Asloum, je n'ai pas entendu de choses bizarres. Pour le reste, c'est peut-être de la maladresse. Je ne sais pas si c'est réellement pensé. Mais bien sûr que c'est choquant. Ça nous rappelle que les stéréotypes et les préjugés sont encore présents. Pourtant, en tant qu'éducateur et entraîneur je vois passer des gens très différents. Toutes les religions, tous les milieux sociaux… On passe de bons moments ensemble ! On sait que certaines mentalités ne changeront pas. On est en 2016. Sortir ces propos, c'est vraiment dommage. Mais je préfère passer au-dessus de tout ça. Mon combat personnel est de donner une belle image de ma discipline. Montrer que la boxe, ce n'est pas juste donner des coups et en recevoir mais qu'il faut aussi réfléchir. S'arrêter sur ce genre de discours, ce n'est pas mon combat.

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Comment vous envisagez l'avenir chacun de votre côté ? Les amateurs vont-ils passer pro ?

C'est délicat de parler de « boxe amateure » de nos jours. Il existe plusieurs boxes dans la boxe. Par exemple, il y a la World Series of Boxing (WSB) qui repose sur un modèle professionnel. Tony Yoka, Mathieu Bauderlique, Christian Mbili et moi-même l'avons faite. Il y a aussi l'AIBA Pro Boxing (APB) à laquelle j'ai participé avec Tony et Mathieu. Nous avons donc déjà tous goûté au milieu professionnel. La boxe olympique elle même se professionnalise : on a enlevé les casques, on porte des bandages durs, mais n'on est pas encore torse nu. Pour ce qui est de nos avenirs respectifs, nous avons tous plusieurs sollicitations. Chacun va prendre du recul et faire ses choix.

Et toi ?

Pareil, je n'ai pas pris ma décision mais j'ai pas mal de propositions.

Tu peux en parler ?

Bah… des promoteurs sont sur moi dont Floyd Mayweather. Un très grand champion, invaincu (sourire). Il est venu me voir boxer pendant les quarts de finale. On s'est échangé nos numéros et il m'a dit que je l'intéressais. J'ai également eu d'autres propositions donc pour l'instant je préfère attendre et réfléchir avant de prendre ma décision.

Floyd Mayweather regardant le quart de finale de Cissokho puis en compagnie du boxeur français pendant les Jeux de Rio.

Tu vas donc quitter le quartier ?

Je l'ai déjà plus ou moins quitté dans la mesure ou j'habite également à Bagnolet. C'est ma ville adoptive. Beaucoup de gens me soutiennent. Là-bas ou à Stalingrad, ça reste mon cœur, c'est mes repères.

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Brahim Asloum a dénoncé la précarité financière qui règne dans le milieu de la boxe. Il a dit « On se débrouille avec trois bouts de ficelle ». Comment cela se traduit concrètement dans la vie des sportifs ?

La réalité, c'est qu'un boxeur ne vit jamais uniquement de son sport. Les boxeurs olympiques ont même parfois de meilleures conditions que les pros. C'est valable dans tout le sport de haut niveau : la majorité des athlètes n'ont pas de revenus suffisants pour boucler leurs fins de mois. Même si ça bouge un peu avec le pacte de performance, la vie des sportifs n'est vraiment pas facile. Voilà ce que ça veut dire « se débrouiller avec trois bouts de ficelle ».

Pourtant vous avez eu des résultats historiques, preuve que l'argent ne fait pas tout ?

C'est sûr que si tu boxes pour toucher des millions, il faut revoir tes priorités. Le sport est un réel plaisir. Si tu le pratiques pour l'argent, tu risques d'être déçu. Avec ma médaille, j'ai touché 13 000 € imposables. Rien de comparable avec l'Ouzbékistan où les sportifs touchent presque un million pour l'or. Mais ce qui est aussi intéressant, c'est les sponsors et les partenaires que tu gagnes derrière tes médailles.

Dernière question : quels conseils donnerais-tu à un jeune de quartier en perte de repères comme tu as dû souvent en croiser ?

Crois en tes rêves. Tout est possible si tu ne lâches pas le morceau. Il faut savoir ce que tu veux et t'en donner les moyens. Encadre toi de personnes qui te tirent vers le haut. C'est capital. Et reviens là où tout a commencé. Ça permet de garder les pieds sur terre pour se rappeler que rien n'est tout beau, rien ne se fait par magie. Il y aussi de la misère. Alors fais ce que tu peux pour aider ton quartier et ta famille, c'est super important.

C'est le collectif qui t'amène vers les sommets!! Plus qu'une team… une famille.#TeamFrance #olympics pic.twitter.com/m0z1MpxI0Z
— Souleymane Cissokho (@Souleymane_C) 23 août 2016