Mange, prie, pollue : comment le tourisme du yoga dégrade sa ville sacrée d'origine
Photos by Mary Pilon

FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Mange, prie, pollue : comment le tourisme du yoga dégrade sa ville sacrée d'origine

Alors que les touristes viennent à Rishikesh à la recherche de la propreté physique et spirituelle, la pollution dans le Gange et aux alentours n'a jamais été pire.

Il y a peu, un matin à Rishikesh, en Inde, des centaines de personnes se sont rassemblées sur des tapis de yoga pour prier, méditer et s'étirer le long des rives du Gange. Pieds nus, vêtus de pantalons de yoga, de chemises amples et de larges sourires, ils se prosternent devant la rivière qui est depuis longtemps une source d'inspiration et de vie pour les millions de gens qui vivent à ses abords. « Baignez-vous dans la spiritualité du Gange », invite le site du Festival International du Yoga.

Publicité

Ce festival, organisé en mars par Parmarth Niketan, le plus grand ashram de Rishikesh, a attiré plus de 1200 touristes venant de plus de 85 pays du monde entier. C'est l'événement majeur d'une ville qui mise beaucoup sur le tourisme autour du yoga. Ces dernières années, des millions de dollars ont été investis dans la ville grâce à des âmes bienveillantes désireuses d'augmenter leur aura. Et beaucoup disent que le Gange est au yoga ce que Cooperstown est au baseball. Le fleuve est un lieu de pèlerinage depuis des siècles.

Mais alors qu'il y a de plus en plus de touristes en quête de purification physique et spirituelle qui affluent vers Rishikesh, la pollution du Gange et de ses alentours, elle, n'a jamais été aussi alarmante. Des riverains disent que les ashrams déversent leurs eaux usées et leurs déchets dans le Gange, la même rivière dans laquelle ils se baignent, dans laquelle ils boivent et utilisent l'eau tous les jours pour cuisiner. Il y a peu de solutions, beaucoup de locaux ne savent pas quoi faire et sont frustrés de ce qu'ils considèrent comme un manque de responsabilité.

« Les gens viennent ici pour y voir un peu plus clair dans leur merde, me dit un résident de Rishikesh qui a voulu rester anonyme. Mais où va leur merde ? »

Les problématiques de pollution et d'hygiène publique ne sont pas nouvelles en Inde. Le pays essaie de nettoyer le Gange depuis des dizaines d'années mais il demeure l'une des cinq rivières les plus polluées au monde. En même temps, son bassin est le plus peuplé du monde, comptant, d'après les chiffres de la Banque mondiale, plus de 600 millions d'habitants, dont beaucoup n'ont pas accès à la plomberie de base. Avec des milliards de tonnes d'eaux usées, partiellement voire pas du tout traitées s'y déversant tous les jours, « les eaux [du Gange] ne sont pas adaptées à la baignade et encore moins à la consommation. » Mais pour beaucoup de gens de la région, qui est aussi l'une des plus pauvres du monde, l'eau du fleuve est la seule alternative.

Publicité

Même dans les rues de Rishikesh, située plus en amont du Gange, dans les montagnes de la région nordique d'Uttarakhand, déchets, déjections animales et liquides mystérieux sont communs. C'est un contraste frappant avec l'industrie du yoga de la région, une sous-catégorie de ce que les commerçants appellent aujourd'hui « le tourisme de bien-être » qui s'est transformé en un marché « à croissance rapide » d'une valeur de 438,6 milliards de dollars selon le Global Wellness Institute. Ces voyageurs sont considérés comme des touristes « à fort rendement », dépensant 1800 euros ou plus, soit environ 130% de plus que le visiteur moyen, selon le groupe. En Asie, le tourisme de bien-être se développe à vitesse grand V : l'Inde seule revendique 32,7 millions de voyages en 2013, et le continent compte quelque 9,2 milliards de dollars de recette.

Mais alors que l'affluence à Rishikesh augmente et que la région se développe, les infrastructures d'hygiène publique, elles, n'ont pas évolué au même rythme. « Beaucoup de ces petites villes ne sont pas autonomes financièrement et le plus rentable pour elles c'est juste de faire descendre un tuyau et tout déverser dans l'eau, déclare Ujjayant Chakravorty, professeur en économie à la Tufts University, qui se consacre au développement environnemental. On peut voir que la qualité de l'eau ne s'améliore toujours pas. »

Il semble que les ashrams suivent également cette tendance. Selon le Hindustan Times, une enquête pour le Tribunal National Vert indien a révélé plus tôt cette année que 1500 hôtels et ashrams de la région déversaient leurs eaux usées directement dans le fleuve. En d'autres mots, la majorité des visiteurs de la région défèquent directement dans l'eau qu'ils prétendent vénérer et les riverains se plaignent d'avoir à en subir seuls les conséquences comme les odeurs, le peu d'accès à l'hygiène publique et les multitudes de maladies.

