Au cours de l’été 2015 – le plus chaud jamais enregistré au Canada –, Meg Ruttan Walker, 37 ans et originaire de Kitchener, en Ontario, a beaucoup souffert de la canicule. « Les étés ont été stressants pour moi depuis que j’ai eu mon fils », dit cette ancienne enseignante qui milite désormais pour l’environnement. « C’est difficile de profiter d’une saison qui nous rappelle constamment que le monde se réchauffe. »
« Je crois que mon anxiété a atteint son paroxysme à ce moment-là », poursuit-elle. Il lui semblait qu’il n’y avait nulle part où aller, et bien qu’elle ait parlé de son anxiété à son médecin traitant, elle n’a pas demandé l’aide d’un spécialiste de la santé mentale. Soudain, elle envisageait l’automutilation. « Même si je ne comptais pas passer à l’acte, je ne savais pas comment vivre avec la peur de… l’apocalypse, je suppose ? Mon fils était à la maison avec moi et j’ai dû appeler un ami pour qu’il vienne le surveiller parce que je ne pouvais même pas le regarder sans me mettre à pleurer », se rappelle Walker qui, le soir même, a fini dans une clinique psychiatrique.
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Son cas est extrême, mais en vérité, beaucoup de gens souffrent de ce que l’on appelle le « désespoir climatique », à savoir le sentiment que le changement climatique est une force imparable qui va bientôt entraîner l’extinction de l’humanité et rendre la vie entre-temps inutile. Comme le souligne David Wallace-Wells dans son best-seller The Uninhabitable Earth, « Pour la plupart des gens qui perçoivent une crise climatique déjà en cours et pressentent une métamorphose plus complète du monde à venir, la vision est sombre, souvent reconstituée à partir d’images eschatologiques héritées de textes comme l’Apocalypse, source incontournable de la peur occidentale de la fin du monde ».
On utilise l’expression « désespoir climatique » depuis la parution en 2010 du livre d’Eric Pooley, The Climate War : True Believers, Power Brokers, and the Fight to Save the Earth. Dans The Uninhabitable Earth, Wallace-Wells note que la philosophe Wendy Lynne Lee appelle ce phénomène l’« éconihilisme » ; l’homme politique et militant canadien Stuart Parker préfère quant à lui parler de « nihilisme climatique ».
Quel que soit le nom que vous lui donnez, il s’agit d’une condition indéniable, même si elle n’a pas encore de critère diagnostique formel. (C’est normal – il a fallu des décennies avant que l’Organisation mondiale de la santé ne déclare le « burn-out » comme un « phénomène professionnel » officiel.) Il est impossible de savoir combien de personnes comme Ruttan Walker ont vécu le désespoir climatique comme une crise de santé mentale, mais le désespoir est partout autour de nous : dans nos propres réactions momentanées mais intenses aux dernières nouvelles climatiques, dans les mèmes et les blagues sur l’extinction humaine, même dans les œuvres de philosophie et de littérature. Maintenant, il y a même un groupe de scientifiques et d’écrivains qui non seulement croient en notre perte imminente, mais qui semblent l’accueillir à bras ouverts.
Ce désespoir vient peut-être du fait que le changement climatique est plus que jamais dans nos esprits. Selon la sociologue et psychologue Renne Lertzman, auteur de Environmental Melancholia, paru en 2015, de plus en plus de gens réalisent que le changement climatique est réel, effrayant et qu’il n’est pas traité correctement. « C’est une expérience surréaliste, parce que nous sommes toujours dans le même système, donc nous voyons des gens qui conduisent des voitures, qui mangent beaucoup de viande, qui agissent comme si tout était normal », dit-elle. Or, pour certaines personnes, ce sentiment est incompatible avec la poursuite des activités de la vie quotidienne.
