Imaginez une plage au bord de l’océan, le même que vous connaissez aujourd’hui. Les mêmes vagues et marées, les mêmes couchers de soleil magnifiques, la même eau bleu-vert. Maintenant, imaginez : une foule assemblée sur le littoral, formant un grand cercle autour d’une chose qui vient de s’échouer sur la plage, les laissant bouche-bée. Les enfants tirent leurs parents par la manche, posent des questions sur la créature morte, étendue sur le sable. Les journalistes arrivent. C’est un moment historique mais pas très amusant. Pas du tout même.
Tout le monde sait qu’avant, il y avait des poissons dans les océans, un peu comme ceux qui vivent toujours dans certains lacs et rivières, sauf qu’ils pouvaient être beaucoup plus gros, parfois plus méchants, plus variés, plus colorés, plus tout. Mais ces poissons mythiques de l’océan sont tous morts.
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Selon Jonathan Payne, expert en paléobiologie à l’Université de Stanford, expert en extinction de masse en milieu marin, un scénario où tous les poissons de l’océan, les mammifères, et d’autres créatures – même des petits animaux comme le krill – disparaîtraient serait loin d’être de la science-fiction. Une extinction totale de toute forme de vie dans l’océan s’est déjà produite et nous sommes sur la bonne voie pour que cela se reproduise.
Pour se mettre dans l’état d’esprit de Payne, nous devons examiner deux domaines de l’histoire. Premièrement, il y a l’époque pré-dinosaure, dans laquelle nous pouvons trouver un précédent pour le type d’extinction à grande échelle que nous observons actuellement. Ensuite, nous devons revenir sur les cent dernières années pour comprendre pourquoi notre avenir sans poisson ressemble à, et bien, au présent.
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Il y a environ 250 millions d’années, un événement absolument terrible s’est produit. Nous le savons parce que toutes les espèces vivantes à ce moment-là ont très rapidement disparu, jusqu’à ce qu’elles soient toutes anéanties en seulement quelques millions d’années. Il ne faut pas confondre cet événement avec l’impact météoritique qui a eu lieu il y a 65 millions d’années, et qui aurait provoqué l’extinction des dinosaures. Ce n’était rien. Beaucoup de ces dinosaures n’ont jamais vraiment disparu, on les appelle « les oiseaux ». Quelques mammifères ont également survécu et ont évolué en humains, en peu de temps. Le premier événement, l’extinction Permien-Trias, est souvent appelé « la grande extinction » par les paléontologues qui aiment donner aux événements historiques des noms qui sonnent comme des titres d’album de Morissey. Cela a rendu la planète assez calme pour un moment, les océans étaient plus silencieux que jamais.
En 2017, Payne a étudié, avec quelques collègues, la source de la terrible catastrophe mentionnée ci-dessus qui a mené à la grande extinction. Ils en ont conclu qu’une hypoxie liée à la température – une perte d’oxygène due à des changements de température – était à l’origine d’environ 70 % des pertes. On a attribué ce changement de température à un coupable étrangement familier : « Un réchauffement climatique rapide et extrême ». Payne et ses collègues ne sont pas les seuls à avoir établi des comparaisons entre les événements conduisant à la grande extinction et les changements dont nous sommes aujourd’hui témoins. Une précédente étude avait révélé que la grande extinction avait été provoquée par une augmentation des émissions de carbone – causée à l’époque par des événements géothermiques – qui s’était étalée sur une période de deux à 20 millénaires. Autrement dit un clin d’œil, d’un point de vue géologique.
« Ce qu’il convient de retenir de ces récents résultats, c’est que les schémas de réchauffement et de perte d’oxygène des océans, qui pourraient expliquer l’extinction qui a eu lieu à la fin du Permien, ont les mêmes caractéristiques que nous commençons à observer maintenant », a expliqué Curtis Deutsch, expert en océanographie chimique à l’Université de Washington et l’un des collèges de Jonathan Payne pour cette étude de 2017.
