Pour protéger son identité, je décide de l’appeler Alba. Quand je lui dis, elle rigole et insiste pour que je choisisse autre chose. « Alba est un prénom courant dans notre communauté, explique-t-elle. On ne voudrait pas accidentellement gâcher la vie d’une pauvre fille. » Nous nous mettons donc d’accord sur le pseudonyme d’Amanda.
La jeune femme de 20 ans me parle sous couvert d’anonymat parce qu’elle est une gitana, une femme de la communauté rom espagnole. Elle est sur le point de se marier, seulement voilà : elle n’est plus vierge. Si son secret devenait public, elle serait couverte de honte et expulsée de sa maison et de sa communauté. « Alors maintenant, je dois faire ce que j’ai à faire », me dit-elle. Et par là, elle veut dire subir une reconstruction de l’hymen pour convaincre son mari qu’elle est vierge lors de leur nuit de noces.
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Quelques instants après notre rencontre, et malgré sa nervosité initiale, Amanda commence à me raconter comment elle a perdu sa virginité. « Je suis tombée amoureuse de ce payo [un non-Rom, NDLR], explique-t-elle. Je ne voulais pas le perdre, alors je me suis sentie obligée de coucher avec lui. Après notre rupture, j’ai couché avec un autre homme, mais je n’étais pas amoureuse de lui. Non pas qu’il m’ait forcée à le faire, j’ai passé un bon moment », dit-elle en riant.
Quand Amanda avait 14 ans, son père l’a promise en mariage au fils d’un ami de la famille. À l’époque, son fiancé avait 15 ans. « Heureusement, son père a trouvé un emploi à l’étranger et sa famille a dû déménager au Portugal pour quelques années, dit-elle. J’ai pu continuer à aller à l’école et à voir mes amis. »
« La cérémonie du mouchoir pour vérifier la virginité de la mariée »
Alors qu’elle menait une vie d’adolescente relativement normale, ses amis roms ont commencé à se marier, les uns après les autres, jusqu’à ce qu’elle soit la seule célibataire restante. « Aucun de mes amis non-roms n’est marié, dit Amanda. Si cela ne tenait qu’à moi, je resterais célibataire encore quelques années, mais ce n’est pas vraiment une option. Si je ne me marie pas, ça blessera mon père, et je n’ai pas envie de lui faire ça. À mon âge, beaucoup de femmes roms ont déjà trois ou quatre enfants. » Amanda est déçue de ne pas avoir d’influence sur son avenir, mais en même temps, elle s’en réjouit. « Je préfère me marier, me dit-elle. Et au moins, c’est un type bien. »
La « cérémonie du mouchoir » est une étape importante dans un mariage rom espagnol, en particulier dans la région andalouse de la côte sud de l’Espagne. Dans ce rituel, une spécialiste féminine – une juntaora – insère un mouchoir dans le vagin de la mariée, déchire l’hymen et prélève des taches de sang pour prouver sa virginité.
Mais avant de se soumettre à ce test, les non-vierges comme Amanda ont souvent recours à ce que l’on appelle communément un zurcido, qui se traduit vaguement par « raccommodage ». « Je suis loin d’être la première fille rom à faire un zurcido, ça, c’est sûr », me dit Amanda.
Au cours des quinze dernières années, la docteure Vilas a pratiqué d’innombrables chirurgies de reconstruction de l’hymen sur des femmes qui, selon son expérience, ont recours à l’intervention « soit pour des raisons esthétiques, soit parce qu’elles appartiennent à une culture qui valorise la virginité d’une femme ».
Dans son cabinet à Madrid, la docteure Vilas explique à Amanda en quoi consistera l’opération. Tandis qu’elle dessine des diagrammes complexes de vagins sur son tableau, Amanda ne peut s’empêcher de ricaner. « Vous n’avez pas besoin de m’expliquer quoi que ce soit, dit-elle. Tant que vous savez ce que vous faites, ça me va. »
La spécialiste continue quand même. « Vous avez le choix parmi plusieurs options chirurgicales, explique-t-elle. La plus simple consiste à suturer les reliquats d’hymen présents et peut être effectuée sous anesthésie locale. Je recommande aux patientes d’attendre au moins trois jours avant d’avoir des rapports sexuels afin de permettre au nouvel hymen de cicatriser. »
Une autre méthode consiste à insérer une membrane artificielle et facilement déchirable appelée Alloplant. Enfin, la procédure la plus invasive consiste à faire des incisions des deux côtés de la membrane qui recouvre les parois vaginales, avant de les assembler. Par conséquent, les patients doivent attendre longtemps avant d’avoir des rapports sexuels, car cela crée une plaie ouverte qui doit cicatriser.
