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Food

Mon quotidien de cuisinier sur une péniche de luxe

Ce que j'ai appris du métier de chef et de la nature humaine en faisant la bouffe matin, midi et soir pour des gens pétés de thunes.
Photo via Flickr user : Zigazou76

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants. Dans ce nouvel épisode, un chef français nous parle de son quotidien à cuisiner sur une péniche qui propose des croisières de luxe.

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Côté cuisine, j'ai un parcours assez classique. J'ai commencé par une école à la fin du collège et puis je suis parti en apprentissage. Ensuite, j'ai enchaîné les postes et j'ai touché à tout : restaurant d'un hôtel quatre étoiles, restaurant spécialisé en fruits de mer, brasserie de luxe. Et puis il y a trois ans, j'en suis arrivé à envisager d'arrêter la cuisine. Évoluer dans ce milieu, ça te bouffe. J'étais – et je suis toujours – bon dans ce que je fais mais j'en avais marre d'être coltiné aux entrées ou aux desserts, je n'en pouvais pus d'être pressé comme un citron pour sortir deux cents couverts en une soirée. C'est avec l'envie de tout plaquer que je suis parti en vacances chez mon parrain pour me reposer. Arrivé sur son bateau qui mouille sur le Rhône, Il m'explique que la péniche voisine organise des croisières de luxe et est à la recherche d'un cuistot. J'y suis allé au culot, juste avec mon CV… Et c'est passé !

Ce job n'a rien à voir avec la restauration classique. Je travaille sur une péniche de grand luxe qui embarque jusqu'à six personnes pour des croisières. Pendant une semaine, l'embarcation de trente mètres se balade sur le canal du midi. Les clients, souvent très riches, viennent pour vivre une aventure et découvrir le terroir du sud de la France. Mon rôle, c'est de leur faire découvrir la région par l'intermédiaire de la bouffe.

Sur le bateau, je suis seul en cuisine. Je me lève à 7 h 30 pour préparer le petit-déjeuner puis j'enchaîne sur le déjeuner et le dîner. Bien sûr, j'adapte mes plats aux clients mais je jouis d'une immense liberté dans ce que je fais. Le midi, c'est souvent des repas légers : grosse salade et quiche par exemple. L'idée, c'est de faire découvrir la force des produits bruts locaux et de les mettre en valeur le plus simplement possible. Pour ça, pas de secret mais des bonnes adresses : notre péniche fait chaque semaine le même parcours et, à chaque escale, je vais chercher le meilleur chez mes fournisseurs attitrés.

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Travailler sur une péniche, ça n'est pas juste une histoire de bouffe. C'est un mode de vie particulier. J'ai clairement l'impression d'être plus qu'un simple cuistot.

La plupart des clients mangent aussi le soir sur le bateau – d'autres choisissent la demi-pension. Les dîners sont semi-gastronomiques. Sur un bateau, même de trente mètres, la cuisine n'est pas immense et c'est compliqué de faire du 100 % gastro. De toute façon, les passagers cherchent avant tout à découvrir les spécialités françaises. Je revisite des plats traditionnels comme le bœuf bourguignon – c'est mon classique. Le seul truc que je fais rarement, c'est la bouillabaisse – même si les clients me la demandent souvent. Je ne peux pas leur dire « non », donc je leur explique que c'est compliqué d'avoir certains produits sans être en bord de mer. Ma parade pour ne pas qu'ils soient déçus ? Un ragoût de la mer : des fruits de mers hyperfrais, d'énormes gambas et du saumon de grande qualité. Rôtis, avec une sauce au vin blanc et un riz rouge de Camargue. Ça marche à chaque fois.

Mais travailler sur une péniche, ça n'est pas juste une histoire de bouffe. C'est un mode de vie particulier. On est toute la semaine dans le travail. J'ai clairement l'impression d'être plus qu'un simple cuistot. La cuisine est ouverte sur le salon : je vois en permanence les gens pour qui je prépare à manger. À l'appel du fumet des aliments qui cuisent, il n'est pas rare qu'ils viennent voir ce qui se passe en cuisine. On échange, je leur apprends la recette ou j'improvise un cours de cuisine. C'est probablement ce qui change le plus : je ne suis plus caché derrière un mur et je fais partie intégrante de la vie du bateau. C'est autrement plus valorisant et ça me permet d'avoir un minimum d'interaction sociale. En plus, les clients me voient… et me filent des pourboires : 500 euros en moyenne chaque semaine.

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Fréquenter une clientèle riche au quotidien, vivre avec eux, ça m'a fait changer d'avis sur cette catégorie de gens. Mon analyse est simple : un con reste un con, qu'il soit riche ou non.

S'ils donnent autant d'argent, c'est qu'ils sont du genre très riches. Les fréquenter au quotidien, vivre avec eux, ça m'a fait changer d'avis sur cette catégorie de gens. Mon analyse est simple : un con reste un con, qu'il soit riche ou non. Une fois, on a reçu un couple de français infernal – le genre de personnes qui, parce qu'elles sont riches, ont perdu le sens des réalités. Un peu à cran parce qu'il pleuvait et que cela gâchait ces vacances, le mari se permettait n'importe quoi. À six heures trente, tous les matins, il venait taper à ma porte pour que je lui prépare une salade de fruits. Il était capable de hurler mon nom à l'autre bout de la péniche pour que je lui serve un verre. La femme, elle, fumait à l'intérieur alors qu'on lui rappelait en permanence que c'était interdit.

L'autre preuve que les riches sont des gens comme les autres ? Ils aiment le cul – mis à part qu'ils sont peut-être plus cash que la moyenne car ils ont l'habitude de tout avoir. Ça m'est arrivé plusieurs fois de me faire draguer par des clientes – qui ont en général la cinquantaine. Une fois, une femme de 45 ans m'a demandé de la rejoindre dans le jacuzzi, tard le soir. Bien sûr, elle était à poil. Une autre, une dame de soixante ans s'est mise à me tripoter le cul quand je lui donnais un cours de cuisine. Hyper gênant. Dans les deux cas, j'ai dit non – on ne couche pas avec ses clients. Mais la aussi, c'est délicat : il faut réussir à ne pas trop les vexer.

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Si un con reste un con, un type bien reste un type bien. Une fois, nous avons accueilli un P.-D.G. étranger, l'une des cinquante plus grosses fortunes du monde. On s'imagine qu'un type comme ça a forcément la grosse tête – et on peut le comprendre. En vrai, c'était un des hommes les plus géniaux que j'ai rencontré. Ouvert d'esprit, absolument pas lourd, il avait gardé une âme d'enfant. En plein été, il avait dû s'acheter un chapeau au Monoprix du coin ; il est revenu avec des chapeaux de cow-boys pour tout le monde, équipage compris, et nous avons organisé une fête western. On est encore en contact régulièrement ; à vrai dire, il m'a même proposé de me payer des vacances pour que je vienne le voir.

Propos rapportés par Clément Pouré.