Grâce à l’approche globale et multiforme de notre espèce, l’actuel projet de l’humanité « Tuons toutes les espèces marines » se déroule à merveille. Voilà un rapide aide-mémoire rappelant nos stratégies principales :
- Nous jetons chaque année plusieurs millions de tonnes de déchets plastiques dans les océans.
- Nous faisons du chalutage de fond, en tirant du matériel de pêche au fond de l’eau. Selon un rapport de 2014, les effets à long terme de cette pratique très répandue transforment de « larges portions du profond talus continental en un désert faunique et des paysages marins très dégradés ».
- La planète se réchauffe très vite et les extinctions qui en résultent se produisent en temps réel. (Bien que, pour mémoire, à ce rythme, ça prendra encore quelques siècles pour que l’effet atteigne les espèces vivant au plus profond des océans).
- L’acidification des océans – autre effet secondaire majeur des émissions de CO2 outre le réchauffement climatique – est à l’origine d’innombrables extinctions, surtout dans les coraux, pierre angulaire des barrières de corail, les écosystèmes les plus riches en biodiversité sur terre.
- Les engrais et les pesticides empoisonnent l’océan, et quand ils sont associés aux facteurs ci-dessus, ils aident à créer des « zones mortes », des zones océaniques presque sans oxygène où presque rien ne peut vivre. Selon un article publié dans Science magazine, les zones mortes des océans sont quatre fois plus importantes qu’elles ne l’étaient en 1950.
- Nous consommons les espèces vivantes maritimes – ce qui est la raison numéro 1 causant leur déclin en nombre. Il serait possible, à un rythme donné, de pratiquer la pêche durable – autrement dit sans l’épuiser – mais l’industrie de la pêche fonctionne à des volumes qui atteignent ou dépassent le taux d’équilibre maximum. (À l’heure actuelle, nous transportons 90% des stocks de poisson dans le monde, selon l’ONU.) En d’autres termes, nous tuons autant de poissons que possible grâce aux rejets de nos industries, et en plus de cela , nous en mangeons aussi autant que possible.
Pour être clair, la grande extinction n’a pas été causée à 100 % par le réchauffement climatique non plus. Mais quelle que soit la cause, 286 des 329 des espèces marines invertébrées ont succombé à ce moment-là. Tous les trilobites et les blastoïdes sont morts par exemple. Tous sans exception. Mais personne ne fait le deuil des trilobites et des blastoïdes, et cela montre que nous n’avons pas conscience que nous annihilons la vie des océans. Il y a un terme sociologique pour ce phénomène : il s’agit du changement de niveau de référence.
« Le changement de niveau de référence » est lié à la perception instinctive du monde naturel par chaque individu. Le terme vient de notre tendance à percevoir nos premières expériences de l’environnement comme la norme, qui contraste avec ce que l’on voit plus tard dans la vie. Prenons un exemple en dehors du domaine océanique. Dans mes souvenirs d’enfance, je me souviens qu’en été, certains caniveaux regorgeaient de grenouilles de Californie dans l’Inland Empire. Vingt ans plus tard, ces grenouilles avaient pour la plupart disparu, probablement décimées par la chytridiomycose, maladie infectieuse fatale touchant les amphibiens. Leur disparition m’a donné la fausse impression que l’environnement naturel du Sud de la Californie avait été perturbé en très peu de temps, alors qu’en fait, les dégâts que l’humanité a causés à cet endroit datent de bien plus longtemps et sont beaucoup plus larges que la perte d’une espèce de grenouille (une espèce qui n’était probablement pas « censée être là » au départ). Des pertes bien plus graves de biodiversité se sont produites au long des siècles, mais je ne regrette pas des animaux comme le renard nain du Sud de la Californie, qui s’est éteint il y a environ un siècle, parce que mon propre niveau de référence ne l’avait jamais inclus.