« Quelle que soit l’option choisie, souligne la chirurgienne, le travail doit être effectué par un spécialiste. Malheureusement, de nombreuses femmes optent pour des procédures illégales et bon marché qui mènent à d’horribles infections et qui créent parfois une couche de faux tissu de l’hymen, qui est ensuite impossible de déchirer en ayant des rapports sexuels. » Une recherche rapide sur Internet révèle qu’il existe plusieurs types de membranes gélatineuses que les femmes peuvent acheter et qui promettent de libérer un liquide rouge pendant le sexe.
Si la chirurgie n’est pas une option, il reste une dernière une solution. Amanda me parle d’une amie dont les parents ont soudoyé la junteora afin qu’elle prétende que le test du mouchoir était réussi. « Le soir de sa nuit de noces, elle a aussi piégé son mari. Elle s’est coupé le doigt, l’a inséré dans son vagin, avant de le sortir pour faire croire qu’elle saignait. »
En attendant la décision d’Amanda, la docteure Vilas m’explique pourquoi le test du mouchoir est ridicule. « Une fille peut être vierge et ne pas saigner du tout », dit-elle. En effet, la recherche a révélé qu’environ une femme sur mille naît sans hymen et que près de la moitié des femmes ne saignent pas lorsqu’elles ont leur premier rapport sexuel.
« Parfois, si une fille n’a pas les moyens et qu’elle ne veut pas demander de l’argent à son père, ses amis l’aident à réunir la somme » – Amanda
Amanda finit par choisir la première méthode, ce qui signifie qu’elle devra revenir au cabinet quatre jours avant son mariage. « Ma mère devra trouver une excuse pour venir à Madrid et m’accompagner », me dit-elle.
Amanda a parlé de l’opération à presque toutes les femmes de sa famille, sauf à ses grands-mères. Il s’agit d’un secret de polichinelle dans de nombreuses familles roms. « Parfois, si une fille n’a pas les moyens et qu’elle ne veut pas demander de l’argent à son père, ses amis l’aident à réunir la somme », dit-elle.
L’opération d’Amanda va coûter 2 600 dollars – une somme colossale pour sa famille. « Si ma mère n’avait pas l’argent, je ne sais pas comment j’aurais fait, dit-elle. Je vais faire tout ce que je peux pour me faire pardonner. »
Le jour de l’opération, Amanda se présente avec sa mère et une cousine. Nos salutations sont un peu tendues – sa famille lui en veut un peu d’avoir accepté de parler à une journaliste. Mais Amanda a des choses plus importantes en tête. « Je ne sais pas pourquoi je suis si nerveuse. Je n’ai jamais entendu parler d’une reconstruction de l’hymen qui aurait mal tourner, me dit-elle. Pour l’instant, tout ce que je veux, c’est me marier, m’installer avec mon mari et rembourser ma mère pour tout ce qu’elle a fait pour moi en lui donnant des petits-enfants. »
Sa mère et sa cousine semblent incroyablement calmes et patientes. Elles ne montrent aucun signe de frustration ou de colère à l’égard d’Amanda. Elles patientent dans la salle d’attente et parlent du mariage, comme si elles étaient là pour une visite de routine. Le moment est venu pour Amanda. Sa mère lui fait deux bisous et dit une prière rapide. Avant de disparaître, Amanda jette un coup d’œil en arrière. Je ne sais pas vraiment quoi dire ou faire, alors je lève nerveusement mes deux pouces en l’air, puis je fais le signe universel pour « OK ».
L’opération doit durer une heure. Je décide d’attendre Amanda pour savoir comment ça s’est passé. Mais à peine a-t-elle disparu que sa cousine se lève et, très poliment, me demande de partir. « Ça ne me dérange pas que vous soyez là, explique-t-elle, mais ça met vraiment ma tante mal à l’aise. C’est une affaire privée, familiale. » Avant de partir, je leur souhaite bonne chance. Et la mère d’Amanda de répondre : « Au diable la chance. Ce n’est pas de la chance qu’il nous faut, mais nos 2600 dollars. »
Je retrouve Amanda quelques jours après son mariage. Elle me dit qu’elle était un peu nerveuse à l’idée de danser ce jour-là parce que la chirurgienne lui avait dit d’éviter de faire des mouvements trop brusques, mais tout allait bien. Le test du mouchoir s’est également déroulé comme prévu, mais si ce n’avait pas été le cas, sa mère était prête à soudoyer la juntaora à la dernière minute. Et sa nuit de noces a aussi été un succès, me dit-elle, même si elle a eu plus mal que prévu. « Mais pas autant que la première fois », dit-elle en souriant.
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