​Orlando Cruz est le seul boxeur pro ouvertement gay
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​Orlando Cruz est le seul boxeur pro ouvertement gay

A 35 ans, le Portoricain se bat pour remporter une ceinture de champion du monde qui le fuit depuis des années, mais aussi contre l'homophobie de certains de ses condisciples.

Il a les mensurations de Valbuena et un parcours similaire, marqué par des coups d'éclats, mais aussi des échecs cuisants, comme ses cinq défaites encaissées depuis le début de sa carrière. A bientôt 36 ans et du haut de son mètre 63, Orlando Cruz cultive la même aptitude à la résilience que l'international français. Mais les deux hommes ont aussi leurs différences : l'un a percé dans la boxe, l'autre dans le foot, et surtout, l'un est gay, et l'autre hétéro.

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Orlando Cruz est d'ailleurs le seul boxeur de très haut niveau ouvertement homosexuel en activité à l'heure actuelle puisqu'il disputera le 17 juin prochain un combat pour la place de challenger en WBO. Une particularité à laquelle il aimerait que les médias ne s'arrêtent pas. C'est ainsi qu'il démarre la plupart de ses interviews, comme il l'explique à VICE Sports depuis son camp d'entraînement de Culiacan, au Mexique, où il réside avant son combat : « Je sais qu'on veut m'interroger parce que je suis gay. Mais je suis avant tout un boxeur, et un pas mauvais », pose-t-il dans un anglais aux accents très latino.

Effectivement, sa carrière parle pour lui. Voilà plus de quinze ans qu'Orlando Cruz ferraille au plus haut niveau sur les rings du monde entier. En amateur d'abord, puisqu'il a disputé les JO de Sydney - « le deuxième plus grand rêve que j'ai pu réaliser dans ma vie » s'attarde Orlando avec nostalgie - puis en pro, où il affiche un bilan mitigé de 25 victoires pour 1 nul et 5 défaites en poids légers et super-légers.

Mais qu'importe les chiffres, puisqu'Orlando Cruz a pu réaliser son autre grand rêve : disputer un combat pour une ceinture mondiale. C'était le 27 novembre dernier, à Cardiff, contre Terry Flanagan, pour le titre des poids légers en WBO. Malgré la défaite sur arrêt de l'arbitre au huitième round, prévisible vue la différence de gabarit et de pedigree (Flanagan, à l'allonge et à la puissance supérieure, affichait un bilan de 31 victoires pour 0 défaite), Orlando Cruz garde une immense fierté de ce moment : « Ce jour-là, j'étais le premier boxeur de l'histoire à concourir pour un titre de champion du monde en assumant son homosexualité. »

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Une histoire largement relayée à l'époque, mettant en avant un Orlando Cruz libéré et assumé, défait de la crainte du regard des autres. Une histoire qui en cache une autre beaucoup plus longue, qui a duré onze ans : celle d'un jeune boxeur qui découvre son attirance pour les hommes et s'interroge des années durant sur la place à accorder à sa sexualité dans sa vie.

Doit-elle rester secrète ? Divulguée à ses seuls proches ? Assumée aux yeux de tous ? « J'avais 21 ans quand j'ai connu ma première histoire avec un homme, se remémore Orlando Cruz. Je venais de divorcer de ma femme, j'étais très jeune et surtout complètement déboussolé. Au début, j'ai gardé le secret. Je n'avais pas peur des conséquences que cela aurait pour moi, mais surtout pour ma famille et mon staff. »

Il faut dire que l'histoire entre la boxe et l'homosexualité a parfois été tumultueuse par le passé. Elle reste marquée par un épisode aussi macabre que traumatisant, qui s'est déroulé au Madison Square Garden, en 1962. Lors du combat les opposant, Emile Griffith poids welter américain, avait littéralement assassiné son challenger cubain, Benny Paret. Au 12eme round, il le roue de coups jusqu'à le plonger dans le coma. La raison de cet acharnement ? Paret l'aurait insulté de « maricon», pédé en espagnol, entre deux crochets. Plus de quarante ans plus tard, Griffith se confie au New York Times et explique qu'il est bisexuel, chose qu'il avait gardé secrète jusque-là. Et on peut le comprendre, tant cette confession semblait alors inenvisageable pour un boxeur pro.