Dans le même ordre d’idée, selon Deutsch, nous n’allons pas unir tous nos efforts contre la mort des poissons, parce que quand cela finira par arriver, nos niveaux de référence auront tellement changé que l’absence de poisson semblera normale.
Donc, pour revenir à la première question que se posent ces scientifiques : à quoi ressemblera un océan sans poisson ?
D’un point de vue esthétique, il ne sera pas très différent, selon Payne. Comme je l’ai lu à de nombreuses reprises dans mes recherches, les eaux bleues cristallines sont souvent relativement inertes. Il est rare de regarder l’océan et de voir un signe clair qu’il y a de la vie – même végétale. « Ce n’est pas recouvert d’un tapis vert, il n’y a pas des cellules qui ont réalisé la photosynthèse partout », a dit Payne. « La couleur que vous voyez n’est en général que la physique de l’absorption de la lumière dans l’eau ». Donc dans beaucoup d’endroits, vous ne verrez rien de particulier en regardant l’océan, tout comme un vol au-dessus des Grandes plaines ne vous dit rien sur le déclin du bison d’Amérique du nord.
On n’a commencé que récemment à faire un décompte mondial des différentes espèces de l’océan donc il est difficile de donner des nombres exacts, mais selon un rapport de 2015 du Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund), les océans ont perdu 49 % des vertébrés rien que dans la période de 1970 à 2012. Donc, nous devrions essayer de nous mettre à la place de ceux qui ont vu l’océan alors qu’il était grouillant de vie. Deutsch suggère de lire des comptes rendus de l’époque des explorations. Si les premiers explorateurs espagnols du Nouveau Monde pouvaient voyager dans le temps et qu’ils voyaient l’océan aujourd’hui, ils nous diraient, Oh, tout est mort.
« Ils nous raconteraient comment, arrivant sur leurs bateaux par le Golfe des Caraïbes, ils n’avaient pas pu accéder à la rive parce que les carapaces des tortues de mer étaient si épaisses qu’ils ne pouvaient pas faire passer leurs bateaux », ajoute Deutsch. En effet, quand Christophe Colomb est arrivé, il y avait énormément de tortues, elles ont cogné la coque de son bateau toute la nuit, tenant son équipage éveillé. Aujourd’hui, apercevoir une tortue de mer est un événement exceptionnel, parce que le nombre de tortues de mer dans les Caraïbes a baissé de 3 à 7 % depuis l’arrivée des Européens ».
Je n’ai vu en tout et pour tout qu’une seule tortue de mer sauvage dans ma vie, et c’est parce que j’en cherchais une.
J’étais au large de la côte nord-est de Queensland en Australie à ce moment-là, je faisais de la plongée avec masque et tuba dans la Grande Barrière de Corail, dans l’espoir de changer au moins partiellement mon niveau de référence de la biodiversité des océans. Même si vous n’avez jamais eu l’immense chance de visiter une barrière de corail, vous en avez sans doute au moins vu une, dans Le Monde de Nemo, formidable film d’animation à images de synthèse, ou dans la série télé Blue Planet de la BBC, qui l’a majestueusement photographiée. Donc vous avez une idée de ce à quoi ressemble une barrière de corail – un lieu si grouillant de vie que c’est l’un des rares endroits pour lesquels le mot « grouiller » semble approprié.
Mais ne vous imaginez pas le pays merveilleux et technicolor de Disney. À moins que vous n’ayez le bon objectif et le temps adapté, une barrière de corail ressemble à ce qu’elle est : une section de l’océan avec, et bien, beaucoup de vie – comme toute partie de l’océan que vous ayez vue, mais avec plus de tâches marron et jaunes (vivantes) dedans. Quand on regarde de plus près, on voit des animaux charismatiques et photogéniques parmi les coraux et à l’intérieur, il y a des anémones. Votre guide d’expédition vous appellera quand il y a quelque chose à voir, « Est-ce que quelqu’un veut voir Nemo ? », demandera-t-il en indiquant le poisson-clown, parce que le poisson-clown est à la barrière de corail ce que la Tour Eiffel est à Paris. Mais le poisson-clown là-bas est pâle et marron, et ridiculement petit, pas du tout comme le personnage rouge vif du dessin-animé de Disney et Pixar.
