Que manque-t-il à la science pour rendre le voyage dans le temps possible ?
Toutes les illustrations sont de Sarah-Louise Barbett

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Que manque-t-il à la science pour rendre le voyage dans le temps possible ?

Un chercheur en astrophysique détaille ce qu'il nous manque pour transformer le passé et le futur en parcs d’attractions pour touristes.

Cet article vous est présenté par Canal +, qui diffuse la série 22.11.63 – à découvrir dès maintenant. Cliquez ici pour plus d'informations. Et si la science rendait le voyage dans le temps possible ? Imaginez–vous capable de naviguer dans le temps, de sorte que le passé et le futur deviennent des parcs d'attractions pour touristes. Imaginez-vous retourner dans le passé, iriez-vous « sauver l'humanité » en allant assassiner Adolf Hitler ? Tenteriez-vous de gagner au loto, ou de voyager dans le futur pour demander conseil à votre vous octogénaire ?  Depuis La Jetée, jusqu'à Interstellar en passant par Retour vers le futur, le cinéma a toujours été très friand de ce genre de scénario, et d'histoires de machines à voyager dans le temps. Qu'ils soient scientifiquement proches de la réalité ou non, ces films ne cessent de nous fasciner. Au-delà des grandes problématiques qu'ils soulèvent – notre futur est-il déjà écrit ? Avançons-nous vers une destinée que l'on ne peut contrôler ? Peut-on changer le passé ? – ils ont au moins le mérite de vulgariser des concepts d'astrophysique abstraits. Mais si le voyage dans le temps est possible à Hollywood, l'est-il en réalité ? Qu'en dit la science ? On a discuté avec Roland Lehoucq, chercheur en astrophysique et auteur de plusieurs livres de vulgarisation scientifique, pour qu'il nous explique ce qui manquait aux scientifiques à l'heure actuelle pour que l'on puisse voyager dans le temps. VICE : Bonjour Roland. Tout d'abord, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est l'espace-temps ?
Roland Lehoucq : Pour les non scientifiques, il y a deux choses qui sont a priori distinctes : l'espace et le temps. On peut se déplacer librement dans l'espace, mais pas dans le temps, qui s'écoule indépendamment de nous. On a tendance à imaginer ces deux notions comme universelles. Le monde entier est capable de se mettre d'accord pour identifier des référentiels qui normalisent ces concepts (minutes, secondes, kilomètres, etc.). Or, cette vision des choses est fausse. Elle fonctionne très bien pour la vie quotidienne, mais elle n'est pas vérifiée dans de nombreuses situations de physique. Cela découle de la théorie de la relativité restreinte d'Einstein, qui stipule que la vitesse de la lumière dans le vide prend la même valeur pour tous les observateurs. Comme la vitesse est le quotient d'une distance par une durée, le fait qu'une vitesse soit invariante impose que distance et durée dépendent de l'observateur. Ainsi, Einstein a créé cette notion d'espace-temps, qui mélange l'espace et le temps. Une conséquence est que la durée qui séparent deux événements dépend de votre état de mouvement. Par exemple, imaginons que vous fassiez tomber un objet sur une table et mesuriez la durée qui sépare le lâcher et l'impact : vous trouvez 3 dixièmes de secondes. Une personne en mouvement par rapport à vous mesurera une durée différente. Pour les mouvements de la vie quotidienne, les écarts de durées sont infimes. Ils ne deviennent accessibles à nos sens que si l'on se rapproche de la vitesse de la lumière. Reste que ces effets ont été mesurés et validés avec une grande précision grâce aux horloges atomiques. Mais la mesure des durées est aussi affectée par l'intensité du champ de pesanteur où vous vous trouvez. Je vous ai parlé de la théorie de la relativité restreinte, mais il y a aussi la théorie de la relativité générale qui concerne les champs de pesanteur. Si vous prenez deux horloges identiques et synchronisées et en mettez une au sol et l'autre en altitude, vous allez constater que celle qui est au sol retarde par rapport à celle qui est en altitude. Plus l'altitude est importante, plus le retard le sera. Ces écarts sont négligeables dans la vraie vie, ce qui fait que les durées que nous mesurons nous paraissent identiques. En conséquence, vous avez votre temps à vous, votre temps propre, comme j'ai mon temps à moi, mon temps propre. Mais puisque nous sommes dans un champ de pesanteur faible et que nos vitesses relatives sont faibles, votre temps propre et le mien sont quasiment identiques. On arrive à se mettre d'accord sur un temps commun, mais en réalité ce n'est pas possible.

