Avec l’avocate française qui traque les tueurs en série

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Crime

Avec l’avocate française qui traque les tueurs en série

Corinne Herrmann déterre les affaires classées que la justice semble vouloir oublier – Émile Louis, Francis Heaulme et Michel Fourniret sont tous tombés face à elle.
Paul Douard
Paris, FR

« Les tueurs en série m'ont toujours déçue », déclare Maître Herrmann, assise derrière un vaste bureau noyé de dossiers judiciaires. Elle revient tout juste du procès d'assises des « disparues de l'A6 » au sein duquel Pascal Jardin, 58 ans, a été condamné à perpétuité pour le viol et le meurtre par 123 coups de couteau de Christelle Blétry, le 28 décembre 1996. « Une victoire, évidemment », m'explique-t-elle avec soulagement – mais aussi avec une pointe de fatigue, car il aura fallu vingt ans à la justice française pour trouver et condamner le meurtrier qui jusque-là menait une vie paisible. L'épreuve du temps ne fait néanmoins pas peur à cette avocate. Au contraire, elle a fait de ces « cold cases » sa spécialité et n'hésite pas à ouvrir des dossiers vieux de plusieurs dizaines d'années.

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Maître Corinne Herrmann me résume sa mission par ces mots : « Ce qui m'intéresse, c'est d'intercepter la route de personnes qui sont restées dans l'impunité. » En deux décennies d'exercice, l'avocate aura notamment intercepté la route d'Émile Louis dans l'affaire des disparues de l'Yonne. « Quinze ans de ma vie, tout ça pour prouver qu'on avait raison depuis le début », me confie-t-elle. Elle a ensuite poussé Michel Fourniret aux aveux en 2004, pour le viol et le meurtre de neuf jeunes filles. Francis Heaulme a lui aussi fait les frais de la pugnacité de Maître Herrmann, tout comme le tueur schizophrène Jean-Pierre Mura. Tous sont passés entre les mailles du filet judiciaire pendant des années, avant que Corinne Herrmann et le cabinet Seban & Associés, pour lequel elle travaille, ne reprennent chaque dossier depuis le début.

Maître Corinne Hermann, dans son bureau.

Maître Corinne Herrmann, dans son bureau situé à Paris, dans le 7ème arrondissement.

En pénétrant dans son bureau, difficile de ne pas être inhibé par l'ambiance et le poids des différentes enquêtes. Au milieu des dossiers d'instruction où sont inscrits des noms de tueurs en série notoires se trouve une carte de France, qui retrace des disparitions et meurtres de jeunes filles. Cette carte est accompagnée de plusieurs photos d'époque – dont l'une, plus grande que les autres, attire immédiatement l'attention. C'est un portrait d'Estelle Mouzin, disparue en 2003. Maître Herrmann défend aussi la famille Mouzin et ne compte pas lâcher pas cette affaire. « Il y a toujours un espoir d'obtenir la vérité. On peut le faire parler », dit-elle à propos de Michel Fourniret, qui reste aujourd'hui le suspect numéro un en dépit de son absence d'aveux. Il y a quelques années, le procureur de Charleville-Mézières avait relancé l'hypothèse de la culpabilité de Fourniret, après avoir découvert des éléments suspects à son domicile. Mais depuis, aucune preuve, si ce n'est quelques déclarations suspectes de l'intéressé au cours de son procès.

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Traquer les tueurs séries qui sévissent en France n'a pas toujours été une vocation pour l'avocate. Embauchée dans le cabinet de son oncle, elle entame sa carrière d'avocate en assurant la défense de Francis Heaulme dans le dossier Laurence Guillaume – une femme violée et assassinée en 1991. « Ça a été un choc », se souvient-elle. À ce moment-là, Francis Heaulme est d'abord acquitté. « Je me suis dit que ces gens n'avaient pas été défendus comme ils le méritaient. Ce n'est pas ça, la justice », poursuit-elle. Elle choisit donc de changer de camp, et précise aujourd'hui que c'est à cause de lui qu'elle exerce son métier actuel. C'est alors que lui tombe le dossier des disparues de l'Yonne entre les mains – cette affaire datant de 1970 a été abandonnée par la justice. Ce sera son dossier le plus marquant, comme un chemin de non-retour vers une carrière qu'elle n'avait initialement pas souhaité. « Je n'ai jamais voulu être avocate, à la base ! » rigole-t-elle. Dix ans d'enquête face à une justice apathique pour finalement démontrer que même 20 ans après, la vérité peut toujours éclater – même si elle raconte « avoir laissé des plumes » dans cette affaire.