Pendant ce temps près de la surface, des milliers de poissons marron indifférents nagent en groupes et changent de direction à l’unisson, par saccades. A certains endroits de la barrière de corail, vous pouvez vous amuser à passer votre main dans l’eau et la fermer sur un poisson tortillant pour s’échapper, et immédiatement après, en attraper un autre. Rien que la densité de la « biomasse » me fait beaucoup d’effet au niveau émotionnel, surtout que je n’ai pas pu m’empêcher de penser à combien il en était déjà mort là-dessous. Récemment, 30 % de la barrière de corail a été décimée en un an, ce qui change l’estimation de la perte totale à 50 %. Quand je l’ai visitée en 2018 il n’y avait pas encore eu beaucoup de décoloration de la barrière de corail et il y avait encore beaucoup de poissons. Mais étant donné la manière dont le futur se dessine, rencontrer beaucoup d’espèces vivantes là-bas sera de plus en plus rare.
Après trois heures passées dans ce qui est avant tout un hommage ultime à l’océan tel qu’il a existé, vous partez inévitablement avec une nouvelle impression vous permettant de comparer votre vision originale de l’océan à vos frais souvenirs d’un pays marin merveilleux. Si vous explorez le fond de la mer des côtes de Californie, vous pourrez voir l’exact opposé de la Grande Barrière de Corail, c’est-à-dire rien du tout. Pas de poisson en vue. Toutes les zones de la côte de l’océan ne peuvent pas être comme la Grande Barrière de Corail, mais elles ne doivent pas pour autant toutes ressembler à des déserts inertes. Prendre l’absence de vie pour la norme n’est pas du tout naturel ; c’est votre changement de niveau de référence qui vous fait penser ça.
Si la Grande disparition est notre modèle, le processus de dégradation de l’environnement ne s’arrête pas à la mort des poissons de mer. Il y aura aussi une massive extinction de la plupart des plantes et des animaux dont se nourrissent les poissons, c’est-à-dire les algues et varechs, avec toutes sortes d’autres planctons, krills, vers, et tout ce que nous avons tendance à regrouper au « bas de la chaîne alimentaire. » Ce carnage finirait par anéantir des espèces qui comptent sur les petits poissons, comme la plupart des baleines, dauphins, phoques, pingouins et beaucoup d’humains.
Sur ce, arrêtons-nous pour parler de certaines espèces de poisson comme le cœlacanthe. Ce poisson monstrueux vivant dans les cavités profondes des océans a survécu à la Grande disparition et subsisté jusqu’à présent, inchangé – donc non, la grande disparition n’a pas tué tous les poissons de la planète, aussi « terrible » a-t-elle pu être. C’était juste une extinction de masse à très large échelle. Mais tant qu’à être pédant, gardez en tête que tous les poissons ne peuvent pas être regroupés dans une seule catégorie comme phylum, classe, ordre, ou famille. D’un certain point de vue génétique, un requin a un lien plus évident avec un son semblable prédateur rusé l’hippocampe (vous pouvez regarder sur internet) qu’avec un cœlacanthe, et un cœlacanthe partage plus l’ADN d’une salamandre que celle d’un requin. Donc quand je dis « poisson », je lance un très large filet (jeu de mots) qui inclut tous les vertébrés marins avec des branchies qui ne sont pas des tétrapodes – donc pas les salamandres. Ça ne veut peut-être pas dire grand-chose pour vous, mais tout biologiste féru du jargon digne de soi qui pourrait lire ceci serait content que je fasse cette distinction.
Et avec la grande extinction comme exemple, il faut s’imaginer la disparition d’à peu près 96 % de toute la vie des océans – pas seulement le poisson mais à peu près tout ce qui a des paires d’yeux (et beaucoup d’espèces aveugles aussi). Que va-t-il se passer ?