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L'idée de voyage dans le temps suppose que tout le monde possède le même temps, mais nous venons de voir que ce n'est pas le cas. On peut, par des jeux de déplacement dans l'espace et de gravité, créer un décalage entre temps propres si important qu'il sera manifeste à nos sens.

En quoi cela permet-il d'appréhender le voyage dans le temps ?

Ainsi, voyager dans le temps signifie voyager dans le temps d'un autre. Je peux me débrouiller pour que mon temps propre se décale significativement par rapport au vôtre. Par exemple, vous restez sur Terre tandis que je pars dans un vaisseau très rapide (280 000 km par seconde par exemple). Je fais un grand voyage, je reviens quand mon horloge de bord a mesuré un an. La vôtre aura mesuré presque huit ans ! On est d'accord pour dire que je n'ai pas fait de « voyage dans le temps » à proprement parler, mais pourtant, j'ai voyagé dans votre futur. Et se balader au voisinage d'un objet dont la gravité est très importante comme un trou noir, ou une étoile à neutron, ajoute un décalage supplémentaire. Je peux alors me retrouver dans une situation voisine de celle du film Interstellar où une heure passée près d'un trou noir équivaut à sept ans sur Terre. C'est une situation extrême, mais cohérente avec ce que nous dit la théorie de la relativité générale d'Einstein. Il faut donc voyager dans l'espace pour « voyager dans le temps » ?
L'idée de voyage dans le temps suppose que tout le monde possède le même temps, mais nous venons de voir que ce n'est pas le cas. On peut, par des jeux de déplacement dans l'espace et de gravité, créer un décalage entre temps propres si important qu'il sera manifeste à nos sens. Pour vous donner une idée, le cosmonaute russe Sergei Krikalev a passé 803 jours dans l'espace. Cette performance lui a permis d'être un cinquantième de secondes plus jeune que s'il était resté au sol. Il était en orbite sur la station Mir, en altitude à environ 400 km de la Terre, et en mouvement à 7,7 kilomètres par seconde. Sa vitesse était suffisamment rapide et son altitude suffisamment haute pour qu'il revienne avec un décalage de temps, bien qu'il soit plutôt faible. Vous voyez donc qu'avant de définir ce qu'est un voyage dans le temps, il faut définir ce qu'est le temps. Voyager dans le temps de quelqu'un d'autre est possible, mais dans son temps propre à soi, non. L'idée de machine à voyager dans le temps telle qu'on la voit dans la fiction est donc une pure fantaisie ?
C'est fantaisiste puisque cela suppose que le temps est le même pour tout le monde. En revanche, je peux faire un voyage dans une fusée très rapide pour ce qui m'apparaît comme un an, et faire en sorte qu'il se soit écoulé 1 000 ans sur Terre (pour cela il faut aller à 99,99995 % de la vitesse de la lumière !). D'une certaine façon, il s'agit d'un voyage dans le futur de la Terre.

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Théoriquement donc, on peut voyager dans le futur, mais pas dans le passé ?
La notion de voyage dans le temps n'a pas de sens pour un physicien. Imaginons quand même une machine à voyager dans le temps, avec un temps commun pour tout le monde et où tout est écrit, le futur comme le passé. Des paradoxes entrent alors en jeu et nous donnent des histoires étonnantes. Imaginez par exemple retourner dans le passé. Vous rencontrez votre grand-père quand il était jeune et vous le tuez par accident. Il ne rencontrera pas votre grand-mère, n'aura pas d'enfants et vous ne pourrez pas naître. Il y a un donc le problème de savoir d'où vous venez. Imaginez-vous maintenant retourner dans le passé et vous donner l'article qui fera de vous le prochain prix Pulitzer du journalisme. C'est votre vous du futur qui le fait parvenir au vous du passé. Le vous du passé reprend l'article, le publie et obtient le prix Pulitzer. Mais il y a un problème puisqu'il ne l'a jamais écrit, mais qu'il a seulement recopié. Qui a donc écrit ce livre ? Imaginer un retour dans le passé soulève donc deux types de paradoxes, le paradoxe du grand-père et le paradoxe de l'écrivain. Ce sont des situations où il y a un effet sans cause apparente, des situations qui brisent la causalité. Cette notion fondamentale en physique veut que les effets suivent les causes, toujours dans le même ordre pour tous les observateurs. Si on veut voyager dans le passé, il faut faire de la physique sans causalité, et ce n'est pas possible pour ce que nous en savons… Que manque-t-il aujourd'hui aux scientifiques pour pouvoir voyager dans le temps ?
En termes de physique, on ne peut pas dire qu'il manque quelque chose dans la mesure où le voyage dans le temps est une notion qui est en dehors de son champ. Ce qu'il manque c'est d'être capable de faire rentrer la notion dans le champ de la physique. C'est comme si vous demandiez, qu'est-ce qu'il manque à la physique pour pouvoir expliquer Dieu. Eh bien, voyez-vous, Dieu n'est pas un problème qui relève de la physique. Il manque des outils théoriques et pratiques et cette question ne rentre pas dans la façon dont la physique travaille sur le monde.