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Orlando Cruz va au tapis face à Terry Flanagan. Photo Reuters

Si le temps a filé depuis l'époque de Griffith, les moeurs ont évolué lentement. Par prudence, et aussi pour prendre le temps de comprendre ce qui lui arrive, Orlando garde donc un secret absolu sur sa vie sentimentale et sexuelle. Son seul confident : un psychologue qui l'aide à progressivement libérer sa parole sur le sujet. Sur son ressenti de son homosexualité à l'époque, Orlando reste discret : « J'ai passé onze ans comme ça, c'est très long vous savez », élude le boxeur.

Orlando Cruz n'est pas le seul sportif de haut-niveau gay à avoir dû vivre dans un si lourd secret. Philippe Liotard, sociologue à Lyon I et spécialiste de l'homophobie dans le sport, avance que dans ces sports "virilistes", dont la boxe fait partie, les athlètes homosexuels ont plus facilement tendance à se murer dans le silence : « Des disciplines comme le rugby, le foot ou la boxe renvoient à une forme de masculinité traditionnelle, qui valorise la force, l'énergie, le courage comme des éléments constitutifs du mâle hétérosexuel. Dans les années 30, le boxeur était même l'une des figures érigées en contre-modèle de l'homosexuel, forcément considéré comme "une folle" à l'époque. Dans ce contexte, pour performer dans ces sports tout en étant gay, la première condition, c'est de performer dans le secret : le cas du rugbyman Gareth Thomas est très parlant de ce point de vue-là (star mondiale de son sport, il a révélé son homosexualité sur le tard, à la fin de sa carrière, ndlr). » Pas étonnant qu'il ait fallu presque autant d'années à Orlando Cruz pour se défaire de ses craintes et s'afficher publiquement tel qu'il est.

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Fin 2012, le petit boxeur porto-ricain est prêt. Après avoir d'abord parlé à sa famille, et notamment à Julian, son parrain, le boxeur, alors 4eme mondial dans la hiérarchie des poids-légers de la WBO, franchit le pas : il organise une conférence de presse et fait son coming-out face aux micros. Quand il évoque cet instant, le soulagement qu'Orlando Cruz a dû ressentir sur le moment est encore palpable : « Je sentais que c'était le bon timing, que ce n'était pas fou de me dévoiler, que j'assumais et que j'avais raison de le faire. Je parlais enfin avec mon coeur et avec mon esprit. Ca m'a fait un bien fou. »

A en croire Orlando Cruz, c'était le bon choix. Sa déclaration, qui a attiré l'attention d'une grande partie de la presse internationale, a suscité des réactions très positives : « Tout le monde me disait : "Orlando, je t'aimais déjà avant, mais là je t'aime encore plus maintenant". C'était le cas à Porto Rico, mais aussi à l'étranger. Dès que je me déplaçais pour combattre, j'étais bien accueilli, et même acclamé. Le monde de la boxe est moins homophobe qu'on veut bien nous le faire croire », assure le puncheur. Pour Philippe Liotard, ce phénomène d'acceptation progressive de l'homosexualité au plus haut niveau, dans un sport de combat qui plus est, reste récent : « Depuis un peu moins de 20 ans, les sportifs qui font leur coming out bénéficient d'une forme de reconnaissance de leur courage de la part des journalistes et de l'opinion publique. Ils inspirent le respect. Amélie Mauresmo a bénéficié de cet effet, Gareth Thomas pareil. »

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Orlando Bloom ou Tom Cruz ? Photo Reuters

Mais en dépit de ces lentes évolutions des mentalités, certains vieux réflexes demeurent sur les rings. Ces dernières années, plusieurs stars ont lâché leurs coups au sujet de l'homosexualité. Evander Hollyfield a ouvert le bal en 2014 en déclarant à la télévision britannique que « l'homosexualité n'était pas un choix, mais plutôt un handicap. » Le boxeur anglais Tyson Fury a envoyé la deuxième salve en associant la légalisation de l'homosexualité à « la fin du monde » sur les ondes de la BBC fin 2015. Enfin, Manny Pacquiao a conclu le bal en fanfare en 2016 en déclarant que les couples gays étaient « pires que des animaux » à la télé philippine.