Publicité

Parmarth Niketan, l'organisateur du Yoga Festival, prétend faire les choses différemment. « Le gouvernement et les autres institutions officielles savent que Parmarth est à la tête du mouvement de nettoyage et non pas contributeur de la pollution », dit Sadhvi Bhagawati Saraswati qui vit et enseigne à l'ashram. Les eaux usées de Parmarth « vont directement dans les canaux des eaux usées de la ville, ajoute-t-elle. Pas une goutte ne va dans le Gange. »

Mais Rishikesh ne dispose que d'une seule station d'épuration qui a été mise en service en 1984 et qui a une capacité de six millions de litres par jour – et que le Bureau Central du Contrôle de la Pollution considère « insuffisante pour la population présente. » On estime que la région génère environ le double de cette quantité d'eaux usées. Sur les 22 principaux ashrams de Rishikesh et d'Haridwar qui ont fait l'objet de l'enquête du Bureau Central du Contrôle de la Pollution d'Uttarakhand l'année dernière, seulement cinq disposaient de station d'épuration selon le Hindustan Times.

Lors de mon récent séjour à Rishikesh, plusieurs habitants m'ont parlé de l'aspect économique de l'évacuation des eaux usées là-bas. Bien que quelques régulations par rapport aux déchets ont été mises en place ces dernières années, l'application de celles-ci peut s'avérer faible et incohérente. Il est souvent moins cher et plus facile de soudoyer les fonctionnaires locaux pour éviter une possible amende plutôt que de payer la construction d'une nouvelle station d'épuration, dont le prix peut s'élever à plusieurs milliers de dollars.

Publicité

Certains ashrams, comme Parmarth, entretiennent des relations privilégiées avec les fonctionnaires locaux. Le festival est co-sponsorisé par le gouvernement et on a pu voir plus d'une fois des officiels du gouvernement en costumes, et accompagnés de toute leur sécurité, se frayer un chemin à travers les foules de yogis pour faire des apparitions publiques. Que le gouvernement soit impliqué « est d'un grand bénéfice pour les participants », dit Saraswati, faisant référence à la sécurité renforcée et à la mise en place d'autres événements dans des endroits comme Hardiwar. Elle pointe du doigt beaucoup de développements économiques dans la région qui ont augmenté la déforestation et la pollution comme les usines et présente le tourisme du yoga comme une source potentielle de développement qui aide la région sans la détruire.

« L'intention derrière ça, bien sûr, est d'augmenter les recettes de la région et d'embaucher des gens, dit Saraswati. Si on arrive à leur montrer à quel point le yoga a du succès, et la demande qui existe, alors on espère qu'ils créeront de plus en plus de centres pour former des professeurs de yoga, des experts ayurvédiques, etc…plutôt que de créer de plus en plus d'usines. »

Bien que les déchets industriels restent un problème pour le Gange, les experts et le CPCB estiment qu'au moins 70 % de la pollution provient des eaux usées. Le développement du tourisme lié au yoga est sans doute plus écologique pour la région que la construction d'usines, mais l'évacuation des eaux usées restera un problème si aucun investissement n'est fait dans la construction de structures de traitement des eaux usées.

Publicité

« Ils sont en plein délire de pouvoir et d'égocentrisme », affirme Anupam Mukerji, un des organisateurs du Festival International du Yoga. Mukerji a fondé Yogastra, une entreprise de tapis de yoga organiques basée à Bangalore, visant à proposer une alternative à la production toxique de beaucoup de tapis sur le marché. Cette année, c'est la première fois qu'il vient au festival en tant que vendeur et la quatrième fois qu'il vient à Rishikesh. « Les participants ici se font un peu arnaquer », précise-t-il.

Mukerji pensait que son produit local et 100 % naturel trouverait un public de clients respectueux de l'environnement à Rishikesh. Mais il a été surpris de voir qu'il n'y avait même pas de poubelles prévues sur les lieux du festival juste en face du Gange. Étant donné que les exposants paient un forfait de 30 000 roupies (environ 450$, ndlr) à l'avance pour être au festival, il pense que le contrôle des déchets devrait pouvoir rentrer dans le budget des organisateurs. Il ne prévoit pas de revenir au festival l'année prochaine.

Saraswati dit que Parmarth est déterminé à travailler avec les fonctionnaires locaux pour nettoyer la région car la pollution et les déchets font fuir les visiteurs. Le « domaine du festival et de l'ashram est bordé de poubelles, explique-t-elle. Elles sont permanentes et sont là depuis des dizaines d'années. » (Lors de ma visite à Rishikesh plus tôt cette année, j'ai remarqué beacoup de poubelles sur la propriété de l'ashram, mais moins dans les rues alentours et les aires adjacentes où d'autres événements du festival de yoga ont lieu.)