« Lorsque Francis Heaulme vous regarde dans les yeux, il rentre en vous. »

Après toutes ces années de travail, Maître Herrmann sait parfaitement à qui elle affaire. L'un de ses multiples combats – qu'elle développe dans son livre Un tueur peut en cacher un autre – est d'abord de briser le cliché du tueur en série véhiculé par la culture populaire : à savoir un homme excessivement intelligent et agissant seul. « J'en avais marre d'affronter des policiers et des juges qui racontaient n'importe quoi. Ça bloque l'enquête. Les tueurs ont tous trois ou quatre modes opératoires différents et s'adaptent aux victimes, par exemple, et ce n'est qu'un début. » Mais surtout, ils pourraient bien être ce voisin qui vous dit bonjour tous les matins dans l'escalier de votre immeuble, sans que vous ne le remarquiez pour autant. « Les tueurs en série ont toujours refait leur vie après un meurtre. Ils sont très intégrés dans la société. Ils ont un boulot, des enfants et un mariage. Pascal Jardin était commercial et très sociable. La relation qu'ils ont avec leur victime est indépendante de la relation qu'ils peuvent avoir avec les autres. » En effet, il est possible qu'un tueur en série reste en sommeil pendant de nombreuses années. Mais cette intégration ne signifie pas pour autant qu'ils oublient ce qu'ils ont fait, comme me le confirme l'avocate : « Ils sont dans une peur viscérale qu'on les identifie. Pascal Jardin regardait toutes les émissions sur l'affaire Blétry et Émile Louis lisait tous les articles à son sujet. Ils ont souvent du mal à accepter qui ils sont. »

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Justement, qui sont-ils ? Les connaître en profondeur est l'une des parties les plus importantes du travail de l'avocate. Elle met un point d'honneur à rappeler qu'« on ne peut pas entrer dans la tête d'un tueur, à moins d'en être un soi-même. » Afin d'éviter de passer par cette case épineuse, elle retrace la vie du tueur – de ses premières classes d'école à aujourd'hui – afin de tenter de le comprendre. « Leur histoire personnelle, c'est la clé », raconte-t-elle. « Pour Émile Louis, on est allé jusqu'à demander le témoignage de son ancienne maîtresse d'école ». Le but étant d'avoir tous les éléments possibles pour les comprendre et ainsi déjouer leurs plans. En effet, il vaut mieux être préparé lorsque vous êtes seul dans une pièce avec ce genre d'individu. « Lorsque Heaulme vous regarde dans les yeux, il rentre en vous », me confie-t-elle, avant de me raconter ses trois nuits d'insomnies après sa première rencontre avec celui qu'on surnommait « le routard du crime ». Si leur image peut souvent ressembler à celle d'un campagnard affable, il n'en est évidemment rien. « Ce sont des professionnels du crime » lance-t-elle. « Ils vont très bien se défendre. Ils ancrent systématiquement leurs mensonges dans une vérité pour semer le doute ». Leur présence suffit à glacer une pièce, si bien que lors des reconstitutions avec Heaulme, les policiers gardaient toujours la main sur leur arme. « Il pouvait vriller à tout moment », estime-t-elle.

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Une partie des dossiers d'instruction, donc ceux sur l'affaire Estelle Mouzin à droite.

Une partie des dossiers d'instruction, donc ceux sur l'affaire Estelle Mouzin.

Si Maître Herrmann a passé 20 ans à « côtoyer » ces tueurs, il est toujours difficile pour elle d'expliquer ce qui les pousse à commettre de tels actes. En 2014, lors de sa garde à vue, Pascal Jardin déclarait [à propos de Christelle Blétry] : « Je lui ai couru après, couteau à la main, je n'étais plus moi-même, je ne me contrôlais plus. Je voulais voir la peur dans ses yeux, je voulais la dominer. » Si leurs actes sont souvent atroces car ils mêlent torture et violences sexuelles, ils ne sont pas systématiquement le coup d'une folie passagère. Par exemple, Michel Fourniret préparait ses enlèvements et faisait du repérage pendant des jours avant d'agir. « Il invitait même ses victimes chez lui plusieurs fois avant de passer à l'acte », me confirme l'avocate.

