Lorsqu’un hôte Airbnb s’inquiète pour son logement en location, il s’imagine souvent des fêtes bruyantes, des dégâts voire des vols mais rarement son appartement en maison close. Ce genre de cas s’accentue pourtant avec la crise sanitaire. Le marché des locations touristiques au point mort, les activités des travailleurs et travailleuses du sexe dérangées par le couvre-feu et le confinement ont fait le cocktail parfait pour transformer les Airbnb en lieux de passe.
Julien, qui tient à rester anonyme pour ne pas impacter son business sur Airbnb, loue depuis cinq ans plusieurs logements sur la plateforme. Il y a deux mois, il a découvert qu’une cliente qui lui louait régulièrement un de ses appartements parisiens n’était autre qu’une travailleuse du sexe qui l’utilisait pour faire ses affaires. « J’avais baissé mes prix dès le premier confinement pour continuer à toucher un peu d’argent de mes logements et cette femme m’a contacté fin 2020. Elle m’a dit qu’elle venait souvent à Paris pour le travail. Je ne me suis pas méfié » raconte-t-il.
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Les réservations de la part de la même cliente se succèdent au fil des mois sans problème notable et c’est seulement un appel d’un voisin qui lui met la puce à l’oreille. Ce dernier se plaint de cris et d’allées et venues aussi bien en journée que la nuit. Inquiet, Julien pense tout de suite à la prostitution et décide d’en avoir le coeur net. Il se déplace et reste plusieurs heures dans la rue, caché dans sa voiture, pour observer l’immeuble. « J’ai vu deux hommes différents entrer et repartir, à quelques heures d’intervalle. J’ai trouvé ça louche vu que c’est un petit immeuble de deux étages et que je connais tout le monde. Mais ce n’était pas une preuve suffisante pour aller sonner à la porte et lui demander de partir. »
Le propriétaire prend son mal en patience et attend la fin du séjour de sa cliente. Pour la première fois depuis le début de son business sur Airbnb, il décide d’aller faire le ménage en personne. Non pas pour passer le balai mais pour analyser les lieux. « Il n’y avait rien de vraiment choquant à part quelques tâches suspectes sur les draps. Mais quand j’ai ouvert la poubelle, j’ai compris que mon voisin avait raison. Il y avait au moins une dizaine de préservatifs usagés. » Julien n’a préféré pas porter plainte mais a contacté Airbnb qui lui a viré 300 euros de frais de ménage et dédommagement.
Draps ensanglantés, mobilier brisé, portes défoncées, télé éventrée, une expertise atteste 38 000€ de travaux auxquels s’ajoutent 32 000 euros de loyers non perçus.
Mais la plateforme n’est pas toujours aussi clémente avec ses hôtes. En 2017, un propriétaire a décidé d’attaquer Airbnb qui refusait de lui payer les travaux après avoir vu son appartement être saccagé par un réseau de prostitution. Draps ensanglantés, mobilier brisé, portes défoncées, télé éventrée, une expertise atteste 38 000 euros de travaux auxquels s’ajoutent 32 000 euros de loyers non perçus, le logement n’ayant pu être loué pendant un an et demi. Selon le propriétaire, après des mois de bataille, Airbnb aurait fini par faire plusieurs propositions d’indemnisation, mais jamais à la hauteur des sommes qu’il réclamait. Si la travailleuse du sexe a reconnu les faits, la procédure contre Airbnb en Irlande est toujours en cours.
Selon l’OCRTEH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains), 30 à 40% des réseaux de proxénétisme passe par ces locations de courte durée sur internet. Un chiffre qui a probablement augmenté, ces derniers mois, avec la crise sanitaire et les nombreux logements vacants à bas prix. Les logements qui proposent un tarif moins élevé que la moyenne sont plus susceptibles d’être visés par les réseaux de prostitution. Ce qui motive certains hôtes à augmenter leurs prix à la nuitée, au grand dam des locataires.
Laurent est un rentier Airbnb, il vit de tous ses logements à Grenoble disponibles à la location sur la plateforme depuis bientôt dix ans. Dernièrement, un de ses appartements a été réservé par deux Russes, le propriétaire affirme avoir eu un pressentiment dès la réservation. Quelques semaines plus tard, une autre Russe réserve ce même logement. Suspicieux, il tape son numéro de portable sur internet et tombe tout de suite sur un site d’escort. « Il y avait des photos d’elle prises chez moi en plus. » Malgré sa stupéfaction et sa peur, Laurent ne cherche pas à congédier la jeune femme et attend son départ avec impatience.
« Je ne voulais qu’on me retrouve découpé en mille morceaux, j’avais clairement affaire à un réseau de prostitution. »
S’il n’a pas contacté Airbnb ou porté plainte, c’est principalement pour éviter des représailles. « Je ne voulais qu’on me retrouve découpé en mille morceaux, j’avais clairement affaire à un réseau de prostitution. » Depuis Laurent reçoit encore régulièrement des propositions de ce type mais il fait, à présent, attention à toutes ses réservations. Si on lui demande si le logement possède un interphone c’est, dans le cas de prostituées, pour gagner en praticité pour faire entrer les clients plus facilement. Et puisque la discrimination et le fait de choisir à la tête du client valent une suppression d’un compte sur Airbnb, Laurent vérifie toujours le numéro de son locataire sur les moteurs de recherche.
Certains vont même jusqu’à installer une caméra de surveillance devant leur porte d’entrée pour vérifier les allées et venues dans le logement. Une solution uniquement autorisée par la loi lorsque l’enregistrement est à l’extérieur de l’appartement. Question légalité, l’hôte Airbnb peut devenir complice de proxénétisme s’il ne porte pas plainte et qu’il est prouvé qu’il savait d’avance qu’il louait son logement à des travailleurs du sexe. Un hôte qui agit en connaissance de cause risque jusqu’à 7 500 euros et 10 ans de prison. S’il ne savait pas, il est alors considéré comme une victime et est auditionné comme témoin.
Contacté par nos soins, Airbnb s’estime injustement montré du doigt alors qu’il ne s’agit pas de la seule plateforme de location concernée par ces problèmes. Selon son porte-parole, moins de 1% des voyages effectués via Airbnb entre le 1er juillet 2019 et le 30 juillet 2020 ont fait l’objet d’un signalement lié à ce genre de questions de sécurité. Des faibles chiffres qui s’expliquent par la crise sanitaire mais surtout des hôtes qui contactent très rarement la plateforme dans le cas de prostitution, par peur de représailles comme nous l’ont raconté beaucoup de nos témoins.
Pour le porte-parole, de nombreuses mesures sont déjà appliquées pour lutter contre ces pratiques : « Nous avons une tolérance zéro envers toute forme d’activité illégale. Nous utilisons des technologies sophistiquées et des systèmes d’analyse comportementale automatisés afin de détecter et empêcher les comportements indésirables sur la plateforme. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services de police français pour les assister dans leurs enquêtes ».
Même si Airbnb bannit les voyageurs “indélicats” et supprime leurs comptes, la plateforme ne dépose jamais plainte contre eux. Tout repose entre les mains des hôtes, parfois trop inquiets à l’idée de se retourner contre des réseaux de prostitution qui connaissent leur adresse, leur nom et numéro de téléphone.
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