Publicité

Les gros titres préjudiciables, les images et les recherches sur le Gange ont déclenché quelques actions, certaines plus significatives que d'autres. L'augmentation du nombre d'ONG dans la région a été d'une aide précieuse, selon Chakravorty, le professeur à Tufts, particulièrement dans l'arrêt de la construction d'usines supplémentaires, de centrales électriques, ou de barrages permettant le déversement de déchets industriels.

Parmi les ONG les plus plus en vue à Rishikesh on trouve Ganga Action Parivar, fruit de la préoccupation environnementale de Parmarth. Des photos du nettoyage d'une rivière organisé quelques années plus tôt, ainsi que d'autres événements liés au Gange couvrent les murs de l'ashram et sont postées en ligne. Des images des dirigeants locaux et de participants au festival avec des sacs-poubelle et des gants en caoutchouc travaillant sans relâche pour nettoyer les rives attirent les dons et l'encouragement de la part des visiteurs qui se sentent purifiés spirituellement et généreux après des semaines de yoga et de méditation. Mais d'après des interviews avec trois différents habitants à l'année de Rishikesh, il s'agit certainement d'opérations de com. Après que les sacs ont été remplis, racontent ces habitants, ils ont été vidés de nouveau dans le Gange un peu plus en aval.

Saraswati nie cette version des faits. « Je peux vous assurer qu'aucune ordure n'a jamais été jetée dans le Gange », dit-elle. Elle explique que depuis des années, il n'y a pas eu de site officiel pour jeter ses déchets de ce côté de la rivière et que du coup l'ashram emmène ses déchets de l'autre côté du pont. « Peut-être que quelqu'un a vu que l'on emmenait les déchets en aval et a cru qu'ils allaient être déversés dans le Gange alors qu'on les emmenait à la déchetterie la plus proche », dit-elle.

De toute façon, des petits efforts comme ramasser les détritus font l'effet d'un petit pansement sur une plaie béante. « Beaucoup se découragent tellement le défi est énorme, remarque Chakravorty. Bien sûr, on ramasse des déchets ou des petites choses le long de la rivière, mais c'est la voie de la moindre résistance. Le plus gros problème, c'est de confronter les acteurs qui pourraient stopper la pollution. » Cela n'inclue pas seulement le secteur privé mais aussi les municipalités et implique de repenser l'infrastructure basique. (Ni le Tribunal Vert National, le CPCB, ni le UKPCB n'ont répondu aux demandes d'entretien de VICE Sports.)

Alors que tout au long des années, un tas d'efforts ont été proposés à travers tous le pays pour essayer de nettoyer le Gange, la plupart ont échoué avant même d'être mis en œuvre. Le gouvernement a formé un Tribunal Vert National en 2010 pour répondre aux critiques disant qu'il ne faisait pas assez pour combattre la pollution du fleuve, mais les résultats ont été virtuellement inexistants. Certains hôtels et ashrams sont fermés pour non-respect, selon les rapports de la presse locale, mais l'application des sanctions est incohérente.

La prochaine génération d'habitants de Rishikesh voit tout ça se dérouler sous ses yeux, même après que les touristes aient roulé leur tapis de yoga et soient rentrés chez eux. À Ramana's Garden, une école d'enfants située sur le Gange depuis les années 1970, les organisateurs disent qu'avant ils pouvaient boire directement dans la rivière, mais que maintenant, elle est tellement toxique que si la situation ne s'améliore pas, l'infrastructure, qui héberge 70 enfants, devra fermer ses portes.

Le mois dernier, des enfants ont joué une pièce de théâtre critiquant la pollution croissante et la réponse inefficace des bureaucrates. Leur public comptait des officiels du gouvernement ainsi que des promoteurs. Le personnage principal était un employé bien-intentionné mais inefficace du Tribunal Vert National. Parmi les répliques satiriques qui revenaient souvent, on pouvait entendre : « Dites-le à quelqu'un qui en a quelque chose à faire » et « Je fais un rapport immédiatement ! »

Non loin de l'endroit où les enfants jouaient leur pièce, il y avait, il fut un temps, une statue de Shiva, avant qu'elle ne tombe dans la rivière et ne soit emportée en aval. Les habitants plaisantent en disant que lui aussi en a eu marre de tout ça. Mais à l'inverse de Shiva et des milliers de touristes qui passent tous les ans, la plupart des habitants de Rishikesh n'ont pas le luxe de pouvoir laisser tous ces problèmes derrière eux.