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Interviews

Qui êtes-vous, les militants pro-armes français ?

L'Association pour le Rétablissement du Port d'Arme Citoyen milite pour le droit de porter un flingue dans l'espace public.
Image de couverture via le Facebook de l'ARPAC

Des chiffres contradictoires, des envolées libertaires de part et d'autre, et des engueulades stériles à n'en plus finir – voilà un résumé assez complet des débats concernant le port d'armes dans le monde. Si la France est l'un des plus grands vendeurs d'armes au monde et fournit allègrement en munitions le Moyen-Orient – et, avant toutes choses, l'Arabie saoudite – elle demeure stricte quant à la détention des armes à feu par les particuliers. Ces derniers, qu'ils soient chasseurs ou tireurs sportifs, doivent déclarer leur arme aux pouvoirs publics.

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Selon des chiffres du ministère de l'Intérieur, il y aurait trois millions d'armes à feu dans le pays. Mais, comme le rappelle France Info, la plupart des spécialistes s'accordent plutôt sur un chiffre variant entre 10 et 20 millions – l'écart avec les chiffres officiels s'expliquant par le grand nombre de fusils et pistolets datant de la Seconde Guerre mondiale et d'armes importées en France illégalement. Si certains évoquent la dimension « culturelle » des armes à feu aux États-Unis, il paraît évident que, dans notre pays, peu remettent en cause la législation actuelle – du moins, pas dans le sens d'une libéralisation du port d'armes.

Malgré tout, un petit nombre de nos compatriotes ne sont pas de cet avis, et défendent le droit au port d'armes selon certaines conditions très précises. L'Association pour le Rétablissement du Port d'Arme Citoyen (ARPAC) est de ceux-là, et s'attaque à ce qu'elle nomme l'hoplophobie, soit la peur irrationnelle des armes, entretenue notamment par des médias jugés propagandistes. J'ai voulu en savoir un peu plus sur ces types qui, dès qu'ils ouvrent la bouche, voient le plus froid de tous les monstres froids – Internet – déverser sa bile – à tort ou à raison selon l'endroit où l'on se situe. J'ai donc posé quelques questions à Yann Merkado, un membre de l'ARPAC, qui a accepté d'y répondre.

VICE : Bonjour Yann. Tout d'abord, pourquoi vous êtes-vous intéressé au port d'armes ? 
Yann Merkado : En fait, j'ai toujours été intéressé par les armes à feu. Dès mon adolescence, je souhaitais m'engager dans l'armée. J'ai fait du tir sportif avant de l'intégrer, en attendant.

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Au cours mon adolescence, quand j'avais 15-16 ans, j'ai fait quelques recherches. Je me suis aperçu qu'un certain nombre d'idées reçues étaient largement partagées. À l'époque, je n'étais pas encore en faveur du port d'armes. Je savais juste qu'on nous mentait régulièrement – notamment via les médias mainstream.

La défense du port d'armes m'est venue plus récemment, en échangeant avec des tireurs sportifs et sur Internet. Je me suis aperçu que tous nos préjugés anti-armes étaient carrément à revoir, que les armes sauvaient des vies et pouvaient être très discrètement portées. J'ai compris que face au sentiment d'insécurité grandissant et à l'incapacité de la police d'être présente partout à la fois, le port d'une arme pour les citoyens respectueux de la loi était la seule solution raisonnable et responsable pour se protéger, et protéger ses proches.

J'ai également appris que Charb de Charlie Hebdo était tireur sportif et avait fait une demande de port d'armes, qui lui a été refusée par l'administration – avec la fin que l'on connaît.

Vous appelez de vos vœux l'autorisation du port d'armes dans l'espace public. Quelle forme cela prendrait-il ?
En France, on peut déjà détenir une arme sous certaines conditions : ne pas avoir de casier judiciaire, posséder une licence dans un club de tir ou un permis de chasse, avoir l'accord de la préfecture pour les armes de catégorie B. De plus, cette arme doit être rangée dans une armoire fermée, et être séparée des munitions.

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On ne veut pas changer cette réglementation, qui ne pose aucun problème. On désire simplement légaliser le port d'une arme dans un espace public – après une formation théorique et pratique égale à celle de la police – tout en insistant sur le fait que cette arme doit demeurer discrète. Ce qui nous intéresserait serait d'appliquer le principe américain du concealed carry weapons (ou CCW) – le fait de pouvoir porter une arme dissimulée dans l'espace public. Un tel principe instaure une paranoïa dans le cerveau de l'agresseur potentiel et inverse complètement le rapport de force. Au final, ça protège tout le monde, même les personnes qui ne sont pas armées – car personne ne peut savoir qui est armé et qui ne l'est pas !

La dissimulation de l'arme semble être un enjeu majeur.
On comprend que des gens non habitués à la présence d'armes puissent se sentir menacés, mal à l'aise. C'est psychologique, mais je l'entends. Cette peur vient de la confusion entre l'outil et l'individu. D'un côté il y a l'arme, de l'autre le tueur.

Il faut répéter à ces gens-là que l'autorisation du port d'armes les sauvera peut-être un jour d'une agression, si une personne armée se trouve dans les parages.