Mais le désespoir climatique va bien au-delà de la crainte raisonnable qu’un réchauffement de la planète rende la vie plus difficile et force l’humanité à faire des choix. Au lieu de nous motiver, le désespoir climatique nous demande d’abandonner. Dans une étude réalisée en 2009 par les chercheurs britanniques Saffron O’Neill et Sophie Nicholson-Cole, des points de vue sur les données relatives au climat ont été présentés aux participants qui ont été encouragés, par crainte, à agir, sinon quoi quelque chose de mal pourrait arriver.
Souvent, ces appels ont donné lieu à « du déni, de l’apathie, des rejets et des associations négatives ». En fin de compte, les chercheurs ont conclu que « les images du changement climatique peuvent évoquer des sentiments puissants sur des questions importantes, mais cela n’a pas nécessairement donné aux participants à l’étude le sentiment de pouvoir faire quelque chose à ce sujet ; en fait, c’était plutôt le contraire ». En d’autres termes, si vous dites aux gens « vous devez faire quelque chose ou nous allons tous mourir », ils ont tendance à choisir la deuxième option, peu importe à quel point cette impulsion peut sembler irrationnelle.
Mais les experts disent que ce n’est pas le bon moment pour accepter la fin du monde. Selon Andrew Dessler, professeur de sciences atmosphériques à l’université A&M du Texas, la certitude quant à l’extinction de l’homme n’est pas correcte, ni « un point de vue particulièrement utile ». Dessler m’explique par mail que « nous avons toujours le contrôle (pour la plupart) de notre destin. Il est très douloureux d’être humain à ce moment de l’histoire. Mais nous devons traduire nos préoccupations – notre désespoir, notre colère, nos sentiments – en actions. »
De loin, le désespoir climatique peut être considéré comme de l’anxiété et de la dépression, fréquentes chez les patients obsédés par le climat, mais il est difficile de nier l’effet unique que le changement climatique a sur la santé mentale. Le 5 mai dernier, un groupe de psychologues et de psychothérapeutes suédois ont publié une lettre ouverte à leur gouvernement, dans laquelle ils soulignaient le statu quo pervers du changement climatique – la préoccupation n’est pas tant que l’environnement se dégrade, mais que rien ne soit fait à ce sujet.
Plus précisément, la lettre expliquait que les enfants ont parfaitement conscience que les adultes leur laissent un monde de merde ; une chose vraiment horrible à savoir quand on est un enfant. « Une crise écologique persistante, sans solution active de la part du monde adulte et des décideurs, augmente le risque qu’un grand nombre de jeunes soient touchés par l’anxiété et la dépression », peut-on lire.
Greta Thunberg, la militante suédoise de seize ans qui a mené les récentes grèves qui se sont propagées dans les écoles du monde entier, a déclaré lors de sa conférence TED Talk en 2018 que le fait d’en savoir plus sur le changement climatique était un enfer pour sa jeune psyché. « À l’âge de onze ans, je suis tombée malade. J’ai fait une dépression. J’ai arrêté de parler et de manger. En deux mois, j’ai perdu environ dix kilos », dit-elle. Plus tard, elle a découvert qu’elle était autiste Asperger et atteinte d’un mutisme sélectif. Puis elle est sortie de son désespoir et a trouvé une voix quand elle a décidé de protester en refusant d’aller à l’école jusqu’à ce que le monde commence à se bouger.
La simple lecture des faits sur le changement climatique peut produire des réactions pas si différentes de celles de Thunberg. The Uninhabitable Earth appelle le changement climatique « la fin de l’ordinaire », expliquant que « nous sommes déjà sortis de l’état des conditions environnementales qui ont permis à l’animal humain d’évoluer en premier lieu, dans un pari incertain et non planifié sur ce que cet animal peut endurer ». Le rapport de l’ONU de l’an dernier sur l’échec probable de l’humanité à prévenir le réchauffement en deçà du seuil de 1,5 degré avait un message similaire, tout comme le rapport de mai sur le fait qu’un million d’espèces sont en voie d’extinction à cause de la dégradation environnementale causée par l’homme, si nous ne changeons pas notre cap et ne cessons de produire des gaz à effet de serre (et autres formes de dégradations environnementales). Toujours en mai, un groupe de réflexion australien a qualifié le changement climatique de « menace existentielle à court et moyen terme pour la civilisation humaine ».