Je vois. Ce n'est pas un problème d'ordre technologique mais plutôt théorique.
Exactement, c'est un problème épistémologique qui relève des fondements de la démarche scientifique. Donc, oui, c'est beaucoup plus profond que technique. Reste que techniquement, il est envisageable de voyager dans le futur de la Terre. Il nous faudrait partir un an dans un vaisseau extrêmement rapide qui voyage à une célérité très proche de la vitesse de la lumière, disons 299 000 km/s. Dans ce cas vous revenez sur Terre où il se sera écoulé un siècle et demi. Mais, même cette idée reste théorique et difficilement mise en pratique, j'imagine.
C'est tout à fait faisable, mais ça reste théorique, en effet. C'est-à-dire que ce n'est pas facile à faire en pratique. On ne peut pas, pour l'instant, fabriquer de vaisseau aussi rapide. Dans combien de temps pensez-vous que nous serons capables de le faire ?
Ces vaisseaux rapides vont consommer une énergie faramineuse. Pour vous donner une idée, si l'on voulait construire un petit vaisseau de 1 000 tonnes qui voyage à un dixième de la vitesse de la lumière, il faudrait lui communiquer une énergie équivalente à ce que consomme l'humanité entière en une année. Et gardez en tête que ce n'est pas un vaisseau dans lequel vous pourriez vivre un an et que si vous le pouviez, les effets de dilatation temporelle seraient faibles sur un an. Si vous voulez faire mieux, c'est-à-dire plus rapide, il faudra fournir beaucoup plus d'énergie. Un vaisseau dans lequel vous pouvez vivre durablement et qui aurait la capacité de voyager à une fraction appréciable de la vitesse de la lumière pèserait au bas mot des centaines de milliers de tonnes. Le moteur de ce vaisseau aurait besoin de dizaines de millions de fois plus d'énergie que l'humanité en consomme en un an. Voyager dans ce que les scientifiques appellent un trou de ver permettrait-il de résoudre ce problème ?
Tout ce que je viens de vous expliquer, c'est la base. Si vous réussissez à comprendre tout ça, c'est déjà super. Il y a un deuxième niveau. Dans la théorie de la relativité d'Einstein la gravité est une manifestation de la déformation de l'espace-temps imposée par la matière. La masse – le Soleil, la Terre, vous, moi – nous déformons l'espace-temps. Les déformations vraiment importantes sont celles dues à une étoile à neutrons ou à un trou noir. Approchez une horloge de ces entités et les écarts temporels seront considérables. Puisque la théorie d'Einstein suppose que l'espace-temps est élastique, il devient imaginable de faire des boucles spatio-temporelles. Autrement dit, en vous déplaçant dans l'espace et dans le temps, toujours vers le futur, il est envisageable de retourner dans un point qui appartenait à votre passé. Ainsi, on peut imaginer des configurations très biscornues solutions des équations d'Einstein, que l'on appelle trous de vers, qui peuvent présenter des boucles temporelles. En d'autres termes, il y a un moyen de retourner vers un point de votre passé en allant vers votre futur. La question est de savoir si ces solutions aux équations d'Einstein se réalisent en pratique. Est-ce qu'il existe dans la nature des choses telles que des trous de ver ? On ne sait pas répondre à cette question aujourd'hui. Donc, on risque d'attendre encore longtemps avant de pouvoir voyager dans le temps si je comprends bien.
C'est assez probable ! La question du voyage dans le temps pose nombre de questions épistémologiques – la question de la nature du temps, du destin ou du libre arbitre par exemple. Le physicien Stephen Hawking pense que les boucles temporelles fermées n'existent pas et qu'il y a un principe qu'on appelle le principe du censeur cosmique. Si une machine à voyager dans le temps est construite, elle est capable de créer une boucle temporelle fermée. Mais une divergence énergétique l'autodétruira au moment même vous tenterez de la faire fonctionner. Je vois. Merci Roland.

Cet article vous est présenté par Canal +, qui diffuse la série 22.11.63 – à découvrir dès maintenant. Cliquez ici pour plus d'informations.

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