Orlando Cruz ne boxe clairement pas dans la même catégorie que "PacMan", au sens propre comme au figuré. Pourtant, ce jour-là, le petit Porto-ricain n'a pas hésité à répondre du tac au tac aux déclarations de la star philippine. Sans haine ni rancoeur, il a simplement qualifié la sortie du multiple champion du monde « d'irresponsable » avant de lui tendre la main : « Je t'invite à me rencontrer, tu te rendras compte que je suis bel et bien un être humain, ça te fera voir les choses différemment. Peut-être même qu'après tu accepteras qu'on s'entraîne ensemble. »

Aujourd'hui encore, Orlando Cruz réagit avec plus de pitié que de colère : « Manny est plus ignorant que méchant, il a juste eu le malheur de s'exprimer sur un sujet auquel il ne connaît rien avec une exposition médiatique maximale. Forcément, ça ne lui a pas réussi. Ensuite il ne savait plus où se mettre, il a dit qu'il était désolé et tout le blabla habituel.» Effectivement, malgré le mea culpa du boxeur, Nike a rompu son contrat de sponsoring avec lui dans la foulée de sa sortie désastreuse. Ce qui, pour le coup, a l'air de plutôt faire plaisir à Orlando Cruz : « La leçon encourageante de cet épisode, c'est que la pression commerciale des sponsors, qui est parfois dure à vivre pour les sportifs, a aussi des bons côtés : dans ce cas, elle a permis de lutter contre l'homophobie. »

Au cours de ses recherches sur le sujet, Philippe Liotard a pu observer cet effet protecteur du sport-business. Qui n'est pas sans contreparties, comme le souligne le sociologue : « Plus on est dans le haut-niveau, plus on est protégé des attaques homophobes. Il y a effectivement un contrôle et une euphémisation du discours de la part des sportifs. On ne peut pas dire ce qu'on veut, on s'expose à des réactions publiques, politiques, médiatiques qui n'existent pas quand un supporter lambda tient ce discours en tribune ou sur un bord de terrain le dimanche. En revanche, la moindre attaque à votre encontre est relayée dans le monde entier, ce n'est donc pas non plus l'assurance de la sérénité. D'autant qu'un sportif gay qui vit dans le secret est constamment sur le qui-vive, il sait chacune de ses rencontres amoureuses est susceptible d'être révélée et développe toutes sortes de stratégies pour éviter cela. »

A bientôt 36 ans, Orlando Cruz n'a plus ce souci. Il approche de la fin de sa carrière sereinement, sans plus se cacher. Aux côtés de José Manuel Colon, son mari qu'il a épousé à New York en 2013, il va tenter un dernier baroud d'honneur en prenant part le 17 juin prochain à un nouveau combat au Mexique. S'il l'emporte, il sera à nouveau désigné comme challenger principal pour la ceinture WBO qui s'était refusée à lui contre Terry Flanagan. Orlando Cruz part de loin et ne désespère pas d'être le premier boxeur gay à devenir champion du monde, mais estime avoir déjà écrit son histoire. Champion du monde ou pas, pour lui, l'important est ailleurs : « Quand j'ai fait mon coming-out, de nombreux autres sportifs comme Jason Collins (un joueur NBA qui a fait son coming-out en avril 2013, soit quelques mois après Orlando Cruz) m'ont écrit pour me remercier de ce que j'avais fait. Si je ne suis pas assez fort pour devenir champion du monde, je suis assez costaud pour inspirer les gens, et c'est déjà pas mal. »