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Les questions soulevées par l'élection de Soprano « personnalité préférée des 7-14 ans » dans le Journal de Mickey

Est-ce mérité ? Est-ce surprenant ? Est-ce une insulte ? Est-ce un complot ?

L'info est tombée cette semaine, le Journal de Mickey a élu le rappeur Soprano personnalité préférée des 7-14 ans. Comme l'année dernière, le magazine avait commandé une enquête au très sérieux institut Ipsos (les mêmes qui se foirent régulièrement niveau sondages politiques, mais on ne juge pas) sur plus de 400 jeunes, autant dire que tout le pays est concerné. Surprise, le Marseillais a fait une entrée dans le classement directement à la première place, devant les sportifs Antoine Griezmann et Hugo Lloris, alors que son dernier album date d'octobre 2016 (l'étude a été menée sur une semaine fin janvier-début février 2017). On peut parler de plébiscite, mais aussi prendre un air grave, se tenir le menton et se poser des questions.

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Question #1 : Est-ce une insulte pour Soprano ?

Absolument pas. Déjà parce que l'intéressé a réagi en exclu pour le Journal de Mickey et qu'il n'a pas spécialement l'air de faire semblant quand il dit qu'il est super content.

Comme le constatait le héros de Spin City face en découvrant que son collègue Carter Heywood avait exposé dans son bureau un trophée obtenu pour un concours de danse ridicule : « Il est impossible d'humilier quelqu'un qui n'a honte de rien ». Pas la peine de forcer, le mec est heureux, acceptez-le comme il est. En plus dans cette histoire il a battu les répugnants Kev Adams et Louane, ainsi que les petits monstres de Kids United (âmes sensibles s'abstenir), sans oublier Cyprien, qui a carrément dégagé du classement. Toujours se concentrer sur le positif : même un rappeur que l'on n'aime pas reste moins haïssable que 90 % des stars de ce pays.

Question #2 : Est-ce une insulte tout court ?

Il y a des années, un titre comme « tel rappeur est l'idole des 7-14 ans » aurait sans doute été considéré comme très problématique par le rappeur en question, mais plus maintenant. Il y a du rap pour à peu près tout le monde, dans à peu près tous les styles, du plus offensif au plus niais. Et puis objectivement, il y a pire comme public niveau cohérence. Si on commence à détailler la sociologie des fans de rap, on va sans doute découvrir que Nekfeu attire en majorité des collégiennes et que Kery réunit avant tout des célibataires endurcis chiants comme la mort ; c'est déjà plus délicat. On se retrouverait vite avec des gros titres gênants du genre « Future est la personnalité préférée des connasses », « Seth Gueko est la personnalité préférée des mecs chelous », « Squeezie est la personnalité préférée des chômeurs » ou « Emmanuel Macron est la personnalité préférée des fils de pute ».

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Et puis ce classement tombe bien parce que quand j'avais écrit que Big Flo & Oli, Gims, Black M et Soprano étaient des rappeurs pour enfants dans cet article, beaucoup de gens étaient partis du principe que c'était un constat péjoratif et méprisant. Alors d'un côté oui, un peu, je l'avoue, mais de l'autre, c'était aussi 100 % exact, et pourtant je n'avais pas eu connaissance de cette étude à l'époque. De là à dire qu'un journaliste peut prédire l'avenir, il n'y a qu'un pas que certains seraient tentés de franchir.

Question #3 : Est-ce une surprise ?

Pour ceux qui mettent tous les rappeurs dans le même panier ou qui, plus simplement, vivent dans le déni quant à l'impact et à la popularité de ce genre musical, oui, sûrement. Pour tous les autres, non. « Alkpote est la personnalité préférée des 7-14 ans », là ok, ça aurait été une surprise. Mais Soprano est dans le peloton de tête niveau charts, il a pété le disque de diamant en vendant plus de 550 000 exemplaires de son album Cosmopolitanie - en gros quand il est en forme, sa catégorie c'est Gims, Jul et Black M, loin devant Booba, Nekfeu, Gradur ou Lacrim. Or, qui achète en masse la musique de nos jours ? Les plus jeunes, ou plutôt leurs parents, consternés mais impuissants.

Ensuite, sa musique actuelle est avant tout dirigée vers ce très jeune public.

- Il dit homme de couleur au lieu de « noir » dans son single.

- Il a une gestuelle marrante d'animateur de colonie de vacances et fait des super grimaces quand il rappe - ça peut être vu comme un défaut mais ça doit faire son effet dans les goûters d'anniversaire.

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- Ça fait plusieurs années que ses clips ressemblent à s'y méprendre à des publicités pour crème hydratante et/ou Eurocard Mastercard.

- Quand il veut expliquer qu'il est fort et déterminé il lâche « Tu m'appelais Kirikou, ce soir je suis John Coffey », ce qui veut dire qu'on passe d'un bébé africain à un mec qui se laisse exécuter dans le couloir de la mort alors qu'il est innocent, non sans avoir guéri un de ses gardiens en lui touchant la bite. Une certaine idée du hardcore.

- Il a fait une super apparition dans la série Nos Chers Voisins.

- Quand un autre rappeur dit « Ici c'est Paris, fuck l'OM », il garde son calme tel un moine bouddhiste et n'insulte pas le PSG, ce qui pour un Marseillais demande, beaucoup, beaucoup d'abnégation.

- Il a une tête de cartoon et un chapeau rigolo. D'ailleurs très important le chapeau, c'est à ça qu'on reconnaît les rappeurs gentils et non menaçants. Par contre si le mec à chapeau est également torse nu, ça s'annule, c'est comme ça que Booba continue de marquer son côté agressif.