Image via le Facebook de l'ARPAC

Selon vous, d'où vient le discours dominant en France qui lie le nombre d'armes à feu au nombre de meurtres ?
Je ne sais pas vraiment d'où ça vient. Ce qui est sûr, c'est que l'idée que les citoyens puissent être égaux face à la puissance publique ne plaît pas aux gouvernements – et, de fait, aux médias.

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Selon moi, le problème, ce n'est pas le nombre d'armes, mais qui détient ces armes. Les criminels ne se rendent pas dans une armurerie et ne font pas de demandes d'autorisation de détention d'arme à la préfecture de police ! Avec l'ouverture des frontières vers les pays de l'Est, une kalachnikov est passée de 3000 à quelques centaines d'euros sur le marché noir. N'importe quel hors-la-loi peut se procurer une arme, voire s'en fabriquer. Il faut donc cesser d'entretenir l'amalgame entre tireurs sportifs, chasseurs, collectionneurs et les criminels et terroristes.

Les militants pro-armes prennent souvent l'exemple de la Suisse, un pays avec peu d'homicides par arme à feu alors que les citoyens possèdent beaucoup d'armes.
On pourrait également citer la Finlande ! Mais je préfère ne pas me cacher derrière ces exemples – qui prouvent que le lien entre détention d'armes et homicides est tout sauf évident – et m'intéresser à l'exemple américain, souvent dénoncé et caricaturé.

Prenez le chiffre répété à n'en plus finir de 30 000 décès annuels par arme à feu chez nos voisins d'outre-Atlantique. Parmi ces 30 000 personnes, 20 000 se suicident ! Je reste persuadé que l'individu qui veut se suicider est semblable au type qui veut commettre un massacre : s'il désire le faire, il y arrivera.

Il y a énormément de désinformation entourant ce pays. Il ne faut pas oublier que chaque État possède sa propre législation relative au port d'armes. Certains États ont d'ailleurs des législations bien plus dures que celle de la France.

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Yann Merkado

En Europe, la pensée philosophique et sociologique s'est régulièrement intéressée au fait que l'État moderne détient le monopole de la violence physique légitime. Pensez-vous que la position de nos dirigeants vienne de là ?
Vous savez, je crois surtout que les citoyens armés aux États-Unis se sentent plus impliqués que les citoyens européens – habitués à déléguer à l'État de nombreux pouvoirs. Pourtant, l'État n'est pas plus efficace. Aux États-Unis, les citoyens armés ont de meilleurs résultats que la police au cours de leurs interventions – moins de bavures, etc.

Il faut savoir que, selon une étude datée de 1995, 2,5 millions d'Américains se défendent en situation de légitime défense chaque année – dont 200 000 femmes contre une agression sexuelle. Dans 76 % des cas, la simple vue d'une arme à feu empêche l'agression, sans qu'aucun coup de feu ne soit tiré.

Une telle logique ne peut-elle pas aboutir à long terme à la naissance de milices privées et à la disparition de la police ?
Non, je ne l'envisage pas. Je comprends d'ailleurs que les gens puissent prendre peur quand on évoque un tel avenir – d'autant plus que le mot « milice » ne rappelle pas que de bons souvenirs en France.

Certains défendent le droit de porter une arme sous l'angle libertarien, c'est-à-dire de la liberté la plus absolue. Dans cette optique-là, on peut également défendre le droit de se droguer, non ?
Selon moi, on peut établir un parallèle avec la Prohibition aux États-Unis dans les années 1920, prohibition qui avait renforcé la mafia. Les armes et la marijuana entrent dans la même logique. Interdire quelque chose, c'est créer un nouveau marché noir pour la mafia, et donc renforcer la criminalité

Jesse Hugues, le leader des Eagles of Death Metal, a défendu le port d'armes après les attentats de Paris, en disant assez maladroitement que cela aurait pu prévenir les attaques. Ça a engendré un déferlement médiatique proche de l'hystérie. Quel regard portez-vous sur ça ?
Cette déclaration n'a rien d'étonnant. En France, l'avocat Thibault de Montbrial insiste sur l'importance de s'adapter au terrorisme en disposant de primo-intervenants armés. Au Bataclan, un commissaire et son chauffeur, qui se trouvaient dans le coin par hasard, ont abattu un des terroristes et limité le massacre avec un simple pistolet de service. D'ailleurs, la législation évolue en ce sens, en permettant à présent aux policiers et aux gendarmes de porter une arme même en dehors du service.

Quant aux réactions hystériques, eh bien, pour qu'il y ait hystérie, il faut qu'il y ait des hystériques – dans ce cas-là, les médias. Quand vous parlez calmement aux gens des armes à feu, ils ne s'affolent pas, ne montent pas sur leurs grands chevaux. Seuls quelques individus monopolisent le discours anti-armes, notamment sur les réseaux sociaux. Ils agressent les gens qui auraient le malheur de donner leur avis, ou du moins d'émettre un doute. Au final, on a l'impression qu'ils sont majoritaires, alors que ce n'est pas le cas.

Je vois. Merci beaucoup Yann.

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