« Homer Le Rocker » n'est pas seulement un des meilleurs épisodes des Simpsons : c'est un rite de passage

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« Homer Le Rocker » n'est pas seulement un des meilleurs épisodes des Simpsons : c'est un rite de passage

Nous sommes allés discuter de ce classique absolu de la télévision avec les producteurs et scénaristes de la série, et les membres de Sonic Youth et Cypress Hill.

Dans l'imposant héritage laissé par 28 années de Simpsons, « Homer Le Rocker » reste l'épisode rock'n'roll ultime de la série, avec son casting XXL où se bousculent les Smashing Pumpkins, Cypress Hill, Sonic Youth et Peter Frampton, tous venus jouer leur propre rôle. Et, comme dans la plupart des épisodes « classiques » des années 90, on y trouvait, derrière les guest-stars et les gags à répétition, une réflexion profonde sur la condition humaine. Car oui, ce dont parle vraiment « Homer le Rocker », c'est n'est pas de musique, mais du fardeau de l'âge, et du fait d'accepter que sa jeunesse est révolue.

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« On voulait que ce soit un épisode musical, qui parle de ce qui est cool quand on vieillit, et de la façon dont ça évolue », explique Josh Weinstein, le co-producteur de l'épisode.

Dans « Homer le Rocker » (« Homerpalooza » en VO), diffusé le 19 mai 1996, Homer, père de famille d'environ 35 ans, est incapable de comprendre les goûts musicaux de ses enfants. Cherchant à se rapprocher d'eux, il les extirpe de l'école et les emmène en road-trip au Hullabalooza, un festival itinérant calqué sur le modèle du Lollapalooza, qui existait depuis 1991 (« C'est comme Woodstock, sauf qu'il y a plein de pub partout, et que c'est bourré de vigiles », observe Lisa.) Ne se sentant d'abord pas du tout à sa place au milieu d'un public constitué de jeunes de la génération X, Homer découvrira par la suite qu'il possède l'aptitude unique de pouvoir recevoir un boulet de canon dans le ventre, et rejoint le Spectacle Trans-Universel (le freak-show du festival), afin de prouver à Bart et Lisa, ainsi qu'à lui-même, qu'il est toujours le mec cool qu'il était au lycée.

« Homer le Rocker » était l'avant-dernier épisode de la septième saison de la série, et le dernier écrit par Brent Forrester, qui s'est inspiré de sa propre expérience à Lollapalooza. « Je devais avoir 27 ans à l'époque, ce qui me plaçait directement dans la catégorie 'beaucoup trop vieux pour Lollapalooza', » raconte Forrester dans les commentaires du DVD, « On m'a fait chier du début à la fin. » Un vigile lui avait fait jeter les piles de son appareil photo à l'entrée du festival, une expérience qu'il a transformée en gag dans l'épisode, lorsqu'on force Homer à présenter l'intégralité de ses pièces d'identité et à se débarrasser de sa Kahlua maison.

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« J'avais un petit enregistreur à cassette, et je prenais des notes avec ; un mec est venu me voir et m'a fait 'alors, ça roule, les Stup' ?' » ajoute Forrester. On retrouve également cette anecdote dans l'épisode, lorsque Homer, essayant d'amorcer une conversation amicale avec les gens qui l'entourent, tente un « Cool le concert, pas vrai ? », mais se fait remballer par un jeune spectateur en chemise de bûcheron qui rétorque « Ouais, casse toi, le keuf ! » Tous ceux qui se trouvaient assez près pour l'entendre prennent ensuite Homer pour un type des Stup' et l'éjectent en le faisant slammer. « Cette incapacité d'Homer à s'intégrer, c'est exactement celle que j'ai eu là-bas », explique Forrester.

Le casting d' « Homer le Rocker » a été constitué de la même manière que les line-ups des grands festivals : l'équipe de la série à rassemblé une liste d'artistes qui pourraient former une affiche cohérente, puis les ont démarchés.

« Tu établis la liste de tes rêves, et puis tu vois ce qui fonctionne », explique Bonita Pietila, directrice de casting de longue date pour l'émission.