Ces signes avant-coureurs contribuent sans aucun doute à la prise de conscience, mais pour certaines personnes, cette prise de conscience peut se solder par le désespoir. Maisy Rohrer, 22 ans, chercheuse en développement à l’université de New York, est aux prises avec le réchauffement climatique depuis des années. « Je pense que le désespoir a commencé vers mes 18 ans, quand je me suis davantage intéressée aux changements que subit la Terre. J’ai eu des crises de panique en voyant la fonte des calottes glaciaires et la famine des ours polaires. J’ai appelé ma mère pour lui dire que la vie était inutile », se souvient-elle. À l’époque, elle était d’avis que la race humaine « devait être anéantie ».
« J’avais des pensées suicidaires. Les humains faisaient beaucoup de mal à la Terre et, en tant que personne, je ne pouvais pas avoir un impact positif, alors il valait mieux que je ne sois plus là pour causer d’autres dommages », dit Rohrer.
Même ceux qui n’ont pas de pensées suicidaires peuvent être profondément affectés par le désespoir climatique. Brooke Morrison, 26 ans, originaire de Caroline du Nord, est une animatrice radio qui parle avec enthousiasme de la musique pop lorsqu’elle est à l’antenne. Hors des ondes, son monde n’est pas si brillant. « J’ai déjà l’impression d’être en deuil pour ma vie et mon avenir », dit-elle. Même ses projets de vie – elle veut s’installer à Los Angeles – sont marqués par son pessimisme. « Je crois à 100 % que la côte ouest sera bientôt sous l’eau et j’aimerais en profiter tant qu’il en est encore temps », dit-elle.
Elle souffre à différents « niveaux », comme elle les appelle, des horreurs écologiques qui l’attendent : « J’ai l’impression d’avoir déjà perdu. Que tout est hors de contrôle. J’ai l’impression de ne pas pouvoir fonder une famille, alors je me dissuade d’en vouloir une ou même de me marier. J’abandonne, c’est tout. Pourtant, j’essaie de faire preuve de volonté et d’aller de l’avant. J’essaie de garder un peu d’espoir. » Mais quand elle dit « espoir », elle ne veut pas dire espoir pour la planète : elle n’accorde aucune valeur aux tentatives de l’humanité d’atténuer les changements climatiques. « Je pense qu’il est trop tard », dit-elle.
Ces sentiments peuvent être puissants, mais ils ne sont pas fondés sur une science exacte. Michael Mann, le climatologue de Penn State qui a contribué à attirer l’attention du public sur les tendances historiques qui sont au cœur de notre compréhension du changement climatique, qualifie cette perspective de « catastrophisme » et tient à préciser que les preuves ne soutiennent pas une telle situation. Malheureusement, il y a une mauvaise science derrière ce « catastrophisme », dit-il. Et d’ajouter : « Il n’est pas nécessaire d’exagérer ou de déformer ce que la science a à dire. »
Et voici ce que la science a à dire : les modèles qui utilisent le statut quo – a.k.a. « ne rien changer » comme point de référence – montrent que nous nous dirigeons vers le bord du précipice en termes d’habitabilité de la planète. Mais ces modèles exagèrent probablement l’inaction de l’humanité. Des (petits) pays entiers ont des plans sérieux pour réduire rapidement leur empreinte carbone et des pays plus grands font de sérieux progrès, mais pas assez rapidement. D’après ces tendances, il est possible d’imaginer que l’humanité parviendra à une relative stabilité climatique, même si les effets de nos émissions de gaz à effet de serre – dont certaines sont terribles – continuent de se répandre, peut-être pendant des milliers d’années. Ce serait toujours mieux que de ne jamais décarboniser et de ne jamais parvenir à un semblant de stabilité.
