Quelques-uns des courriels abjects que les climatosceptiques envoient aux climatologues

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Les scientifiques sont en général des êtres inoffensifs qui font leurs recherches ésotériques dans le calme des laboratoires, d’où ils n’émergent que pour présenter de très prudentes et monotones thèses dans de denses revues. Mais si la plupart peinent à obtenir l’attention du public, un groupe parmi eux, au contraire, n’arrive pas à éviter la lumière des projecteurs. Les climatologues sont devenus des têtes de Turc.

On se fie aux données météorologiques depuis des siècles, mais, maintenant, des politiciens et des électeurs de droite disent que c’est de la bullshit. Pas seulement de la bullshit, un complot aussi. On entend clamer que les changements climatiques sont une arnaque de la gauche, dont seuls les climatosceptiques et l’altruiste industrie du pétrole peuvent nous sauver. Et les climatosceptiques vont jusqu’à envoyer des courriels agressifs, et bizarrement ponctués, aux scientifiques.

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Pour en avoir une idée, nous avons demandé à des experts du climat de nous parler des messages troublants qu’ils reçoivent. La plupart ont droit à des insultes depuis des années, et quelques-uns ont senti qu’il fallait appeler la police. Voici ce qu’ils nous ont dit.

Sarah Perkins-Kirkpatrick, climatologue de l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud, qui étudie les phénomènes climatiques extrêmes et les vagues de chaleur, en Australie

Je ne suis pas ce que beaucoup de gens considèrent comme une scientifique typique. Je suis une jeune maman, et je suis enceinte de mon deuxième enfant. Je prends la parole souvent dans les médias pour dire que je m’inquiète pour l’avenir et qu’il est injuste que nos enfants héritent d’un monde aussi merdique, parce qu’ils ne le méritent pas. Mais il y a des climatosceptiques qui disent toujours le même genre de choses : je ne mérite pas d’avoir d’enfants et je suis celle qui crée ce monde merdique pour eux.

Après presque chaque présence dans les médias, je reçois des insultes de climatosceptiques. Ce sont souvent des courriels de personnes de 50 ans ou plus, de personnes âgées qui ont beaucoup de temps parce qu’elles sont à la retraite. Ce sont d’habitude des hommes, et certains ont fait de hautes études, pas en climatologie, mais ils sont ingénieurs, médecins, des choses comme ça. Un homme qui m’envoie des courriels sexistes et misogynes a son site web sur les théories du complot. Voici un de ses courriels :

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« Quelle idiote tu es! Tellement typique de l’ignorance du monde universitaire avec ses mèmes stupides. Le fait que ABC et Fairfax “Wheaterzone” te laissent colporter tes conneries. montre leur ignorance aussi. Pourquoi perdre de l’espace avec les gens des quartiers défavorisés et leur pauvre science de merde. Tu ne mérites pas d’avoir d’enfants parce que tu vas les endoctriner avec la même bullshit. »

À l’UNSW, où je travaille, les gens de l’administration vérifient les courriels ou les lettres avant de nous les faire suivre. À l’occasion, des personnes se présentent à nos bureaux et demandent à me parler, ou ils appellent, et l’administration s’en occupe.

À cause de toute cette agressivité, et de la peur subséquente, il y a beaucoup de climatologues qui ne communiquent plus avec le public. On ne voit donc plus beaucoup de scientifiques, juste parce qu’ils ne veulent plus être attaqués.

Dans ma vie personnelle, je fais attention aux renseignements que je mets sur internet. Mon profil Facebook est privé et je ne donne pas mon numéro de téléphone professionnel. Mais dans ma vie professionnelle, je le vois comme un défi. Ça me motive à communiquer différemment et à utiliser différentes analogies, des choses comme ça. Ceux qui nient les changements climatiques ont eu une influence sur ma façon de livrer mon message.

Michael Mann, climatologue et auteur de The Hockey Stick and the Climate Wars, aux États-Unis

Je balaie du revers de la main la plupart des menaces, sauf une que je ne pouvais pas ignorer. Le 18 août 2010, j’ai dû expliquer à mes collègues du département de météorologie de l’Université de l’État de Pennsylvanie pourquoi ma porte était couverte de rubans jaunes de la police. La réponse concrète, c’était que le FBI avait mis mon bureau en quarantaine après que j’ai reçu une lettre avec de la poudre blanche comme de l’anthrax.