« On voulait avoir un représentant de chaque genre musical », raconte Weinstein. « On voulait quelqu'un pour la musique indé, quelqu'un pour le hip-hop, quelqu'un pour le classic rock. C'est un peu comme ça qu'on a commencé à établir la liste. »

Pour incarner le vétéran du rock à papa, les créateurs ont avancé des noms comme Bob Dylan et Bruce Springsteen (qui, à ce jour, ne sont encore jamais apparu dans la série), mais ont fini par obtenir la participation de Peter Frampton, un second choix heureux, qui a joué en la faveur de l'épisode dans la mesure où l'équipe reconnaît largement que c'est lui, parmi tous les invités, qui a fourni la meilleure prestation d'acteur.

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« Il incarne un peu le guest idéal : il se moque volontiers de lui-même, il a un super sens de l'humour, et il avait une super voix. Il était vraiment au top, et on a fini par avoir envie d'en faire plus avec lui, » raconte Weinstein à propos de Frampton. « On l'adorait tellement, on se disait 'Merde, il faudrait faire un épisode entier sur lui.' »

Frampton s'en prend plein la gueule tout au long de l'épisode : sa glacière est pillée par Sonic Youth, Homer flingue le cochon gonflable qui l'accompagne sur scène, et son orchestre est réquisitionné par Cypress Hill ; il est parfaitement crédible dans son rôle de grognon râleur, et improvise même un peu lorsqu'il quitte la scène, furieux.

Les producteurs de l'épisode voulaient aussi que des « piliers du rock alternatif » soient représentés à Hullabalooza, et ont débauché Sonic Youth, un des groupes préférés de Weinstein et de Matt Groening, le créateur de la série. Le groupe a également enregistré le générique de l'épisode. « Quand on a été invités à participer, on a spécifiquement demandé à pouvoir enregistrer la musique du générique de fin », se souvient Lee Ranaldo, guitariste de Sonic Youth. « C'était doublement significatif pour nous, parce que Danny Elfman [le compositeur du thème original] était un ex-copain de Kim [Gordon, la bassiste de Sonic Youth], de l'époque de L.A. ! On nous a expliqué que personne n'avait été autorisé à reprendre le morceau avant nous, et on s'est sentis assez honorés qu'ils nous laissent le faire. »

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Le rôle des Smashing Pumpkins était, lui, originellement prévu pour le groupe Hole. Mais Love était difficile à coincer, et sa présence éventuelle a également donné lieu à quelques querelles internes. Dans la version DVD de l'épisode, Groening évoque le fait d'avoir voulu convaincre un invité, qu'il ne nomme pas : « J'ai dit, 'On a untel, untel, et Courtney Love.' Et la réponse ça a été 'Si il y a Courtney Love, on le fait pas.' » (Cypress Hill et Sonic Youth ont eu eu des problèmes avec elle pendant le Lollapalooza de 1995). Ranaldo assuma finalement la responsabilité de ce refus, déclarant à l' Entertainment Weekly, en 1996, que « si elle participait, nous non. » (Ceci dit, Ranaldo réfute cette affirmation aujourd'hui.)

Pour le groupe de hip-hop de l'épisode, le recrutement a été bien plus facile. Jusqu'alors, Cypress Hill avaient été très pointilleux quant à l'utilisation de leur image, mais ils ont sauté sur l'occasion d'apparaître dans la série. « Avant, j'étais très sceptique par rapport à certaines choses, et particulièrement à nous voir sous forme de cartoon, » explique Sen Dog, membre de Cypress Hill. « Mais quand j'ai reçu cet appel, j'étais fan des Simpsons et je suivais la série depuis le tout début, donc j'étais là 'Mais oui ! Carrément, on le fait.' »

Même si Sen Dog reconnaît avoir été un peu nerveux quant à ses premiers pas dans le domaine du doublage, lui et les autres membres du groupes ont accouché de certaines des punchlines les plus reprises de l'épisode. Dans une scène restée célèbre, le groupe doit gérer le fait d'avoir exigé la présence de l'Orchestre Symphonique de Londres pour accompagner leur concert, « probablement après avoir fumé », et dirige les violonistes et les clarinettistes en costume trois pièces dans une version classique de leur morceau « Insane In The Brain ». Pour de nombreux fans des Simpsons, les deux groupes sont liés l'un à l'autre à jamais, et ils l'ont même récemment évoqué sur Twitter.