Dessler l’exprime ainsi : « Je pense qu’il est clair que les émissions tomberont à zéro et stabiliseront le climat quelque part au cours de ce siècle. Mais il nous faudra 50 ans pour y arriver, et le monde sera différent de ce qu’il serait si nous le faisions dans 20 ans. C’est à nous de décider dans quel monde nous voulons vivre. »
Il est évident que l’humanité doit traiter le changement climatique comme un problème urgent et, comme le souligne Wallace Wells dans Uninhabitable Earth, il est important de discuter des possibilités extrêmement pessimistes, à condition qu’elles soient effectivement possibles, car « lorsque nous rejetons les pires scénarios, cela fausse notre sens des résultats probables, que nous considérons alors comme des scénarios extrêmes que nous ne devons pas planifier si soigneusement ». Mais l’élan intellectuel du désespoir climatique va plus loin en insistant sur le fait que seuls les pires scénarios méritent d’être sérieusement pris en considération.
C’est une vision du monde qui s’est épanouie dans des endroits comme le subreddit /r/collapse, qui organise les événements d’actualité de manière à démontrer que le monde touche à sa fin. Les auteurs Paul Kingsnorth et Dougald Hine ont mis le terme « solutions » dans des citations effrayantes dans leur Manifeste de la Montagne Sombre de 2014, qui, tout en étant surtout un appel littéraire aux armes, embrasse aussi l’idée d’une société « en ruine ». Et il y a des scientifiques qui se vendent comme prophètes de la fin du monde, juste pour que leurs prophéties puissent être réfutées. Parmi eux, on retrouve le célèbre exagérateur de la fonte des calottes polaires Peter Wadhams et l’écologiste et fabuliste de la « fin est proche » Guy McPherson.
Mais rien n’est comparable à Deep Adaptation : A Map for Navigating Climate Tragedy, un texte écrit et publié en 2018 par le professeur Jem Bendell, de l’université de Cumbria, et refusé par un journal universitaire. L’article affirme qu’un effondrement des sociétés est inévitable et imminent. « Et vous aurez peur d’être tué avant de mourir de faim ». L’article est si sombre qu’il a poussé les gens à suivre une thérapie et même à quitter leur emploi pour vivre plus près de la nature.
Mais Deep Adaptation a été mis au pilori car il ne répondait pas aux normes académiques. J’ai montré le texte à l’anthropologue Joseph Tainter, le plus éminent spécialiste que j’ai pu trouver sur le sujet de l’effondrement de la société, et il m’a dit : « Je trouve le papier de Bendell simpliste et superficiel. Puisqu’il est également alarmiste, je le qualifierai également d’irresponsable. Après avoir passé en revue les tendances environnementales liées au changement climatique, il ne parvient pas à démontrer comment elles conduisent aux “famines, destructions, migrations, épidémies et guerres”. Il se peut que le changement climatique mène à la totalité ou une partie de ces choses, mais dans un tel document, il faut démontrer comment. » (En réponse à Tainter, Bendell m’a dit que son article n’expliquait pas le mécanisme de l’effondrement parce qu’il « était déjà long, compte tenu du résumé de la science climatique et des processus de déni », et qu’il « parlait de mon domaine professionnel de développement durable et non d’autres domaines, comme celui de l’histoire de l’effondrement des sociétés »).