- Ses concerts ressemblaient déjà à des spectacles pour enfants depuis au moins novembre 2010, où le fil rouge du show était Soprano avec une voix de robot extraterrestre qui fait découvrir sa musique au monde des humains. Henri Dès serait fier, et après tout ce n'est pas spécialement pire que les discours de Drake qui ponctuent chacun de ses lives, également robotisés mais d'une autre façon.

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- C'est tellement l'idole des gosses que Disiz, grand enfant devant l'éternel, l'a appelé pour qu'il apparaisse à ses côtés et tape une choré avec lui déguisé en Ghostbuster.

Du coup, peut-être que le rappeur devrait changer de pseudo, parce que la série de David Chase n'a pas mérité ça, son personnage non plus et son défunt interprète James Gandolfini encore moins. On peut cependant voir les choses du bon côté : peut-être que ça pourrait inciter toute cette génération à découvrir une des meilleures séries de tous les temps.

Question #4 : Est-ce que ça a toujours été le cas ?

Pas du tout. Dans une autre vie, Soprano était un rappeur dit « de rue » voire « hardcore », même si c'était il y a de nombreuses lunes. Référence à la Palestine, conclusion de couplet en mode baise Marianne, feats avec des têtes un poil teigneuses, ça y allait gaiement. Sur « Moi j'ai pas », on avait même eu droit à une pique envoyée à Booba (pas de panique, c'était le milieu des années 2000, tout le monde clashait le rappeur de Boulogne à cette époque), même si le « Moi j'ai pas trahi Ali » a été finalement censuré pour des raisons d'hygiène. On notera également que la phrase « moi j'ai pas le côté Justin de Matt Pokora » n'est plus du tout d'actualité.

Ok, pour un nostalgique pur jus de la 1ère époque des Psy4 De La Rime ça doit être un peu frustrant, mais d'un autre côté d'autres rappeurs de Marseille (on n'est pas racistes) ont repris le flambeau depuis. Et puis dès qu'Alonzo s'est envolé en solo, il s'est identifié à Broly, c'est un signe qui ne trompe pas. Pour rappel, ce personnage de Dragon Ball Z est caractérisée par une rage infinie, rage qui lui vient de souvenirs de quand il était bébé, parce que le bébé d'à côté (Sangoku) n'arrêtait pas de chialer et ça l'a traumatisé. Logiquement, le bébé d'à côté c'était Soprano, les jérémiades correspondent très exactement à ses parties chantées sur les albums des Psy4, et c'est pourquoi aujourd'hui Alonzo passe la quasi-totalité de ses clips solo à parler de soirées, de putes et d'alcool. Un guerrier légendaire est né, et on salue sa grandeur d'âme puisque les deux rappeurs ont malgré tout gardé de très bons rapports humains malgré leur styles désormais diamétralement opposés. Et ça c'est beau, d'une part parce que les histoires d'amitiés plus fortes que les divergences musicales forcent le respect, et surtout parce que c'était la seule analogie que j'ai trouvée pour empêcher des crétins de blasphémer en les comparant à Ali et Booba post-Lunatic. En plus c'est un échange de bons procédés : quand Sopran'Baba feate avec un mec qui parle d'une soirée arrosée avec des filles en petites tenues, c'est Alonzo qui fait acte de présence à sa place dans le clip. Les bons comptes font les bons amis.

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Enfin, sa popularité ne l'a pas empêché de booster le rappeur Red-K avec un album commun. Pas un simple feat, non, un album entier avec ce mec. Cadeau de la maison cadeau du patron.

Bonus : il a été assez diplomate ou chanceux niveau planning pour ne jamais donner suite au projet d'album commun avec La Fouine, qui pour le coup aurait donné naissance à une abomination, un peu comme si on croisait les effluves dans Ghostbusters. Ne JAMAIS croiser les effluves.

Bref, Soprano c'est un peu le Kad Merad du rap français : il a charbonné en groupe avant de tout péter en solo et malgré un enchaînement de succès mainstream sans âme, il garde une aura de sympathie, jamais foncièrement mauvais ou cynique. Ou peut-être que c'est juste une histoire d'accent.

Question #5 : Est-ce que ça veut dire que le rap va enfin être accepté ?

Non. Tous les mômes actuellement en adoration devant le rappeur vont grandir à un moment, et très probablement devenir des demeurés assez consensuels, surtout s'ils ont écouté du Soprano entre 7 et 14 ans. Le côté positif de la chose a malheureusement ses limites. Comme le dit Dieudonné à son fils dans son dernier spectacle, « profite, parce que tu ne seras jamais aussi con que l'adulte que tu vas devenir ».

Question #6 : Est-ce un complot ?

Ça reste une éventualité tout à fait plausible. Ce classement est publié par le Journal de Mickey, qui frappe donc un grand coup en mettant en avant un rappeur français. Niveau street-credibility, ça se pose là. Or, qui est le rival historique du crew de Mickey ? Picsou Magazine, qui avait plus de 20 ans d'avance puisque la légende du rap et des cravates texanes Olivier Cachin y écrivait à une glorieuse époque, le genre de signature prestigieuse à laquelle leurs homologues n'avaient pas accès. Tel Tupac et Biggie, les deux mags se sont sans doute livrés une guerre secrète durant toutes ces années pour se disputer la reconnaissance définitive et officielle du milieu hiphop, et Mickey a désormais pris l'ascendant sur son adversaire de toujours. Ce classement, c'est leur « Hit em up », sans l'ombre d'un doute.

Question #7 : Est-ce qu'on s'en battrait pas un tout petit peu les couilles ?

Clairement. Mais je suis payé au nombre de signes. Yérim Sar est la personnalité préférée des 7-95 ans sur Twitter.