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Comme cela déjà avait été le cas dans les épisodes précédents des Simpsons dans lesquels apparaissaient des groupes (parmi lesquels Aerosmith, les Ramones et Spinal Tap), les répliques sont réparties entre tous les membres, de manière à ce que tous les invités participent. « On invite un groupe entier, pas une seule personne », explique Pietila. « Donc si le groupe entier est présent, il faut qu'ils participent tous aussi équitablement que possible. »

Si B-Real, autre membre de Cypress Hill, a eu l'honneur de pouvoir reprendre le célèbre « Ha, Ha » de Nelson Muntz, Sen, lui, a hérité d'une réplique qui l'accompagne encore aujourd'hui. Rebondissant sur la déclaration de Kim Gordon, qui explique que pendant les festivals de musique, on est là pour « la musique, et la publicité, et les placements de produits destinés à la jeunesse », Sen Dog, dont le groupe est à ce point pro-marijuana qu'il a été banni de Saturday Night Live à vie après avoir allumé un joint à l'antenne, ajoute, « pour ça, et pour être cuit à point. Bieeeeen cuit à point. »

« Ça arrive régulièrement que des gens viennent me voir pour un autographe et me disent 'Hey mec, tu peux écrire cuit à point, bien cuit à point ?' » raconte Sen. « Les gens ont vraiment retenu cette phrase, va savoir pourquoi. »

Il y a un groupe qui n'avait aucune réplique, mais qui s'est glissé dans l'épisode, sous le nez de la plupart des spectateurs : No Doubt. Tragic Kingdom, album du groupe paru en 1995, commençait à trouver son public, et avait entamé une percée dans les charts à partir de janvier 1996. Le frère de la leadeuse, Gwen Stefani, qui faisait originellement partie du groupe, travaillait avec l'équipe d'animation des Simpsons à ce moment-là, et avait proposé qu'ils soient intégrés à l'épisode, comme private joke. « Il nous a soumis l'idée, et on s'est dit 'C'est mortel' », se souvient Weinstein. On peut donc apercevoir les quatre membres du groupe en arrière-plan d'une scène, sans pour autant qu'ils ne soient ouvertement mentionnés.

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Il semblerait également que Pearl Jam aient décliné l'invitation de la série. « Je crois me souvenir que Pearl Jam avaient été contactés à l'époque » raconte Bill Oakley, co-producteur de l'épisode, « et puis que pendant un concert, je crois, ils avaient demandé au public 'On fait Les Simpsons ou pas ?' Et je crois que le verdict a été 'Non'. Et il ne l'ont pas fait. »

Vingt ans plus tard, les artistes présents dans « Homer le Rocker » sont toujours là et reconnaissent que leur passage dans Les Simpsons a eu un impact bien plus important qu'ils ne l'imaginaient au départ.

« Avec Sonic Youth, les gens nous réclamaient tout le temps le générique » explique Ranaldo. « J'ai rencontré énormément de gens qui ont découvert Sonic Youth grâce à cet épisode. »

Sen Dog lui aussi considère que l'émission a permis d'élargir la fanbase de Cypress Hill. « J'ai honnêtement senti que ça nous ouvrait à une population plus jeune, le fait d'être dans les Simpsons », dit-il. « Il y avait toute une frange de kids plus jeunes qui n'auraient probablement jamais entendu parler de Cypress Hill s'ils ne nous avaient pas vu dans leur émission préférée. Je crois que ça nous a vraiment beaucoup aidé. »