Et bien, d’une certaine façon, l’environnement commercial sera largement amélioré pour les grandes entreprises. Tout comme la surabondance de la vie marine dans les océans autour du Nouveau monde était mauvaise pour les affaires, les bateaux d’aujourd’hui rencontrent aussi des problèmes.
Prenons l’exemple des vendeurs de détail à échelle mondiale comme Walmart, Amazon, et Alibaba. Ils rencontrent de plus en plus de régulations visées à préserver les habitats de la faune marine. Les cargos qui transportent des marchandises – qui sont de la taille d’une petite ville – doivent actuellement tracer des itinéraires pénibles pour contourner certains habitats animaliers et pour éviter certaines formes de pollution de l’eau causée par leurs moteurs diesel de 100,000 chevaux. Ils doivent se frayer un passage à travers les mers sans émettre de sons trop forts, ou inférieurs à 100 hertz parce que des animaux comme les baleines utilisent ces fréquences pour communiquer. Dans l’océan réchauffé et acidifié qui a tué tous les poissons, les baleines à fanons seront certainement mortes de faim depuis longtemps, rendant désuètes de telles régulations. L’extinction permettra aussi l’assouplissement des régulations contre le déversement des eaux usées, et – inutile de le dire – remettra en cause beaucoup d’arguments contre les marées noires.
Ce n’est pas pour dire que les entreprises se feront plus d’argent et que ça s’arrête là. La dépollution, qui signifie « nettoyer les déchets que les entreprises produisent », est actuellement un marché en croissance, et certains chercheurs spécialistes du marché prévoient qu’il sera d’une valeur de 110 milliards d’ici à 2022 – à peu près le salaire de Google en 2017. Certaines de ces recettes vont évidemment chuter quand il y aura bien moins de revendication pour que les marées noires soient nettoyées. Mais on ne sait pas pour combien de temps les océans pour la plupart morts pourront être traités comme des déchetteries libres.
Nous pouvons prédire avec une certaine assurance la conséquence majeure de tout ce que nous jetons : le secteur de la pêche marine ne fera plus de « pêche ». Elle pourra néanmoins subsister via l’aquiculture de poisson.
Apparemment, les fermes de poisson sont un marché en croissance. Regardez « Bluefin tuna », c’est le nom commercial utilisé pour vendre des poissons argentés géants – tous menacés ou en voie d’extinction – qui sont chargés sur des bateaux, découpés en milliers de morceaux chaque jour pour extraire des portions de 15 € de thon gras, présentés sur les menus avec le mot japonais « toro » et servis pour le plaisir gustatif des riches habitants des villes côtières du monde entier. Ces portions pourront devenir des indications du niveau de richesse quand il ne restera en magasin plus que trois ou quatre espèces de poisson, qui s’éteindront quelques décennies plus tard et que les prix monteront en flèche.
Pour réduire les impacts de ce commerce, il existe aujourd’hui des projets d’élevage de thons rouges dans des tanks, comme ceux du laboratoire de technologie marine de Yoni Zahar de l’Université du Maryland, Comté de Baltimore. Actuellement, l’objectif est d’élever des larves de poisson, dont de thons rouges, et d’autres espèces plus petites comme des loups de mer jusqu’à en faire des jeunes poissons viables qui peuvent être emportés sur des bateaux et rejetés dans des milieux où les thons rouges ont été surexploités, afin de reconstituer la population décimée. Mais ce plan cessera de fonctionner quand l’océan ne pourra plus subvenir aux besoins des bancs de thon sauvage, ce qui ne devrait pas tarder. Le glas a sonné même pour l’albacore, moins rare, et les espèces de thon jaune appelées « ahi » dans le commerce, toutes deux également en fort déclin. Cela signifie que les tanks comme celui de Zohar vont devoir évoluer si ces consommateurs de produits de luxe continuent à exister. Le thon devra survivre dans leurs tanks pendant plusieurs décennies – assez longtemps pour passer d’une microscopique larve non-comestible à un poisson titanesque, gras de 400 kilos, ravissant les plaisirs de la bouche. Ce qui rend la tâche encore plus délicate est qu’ils ne s’arrêtent jamais de nager, ce qui ne pose pas de problème quand les poissons sont petits, mais qui commence à être plus difficile à gérer dans un tank quand ils sont capables de nager à plus de 70km/ h.