Quiconque suit les questions liées aux changements climatiques sait à quel point les conséquences seront dévastatrices. Mais les universitaires et les militants craignent que des perspectives comme celle de Bendell ne fassent plus de mal que de bien. Mann, le climatologue, pense que même Wallace-Wells va trop loin. En réponse à l’article du magazine new-yorkais de 2017 sur lequel s’est basé le livre de Wallace-Wells, Mann a écrit : « La peur ne motive pas, et la cultiver est contre-productif, car elle tend à éloigner les gens du problème, ce qui les pousse à se désengager, à douter ou même à rejeter le problème. »
En allant plus loin, l’activiste et écrivain britannique George Monbiot considère le fait de succomber au désespoir comme un échec moral. « En levant les mains sur les calamités qui pourraient un jour nous affliger, nous les déguisons et nous transformons des choix concrets en une peur indéchiffrable, écrivait-il en avril. Nous voulons nous débarrasser de l’acte moral en prétendant qu’il est trop tard pour agir, mais ce faisant, nous condamnons les autres à la misère ou à la mort.
Si le désespoir engendre l’inaction, c’est évidemment un problème. Mais d’autres pensent qu’un certain degré de crainte peut être utile. Dans un essai de quatre sociologues (Kasia Paprocki, Daniel Aldana Cohen, Rebecca Elliott et Liz Koslov) publié en mai, les auteurs défendent un « malaise utile ». Ils écrivent qu’ils n’ont pas pu s’empêcher de constater que leurs collègues en sciences physiques ont du mal à faire face aux « preuves accablantes d’une apocalypse » et qu’ils « se désespèrent à cause de ce qu’ils savent et de la façon dont on les ignore, les rejette ou même les menace ». Pourtant, écrivent-ils, « nous croyons que nos malaises sont productifs. Ils nous permettent de rejeter le catastrophisme et de définir la possibilité d’un avenir meilleur ».
En fait, au fur et à mesure que le désespoir grandit, la vision américaine des changements climatiques semble avoir changé. En février, Yale a publié une enquête sur les attitudes à l’égard du changement climatique et a signalé un pic de 8 % en une seule année des personnes qui se disent « alarmées » par le changement climatique. Cette enquête a été menée peu après la publication, en octobre 2018, du rapport spécial des Nations Unies sur les effets du réchauffement planétaire. L’enquête de Yale ne relie pas ces points et la corrélation ne signifie pas la causalité, mais il est tentant de penser que quelque chose a sorti beaucoup de gens de leur complaisance, du moins momentanément. Les politiciens parlent aussi de plus en plus du changement climatique, la gauche s’alignant derrière le Green New Deal. Même les républicains sont disposés à envisager des politiques climatiques.
Ce n’est probablement pas très rassurant pour ceux qui sont déjà aux prises avec des problèmes de santé mentale de savoir que le dialogue sur les changements climatiques pourrait s’aggraver. « J’avais l’impression que chaque boisson que je buvais avec une paille allait être plus préjudiciable que ça ne l’était probablement, et cela m’a amené à arrêter de manger suffisamment et à prendre d’autres décisions qui nuisaient à ma santé en général, dit Rohrer. Et le manque de nourriture et de sommeil a alimenté ma dépression, ce qui a augmenté ma paranoïa et ma panique face au climat. C’était un cercle vicieux. »
Katerina Georgiou, thérapeute londonienne, me dit par mail que ce désespoir climatique est « généralement lié à des clients qui ont déjà un diagnostic d’anxiété ou de TOC ». Elle explique que ces patients souffrent « beaucoup », mais d’après son évaluation, cela « a moins à voir avec le sujet lui-même qu’avec le mode de fonctionnement de l’anxiété. Le changement climatique devient une fixation, mais c’est la fixation qui en est le symptôme ». Quand je lui demande quelles sont les stratégies à adopter pour y faire face, sa réponse est simple : « Réduisez le temps passé devant les infos et sur les réseaux sociaux. »
Cependant, de nombreuses personnes à qui j’ai parlé et qui souffrent de désespoir climatique ne voulaient pas que leur fixation sur l’avenir de la planète soit traitée comme un symptôme. Pour ces patients, une première étape importante consiste simplement à trouver un thérapeute qui reconnaît que le changement climatique n’est pas une manifestation d’un problème mental.