Mais la réponse plus générale, c’est que c’est ça, être une figure connue du mouvement de lutte contre les changements climatiques aujourd’hui.

Voici un exemple du genre de courriels que je reçois :

« Sous terre, avec les racines, c’est là que tu devrais faire ta magie. Comment est-ce possible que personne ne t’ait encore cassé la gueule? J’espérais voir aux nouvelles que tu t’étais suicidé. Fais-le, freak. »

Kevin Trenberth, scientifique de renom du Centre national de recherche sur l’atmosphère, en Nouvelle-Zélande

J’ai un fichier plein de courriels injurieux que j’ai reçus de climatosceptiques, souvent extrêmement odieux et agressifs. Bien que je ne sois habituellement pas touché personnellement par ces courriels, je sais que certains de mes collègues en ont été profondément affectés. Mais peut-être que la plus importante conséquence, c’est que le financement de la science du climat a souffert depuis que le Congrès est républicain. J’ai donc l’impression que les climatosceptiques ont de l’influence.

Voici un exemple plutôt représentatif de ce que je reçois fréquemment :

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« Es-tu vraiment un gagnant d’un prix Nobel/ Tu dois être vraiment brillant. T’ES UN TROU DE CUL MENTEUR ET FUCKING STUPIDE. »

David Karoly, scientifique spécialiste de l’atmosphère à l’Organisation fédérale pour la recherche scientifique et industrielle (CSIRO), en Australie

J’ai reçu pas mal de courriels injurieux et de menaces de mort. Quand le Parti travailliste tentait d’implanter un programme de réduction des émissions, les attaques des climatosceptiques ont été très virulentes. À l’époque, quelques groupes climatosceptiques étaient déterminés à empêcher les climatologues de prendre la parole dans les médias ou de soutenir les actions du gouvernement fédéral.

J’ai reçu une menace de mort très explicite par courriel, et les policiers ont trouvé l’auteur, une personne de Queensland, mais ils ne pouvaient pas porter d’accusations parce que le courriel ne constituait pas une menace imminente. Mais après, l’Université m’a recommandé des mesures de sécurité.

On m’a dit de ne pas faire le même trajet tous les jours pour me rendre au travail et de changer mon numéro de téléphone pour un numéro privé. Mon nom et mon numéro étaient auparavant dans l’annuaire, mais je les ai fait retirer. Et l’Université a recommandé que j’occupe un bureau dans un espace verrouillé auquel les étudiants n’ont pas accès. Mon numéro de téléphone et mon numéro de bureau ont aussi été retirés de tous les tableaux d’affichage dans l’université. Mon numéro de bureau était masqué, et les visiteurs devaient passer par la réception, qui ne donnait jamais mon numéro de bureau à ceux qui le demandaient.

C’est resté ainsi jusqu’à ce que je quitte l’Université de Melbourne, il y a un an. Ça avait commencé en 2010, donc ça a duré plus ou moins huit ans. Maintenant que je suis au CSIRO, c’est encore plus sécuritaire parce que c’est un établissement de recherche du Commonwealth.

J’ai vu des gens recevoir des messages agressifs et menaçants qui étaient très déstabilisants. Je connais un chercheur, par exemple, qui a dû prendre un congé de maladie de six mois en raison du stress après avoir reçu des menaces par courriel. Ça peut certainement pousser certains scientifiques à être plus prudents par rapport à ce qu’ils font et à ceux à qui ils parlent, ou s’ils donnent des conférences publiques.

Mais j’ai une autre perspective sur les innombrables insultes et menaces des climatosceptiques. Pour moi, ça montre que les travaux scientifiques sur les changements climatiques sont un problème important pour cette communauté. Je pense que le fait que des gens veulent nous faire taire est une source de motivation pour des scientifiques, dont moi. Parce que c’est un débat si important, je pense qu’il est nécessaire que les gens soient adéquatement préparés à continuer de se battre autant qu’ils le font et à communiquer la meilleure information possible sur les changements climatiques, et à la diffuser aussi largement et fréquemment que possible. C’est mon approche. Ce climatoscepticisme me motive à en faire plus.

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