S’il s’agit d’un dauphin, on considère cette sorte de captivité, dans un tank avec peu d’espace, comme cruelle, mais les poissons sont plus savoureux que les dauphins et ils ne couinent pas joyeusement devant les enfants, donc, comme pour les vaches aux États-Unis, il y a peu de chances que quelqu’un ne se préoccupe de leur bien-être. Nous pouvons probablement nous attendre à de grandes fermes industrielles remplies de thon, ainsi que d’autres poissons marins que les humains voudront continuer à manger dans le futur puisqu’il n’y a pas d’autre alternative, que de ne pas les manger.
Mais si nous arrêtons de voir l’océan comme une entreprise, il convient de mentionner que pour une grande partie de l’humanité, choisir de ne pas manger de poisson du tout, est tout à fait hors de question. «Il y aurait beaucoup de famines », a commenté Payne, l’expert en paléobiologie de Standford. Selon un article de 2016 publié dans le magazine Science par Christopher Golden, chercheur en santé publique, 845 millions de personnes, soit environ un dixième de la population mondiale, feront face à une forme de malnutrition rapidement, quand la pêche traditionnelle cessera d’être une source viable de nourriture pour beaucoup de familles pauvres du monde.
Nous sommes aussi sur le point de voir des grands changements de météo, a ajouté Payne. Une raison pour laquelle l’océan fonctionne comme un « puits de carbone » est le plancton qui consomme du carbone et le transforme en matière organique. Une réduction de la photosynthèse signifie que plus de charbon reste dans l’atmosphère, ce qui accélère le réchauffement climatique, en particulier dans la grande zone morte autour de l’équateur – cause probable de la température extrême des océans durant la grande disparition ; des régions qui sont maintenant autour de 28 degrés ont atteint les 40 degrés Celsius ou plus à l’époque.
A part la chaleur, Payne a prédit, « une chose que vous verrez très rapidement, c’est le changement de l’effet des tempêtes sur les systèmes côtiers parce qu’avec aucune espèce vivante dans les coraux, les barrières vont commencer à s’effondrer. Cela réduira leur capacité à protéger les systèmes côtiers des vagues lors de grosses tempêtes. « Cela signifie [qu’il y aura] d’immenses changements climatiques sur les terres près de ces systèmes côtiers, en particulier dans des endroits comme l’Australie et les Bahamas.
Mais même avec un écosystème océanique reconstitué plus ou moins converti en un désert marin géant, vous aurez de fortes chances de trouver une oasis artificielle ou deux. En 2017, le Consortium des entreprises de tourisme et le Centre australien de recherche sur les coraux et les forêts tropicales, a proposé de protéger six sites particulièrement rentables au bord de la barrière de corail en pompant littéralement de l’eau froide pour plusieurs millions de dollars afin d’atténuer les effets du changement climatique. L’idée a été considérée comme perverse, les critiques soulignant que le pompage d’eau froide dans quelques zones de la Grande Barrière de Corail ne serait qu’une goutte d’eau dans la mer, et qu’une action à grande échelle était nécessaire. Mais aucune action à grande échelle n’est en cours et l’extinction massive se poursuit.
Puisque nous semblons manquer de bonne volonté pour réfréner nos pires impulsions vis-à-vis de l’océan, nous ne pouvons plus espérer que quelques pansements.
Adapté d’un extrait du livre The Day It Finally Happens de Mike Pearl. Copyright © 2019 par Mike Pearl. Réimprimé avec la permission de Scribner, éd. Simon & Schuster, Inc.
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