À rebours des stéréotypes, ces tueurs en série ne font pas toujours cavalier seul, et les complices – souvent des femmes – voient très souvent leur rôle minimisé. « Il est clair que certaines femmes les amènent à passer à l'acte en instrumentalisant l'homme qui va souvent payer pour elles », m'explique Corinne Herrmann. Le cas de Monique Olivier, l'ex femme de Michel Fourniret, est très parlant – tout comme celui de l'affaire Dutroux. C'est un point qui agace particulièrement Maître Herrmann : « C'est très dur de juger une femme, car on ne sait pas les lire, et on ne sait pas lire leurs crimes. On ne sait pas les interroger non plus. Une femme qui est arrêtée à côté d'un tueur, elle se fera toujours passer pour la victime, c'est d'ailleurs pour cela qu'elles sont toujours moins condamnées que les hommes. » La justice garde en elle, à l'image de la société, une once de sexisme qui veut que la femme soit toujours vue comme la mère de famille fragile et incapable de quoi que ce soit. Pour Maître Herrmann, ce serait pourtant Monique Olivier qui a fait de « ce petit violeur [Michel Fourniret] un tueur en série ».

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« Il y a quelque chose de sacré dans le crime. »

Si le tueur reste le personnage central de toute enquête, l'ennemi vient parfois de l'intérieur. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'avocate passe plus de temps à se battre contre la justice française que contre ces tueurs. « C'est ce qui m'épuise le plus », dit-elle. En effet, la plupart des juges d'instruction sont très frileux à l'idée de rouvrir un dossier vieux de 20 ans. « La réticence de la justice à l'égard de ces dossiers est de pire en pire. On ne pense qu'aux chiffres et au résultat. Mais on a des résultats ! » Dans cette bataille, le premier front concerne les scellés, qui permettent très souvent d'apporter de nouvelles preuves grâce aux avancées technologiques. Seulement, ils ne sont conservés que 10 ans pour un crime, sauf si une nouvelle procédure judiciaire est ouverte. Après quoi ils peuvent être détruits, emportant avec eux de potentielles preuves, comme dans l'affaire Pascal Jardin. Selon ses dires, les juges ne seraient en aucun cas formés pour l'enquête sur ce genre d'affaires. « Ce sont des gens qui ont un grand pouvoir, mais qui sont incapables d'avoir de l'empathie et d'analyser des comportements criminels », assène-t-elle. « Fourniret a avoué en 2004, et il aura fallu attendre 13 ans pour amener cet homme devant une cour d'assises. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans notre justice. » Pour débloquer la situation, elle passe souvent par les médias. « C'est un contre-pouvoir énorme face à la justice. » Cela peut lui permettre de faire rouvrir un dossier et de reprendre l'enquête.

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Et souvent, elle finit par gagner. Quand elle reçoit un coup de fil du juge ou d'un policier lui expliquant qu'ils tiennent le coupable grâce à de l'ADN par exemple, « c'est une sensation indescriptible. À ce moment-là, je vois défiler toutes ces années de travail. Je me dis juste "On avait raison de le faire. Putain, on avait raison" », me raconte-t-elle avec des trémolos dans la voix. C'est alors un basculement dans l'affaire, un combat face à la justice qui se termine – et un nouveau qui commence face au tueur lors de son procès.

Malheureusement, il est impossible de connaître toute la vérité sur un tueur en série. On parle de « chiffre noir » dans le milieu, pour désigner toutes les potentielles autres victimes que l'on n'aurait pas encore découvertes. « Heaulme, on ne sait toujours pas combien il en a tué », précise Maître Herrmann. Si ces tueurs en série sont la plupart du temps condamnés à perpétuité, ils emportent très souvent leurs secrets dans la tombe. Quand je pose la question à Herrmann sur cette volonté chez un tueur en série de ne jamais tout avouer, elle soupire un instant avant de me répondre : « Je cherche encore la réponse à cette question. Ils gardent une part de leur mystère. C'est une façon d'avoir une emprise sur nous, même après le procès. Il y a quelque chose de sacré dans le crime. Ce sont des humains extraordinaires – du moins, c'est ce qu'ils cherchent à être. »

Si elle voyait au départ ces hommes et ces femmes comme des monstres, les choses ont évolué avec le temps : « Si tu les vois ainsi, tu es dans la fascination et tu ne peux pas travailler. » Tout tiendrait au fait de connaître leur parcours – car après tout, ce sont des êtres humains, avec leurs travers et leurs souffrances. « En partant de leur histoire, tu vas comprendre leur route, et donc celles des victimes. » Il ne s'agit pas de compassion, mais bien de compréhension. « Quand je les regarde, je vois toujours l'enfant qu'ils ont été et je me demande comment ils ont pu en arriver là. C'est sans doute le seul doute qui me restera à la fin : est-ce qu'à un moment donné, on aurait pu interrompre ce parcours-là ?  C'est une trajectoire de devenir tueur », termine l'avocate.

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