Rohrer a été soulagé de trouver quelqu’un comme ça. Elle m’a écouté, m’a laissé parler pendant deux heures lors de notre première consultation et m’a dit que je devais mettre de côté mon désespoir au sujet du climat et remettre en question ma tendance à tout catastrophiser. Au début, j’étais très en colère. Mais quand elle m’a expliqué pourquoi et que nous avons fait un plan qui prévoyait d’y revenir, je me suis sentie comprise, ce qui a beaucoup aidé. »
Selon Ruttan Walker, l’activiste qui a eu une crise en 2015, le thérapeute parfait serait capable de reconnaître que oui, la santé mentale est le problème principal, mais aussi de reconnaître l’« énormité de la crise climatique ». Elle dit aussi qu’elle aurait besoin de « quelqu’un avec qui elle pourrait travailler à long terme, parce que je dois encore vivre dans un monde où la crise climatique ne va pas disparaître. Être piégée dans le désespoir n’est pas une option pour moi en tant que mère ou activiste ».
Lertzman pense que les thérapeutes doivent changer. « Nous parlons d’un fait nouveau et sans précédent, et nous avons besoin de nouvelles pratiques pour y faire face. Mais cela ne signifie pas qu’il faille tout recommencer à zéro », dit-elle. D’une façon ou d’une autre, nous devons avoir des conversations sans retenue sur ce que nous ressentons au sujet du changement climatique. Aucune émotion n’est mauvaise. « Lorsqu’il y a une crise dans nos vies – comme la perte d’un emploi, le décès d’un proche, un divorce, des catastrophes naturelles, des inondations et des incendies – nous devons être capables de gérer notre expérience, généralement en parlant à d’autres personnes, prévient Lertzman. Après ça, nous sommes plus à même d’aller de l’avant. Ce contexte n’est pas différent. »
Pour les thérapeutes, Lertzman suggère la mise en œuvre d’une pratique appelée entretien motivationnel (E. M.), promue par les psychologues William Miller et Stephen Rollnick. Son objectif est de provoquer, par des questions, des changements de comportement difficiles mais nécessaires chez le patient. « Il faut du temps pour arriver à une conversation de 15 minutes en utilisant l’E.M., par opposition à une interaction de 5 minutes pendant laquelle vous dites simplement à la personne de manger ci ou ça ou de faire plus d’exercice », dit Lertzman. Selon elle, « respecter notre expérience en tant qu’atout précieux et plein de sagesse » est la partie la plus importante de la thérapie pour faire face au désespoir climatique.
Même si de telles thérapies peuvent transformer le désespoir des gens en actions utiles, il semble que ce processus soit lent à un moment où, comme Bill Nye l’a récemment souligné, le monde est en feu. Pourtant, Lertzman dit qu’il faut parfois prendre son temps pour aller de l’avant : « Il y a une phrase dans l’E.M. : “Nous n’avons pas le temps de ne pas prendre de temps”. »
Cependant, si apprendre à motiver les gens semble prendre un certain temps, il existe une autre façon, beaucoup plus ancienne et plus simple, de traiter le désespoir. Céder un instant à la tentation. Pleurer. Reconnaître à quel point la situation est mauvaise et ne s’améliorera jamais. Jamais. Bref : il faut passer par le deuil. Walker dit qu’elle utilise souvent le deuil comme un moyen d’exprimer ses émotions face au climat. « Nous devons reconnaître que nous avons changé notre planète. Nous l’avons rendue plus dangereuse et plus chaude, explique-t-elle.
Lertzman est d’accord avec cette approche. « Il est sain de faire son deuil. Nous devons honorer ce que nous ressentons. Ce n’est pas la même chose que de se vautrer dans le désespoir, explique-t-elle. Le deuil est un processus. Une reconnaissance. Et cela permet d’aller de l’avant. »
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