Même si « Homer le Rocker » s'est imposé comme un classique parmi les 620 épisodes existants (et ça continue) des Simpsons, pour Oakley, les choses étaient plus compliquées à l'époque. « Le truc avec Les Simpsons, en 1996, c'est qu'on diffusait dans le vide », explique-t-il. « Internet en était encore à ses balbutiements, et les critiques ne voyaient pas particulièrement d'intérêt à parler d'une série qui était diffusée depuis déjà sept ans. De temps à temps, on recevait une lettre, mais les gens qui écrivent aux émissions de télé sont un peu bizarres. »

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Depuis la diffusion de « Homer le Rocker », les festivals de musique se sont transformés en une industrie qui pèse plusieurs milliards de dollars, et il en est apparu des douzaines de nouveaux en Amérique, année après année, comme Coachella, Governors Ball, Riot Fest, Boston Calling et de nombreux autres, qui attirent tous les ans plus de 32 millions de spectateurs. Quand on leur demande d'imaginer écrire « Homer le Rocker » aujourd'hui, ni Oakley, ni Weinstein ne veulent se risquer à avancer quels groupes seraient invités à y participer. Oakley, qui a transmis à Homer son amour pour Grand Funk Railroad à l'occasion de cet épisode, renvoie à une citation de Marge pour exprimer son sentiment sur la question : « La musique, ça ne me regarde pas. »

« C'est ce que je pense depuis environ 35 ans », dit-il en riant. Et Weinstein explique que pour rien au monde il ne toucherait à l'original. Il déclare être toujours fan de Cypress Hill et de Sonic Youth.

Dans le troisième acte de l'épisode, tous les guests se rassemblent pour assister à la décision que va prendre Homer : poursuivre son « rock'n'roll dream » et encaisser un boulet de canon dans le ventre - ce qui, selon son docteur, pourrait le tuer - ou laisser tomber et admettre que passé la trentaine, les papas sont trop vieux pour ce genre d'aventures. Homer choisit de vivre plutôt que de tout risquer, et trouve la paix dans sa paisible vie de famille. Certains guests de l'épisode, tous plus vieux qu'Homer aujourd'hui, pourraient pourtant bien être en désaccord avec lui.

« Je ne crois pas qu'on devienne trop vieux pour faire du rock un jour », explique Sen Dog, qui joue toujours avec Cypress Hill à 51 ans, tout comme avec son groupe metal Powerflo. « Je pense que la seule chose qui puisse t'arrêter, c'est d'en avoir marre. Mais tant que tu gardes la passion, alors il faut y aller et pas s'arrêter. »

« Il y a différentes façons de faire », déclare Lee Ranaldo qui, à 61 ans, continue à faire de la musique et qui, en fait, répond à nos questions alors qu'il est lui-même en tournée pour défendre son nouvel album solo Electric Trim. « J'ai choisi la vie, je suis là pour la création et pour l'art, pas tant pour les excès et la fête, même si ça peut être marrant. »

Mais pour tous ceux qui, comme Homer, ont été confronté à leur visage vieillissant dans le miroir, ou qui se sont sentis complètement dépassés en voyant les artistes au sommet des charts, « Homer le Rocker » incarne un rite de passage. L'épisode synthétise ce moment de la vie où il nous faut avaler la pilule, aussi difficile que cela soit : une nouvelle génération est à vos basques, elle est là pour prendre le contrôle de la coolitude, et elle va vous reléguer au range de vieux ringard, comme vos parents avant vous.

« Il fait toujours partie de mes épisodes préférés », déclare Weinstein. « Parce qu'il me parle quand je le regarde aujourd'hui, et j'ai 51 ans. Et quand je l'ai produit j'avais quoi, 30 ans, 29 ans. J'étais jeune quand je le regardais, et je pensais que j'étais cool, et aujourd'hui, je suis comme Homer, et je ne me sens pas cool du tout. Ça sonne juste quand tu vieillis. Ça sonne juste pour différentes raisons. Et là où Les Simpsons sont géniaux, c'est quand ils sonnent juste, et qu'ils te parlent de ta vie. Je considère que dans cette mesure, c'est un classique. » Dan Ozzi et Alex Robert Ross sont sur Twitter.