J’écoutais récemment une entrevue de Teki Latex et De Grandi, qui parlaient de la Bérite Club Musique, le nouveau mouvement musical auquel ils contribuent tous deux. À un moment, De Grandi parle de Castlevania, le mythique jeu vidéo du début des années 80, en discutant du projet Boss Rush, sorti sur son label Paradoxe Club, et les deux discutent de l’importance des jeux vidéo dans leur musique. Je me souviens alors que TTC, l’ancien groupe rap de Teki Latex, samplaient souvent des jeux. Le côté nerdy des musiciens pousse souvent à être des geeks dans plein d’autres aspects de notre vie, et ça inclut très souvent une obsession pour les jeux vidéo. Si on passe notre temps libre à jouer soit sur nos consoles de jeux vidéo, soit sur nos consoles en studio, une activité aura forcément de l’influence sur l’autre.
On parle souvent des aspects importants d’un jeu vidéo : les graphiques, le scénario, la jouabilité en ligne, etc. La trame sonore d’un jeu vidéo, par contre, est aussi hyper-importante. Certains jeux comme Jet Set Radio Future (où il fallait débloquer de nouvelles chansons à chaque niveau) ou la série Grand Theft Auto (qui engage des musiciens et des DJ’s comme curateurs pour leurs différents postes de radio) ont fait de leur bande sonore un point central du jeu.
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La symbiose entre musique et jeux vidéo n’est pas récente. Owen Pallett, musicien torontois en nomination aux Oscars pour la bande sonore de Her (composée avec William Butler d’Arcade Fire), se produit aussi sous le nom Final Fantasy et tire son inspiration de jeux vidéo. Skream et Benga (ainsi qu’une armée de jeunes producteurs en herbe) faisaient des beats sur leur PlayStation 1 avec Music 2000, au début des années 2000.
Benga produit un 8-beat de grime classique avec sa Playstation 1.
Ces deux producteurs sont d’ailleurs les figures de proue de deux sous-genres dont personne n’a jamais entendu parlé : le grime et le dubstep, styles dont les sons de jeux vidéo font partie intégrante. Dans son livre Mediapolis: popular culture and the city, Alex de Jong explique que « le grime montre bien que les bruits clichés de jeux vidéo ou de sonnerie de téléphone cellulaire font autant partie des sons de la ville que les cris de mouettes ou le grondement des voitures et du métro ». C’est une réinterprétation urbaine de la musique concrète, en quelque sorte. Le grime est tellement inspiré des jeux vidéo, en fait, que quelqu’un s’est récemment rendu compte que la « première » chanson grime faisait partie de la bande-son d’un jeu vidéo de Wolverine, composé par le producteur de jungle Dylan Beale.
Au Japon, où être gamer est un mode de vie plutôt qu’un simple hobby, des compositeurs comme Richard Jacques et Soichi Terada, qui se sont surtout fait connaître grâce à leurs contributions à des bandes-sons de jeux, sont aujourd’hui des célébrités à part entière. Le kawaii beat et le vaporwave, deux styles d’électro-pop new wave inspirés par des jeux vidéo japonais ont vu le jour au début des années 2010 et gagnent en notoriété partout dans le monde, surtout en Amérique du Sud. En témoignent les succès d’artistes comme Future Girlfriend, originaire du Paraguay, et Macross 82-99, un mexicain aujourd’hui installé au Japon.
Aux États-Unis, les rappeurs s’en donnent à cœur joie, et samplent souvent des jeux d’arcades rétro, comme l’a fait Kanye West avec sa chanson Facts, où il sample Street Fighter 2.
La connexion entre musique de jeux et musique électronique est facile à faire. Mais la musique de jeux s’immisce aussi dans d’autres genres. Partout dans le monde, des orchestres présentent des adaptations symphoniques de musiques de jeux vidéo. Les plus connus sont sûrement le Video Game Orchestra de Boston et le London Philharmonic Orchestra, qui interprètent des chansons de jeux allant d’ Angry Birds à Call of Duty, en passant par Zelda. Au Québec, plusieurs Montréalais font partie de Distant Worlds, une production de concerts construits autour de la musique de Final Fantasy, qui a récemment joué à guichets fermés à la Place des Arts.
Bien entendu, il est impossible de parler de musique de jeux vidéo sans aborder Zelda, une des franchises les plus importantes de l’industrie. Autant de producteurs attendent la sortie de ses nouveaux jeux que celle de ses trames sonores. Les producteurs québécois n’y font pas exception, comme en témoigne le travail du maire officieux de Laval, High Klassified.
La culture des jeux vidéo s’est insérée avec succès dans la culture populaire, et sa musique aussi. Il serait aujourd’hui impensable de dissocier musique et jeux vidéo, tant ils sont intimement liés. Et le succès de jeux comme la série Def Jam prouve que la culture de l’un a une influence directe sur l’autre. Le futur est dur à prédire, mais les consoles Nintendo étant des sources de sample de choix pour plusieurs producteurs, il est raisonnable d’assumer qu’avec la sortie de la Nintendo Switch la semaine dernière, ce n’est qu’une question de temps avant que les prochains tubes de l’été contiennent des sons de Legend of Zelda: Breath of the Wild ou encore de I am Setsuna.
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