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Feminisme

Au Mexique, des femmes secouristes expliquent ce qu'elles font depuis le tremblement de terre

« J’essaie de ne pas trop réfléchir et d’être la plus efficace possible afin de ne pas me laisser submerger par l’émotion. »
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Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Cela fait plus d'un mois que le Mexique tente de panser ses plaies, après le tremblement de terre qui a frappé le pays. Aujourd'hui, la vie a (presque) repris son cours. Dans le métro de Mexico, les gens s'accommodent de leur train-train quotidien, les smartphones sont allumés, et les conversations rares. Le 19 septembre, le centre du pays était frappé par un séisme de magnitude 7,1 – provoquant la mort de plus de 300 personnes –, et ce seulement 12 jours après qu'un séisme de magnitude 8,2 a frappé le sud du Mexique, entraînant une centaine de morts et plus de 200 blessés.

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Aujourd'hui, donc, l'heure est à la reconstruction. Si les rues ont été déblayées, de nombreux immeubles et infrastructures doivent être rebâtis. Nous avons choisi de parcourir les rues de Mexico – et notamment le quartier Roma, particulièrement touché – afin de rencontrer celles qui luttent quotidiennement pour réparer ce qui peut l'être.

Ana Rosa Lorenzo

Broadly : Que fais-tu de tes journées, en ce moment ?
Ana Rosa Lorenzo : En fait, j'ai un autre travail, à côté de celui de secouriste. En ce moment, je nettoie les espaces verts. J'adore ma ville, et je fais tout ce qu'il est possible de faire pour la préserver et la rendre attrayante.

Et ça te prend beaucoup de temps ?
Aujourd'hui, j'ai passé 12 heures à faire ça – j'attends qu'on me relève. Il faut prendre soin de se reposer, car notre travail est parfois dangereux. Là, je travaille dans un bâtiment très endommagé, qui peut s'effondrer à tout moment.

Combien êtes-vous sur place ?
On compte 15 volontaires, et des secouristes venant d'Espagne et de Corée du Sud. Il y a aussi des pompiers qui viennent des quatre coins du pays. Mon mari travaille également sur les lieux.

Et que ressens-tu au quotidien, quand tu parcours Mexico et tombes sur des ruines ?
Je veux tout simplement aider, tout en prouvant que les femmes ont leur place au côté des secouristes, dans des conditions difficiles.

Sharon Terán

Broadly : À quelle heure as-tu commencé aujourd'hui ?
Sharon Terán : En fait, j'ai commencé hier soir à 22 heures. J'en suis à 19 heures de travail consécutives. C'est difficile, mais on fait ça pour les autres. Depuis le tremblement de terre, j'ai bossé dans différents endroits – Eugenia, Morelos. Je pense à tous ces endroits, dont les cicatrices mettront du temps à se refermer. Aujourd'hui, il est essentiel de libérer ceux qui sont encore sous les décombres, afin que leur famille puisse être en paix.

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Que faut-il faire si un tremblement de terre se déclenche ?
Si vous n'êtes pas en mesure de sortir du bâtiment dans les 15 secondes, trouvez une sorte de filtre pour votre bouche, et cachez-vous sous un objet plutôt solide, en position fœtale. Vous couvrir la bouche est essentiel : si vous parvenez à éviter d'avaler de la poussière, vous survivrez pendant deux ou trois jours supplémentaires.

María de Los Ángeles Ruiz

Broadly : Quand êtes-vous arrivée sur place ?
María de los Ángeles : Nous étions en train de travailler dans l'État d'Oaxaca, où il y avait eu un autre séisme. On nous a demandé de venir ici le 19 septembre, mais on a eu des soucis avec l'ambulance qui devait nous emmener, ce qui nous a contraints à arriver le lendemain. Ici, il n'y a rien qui ne nous différencie. Tout le monde est dans la même galère, peu importe notre genre ou notre âge. Et je pense que c'est très bien comme ça. Nous vivons dans un Mexique vraiment uni, et c'est ce qu'on a toujours voulu. Mais c'est tout de même dommage que ces moments d'unité ne surgissent que lors de tels drames.

J'imagine que c'est assez intense, émotionnellement parlant.
J'ai choisi de laisser mes émotions de côté. Si les gens vous considèrent comme faible, ils vont vous rejeter. Mais j'avoue avoir vécu des moments très intenses alors que nous cherchions des rescapés dans un habitat collectif de Tlalpan, à l'aide de micros et d'imagerie thermique. Quand quelqu'un se met à hurler « Il y a quelqu'un en vie ! », on sait qu'une personne nous attend quelque part.

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On va rester jusqu'à ce qu'on ait retiré la dernière pierre – on en a en gros pour une semaine. Après ça, je prendrai une pause pour passer du temps avec ma famille, les serrer dans mes bras et ne plus jamais me tracasser pour des choses matérielles qui n'en valent pas la peine.

Zuri Navani Garcia

Broadly : Vous avez déjà fait du bénévolat avant ?
Zuri Navani Garcia : Oui, je faisais partie du personnel médical d'urgence de la Croix-Rouge. Maintenant, je travaille avec Los Topos, où nous sommes aussi entraînés pour sauver des personnes coincées dans des espaces réduits. Nous apprenons à utiliser des outils tels que des perceuses, de l'émeri et des cisailles à béton.

À quoi ressemblent vos journées sur place ?
Nous sommes arrivés hier à 23 heures – nous avons terminé à 3 heures du matin et recommencé à travailler de 6 heures du matin à 15 heures de l'après-midi. Ici, personne ne fait de discrimination. Tout le monde attend la même chose de vous, que vous soyez un homme ou une femme. Je suis venue pour aider, pas pour me plaindre.

Quelle est la chose la plus intense que vous ayez vécue sur place ?
Alors que nous étions dans des habitats collectifs de Tlalpan, nous avons vu des rescapés qui étaient piégés sous les décombres. Nous avons demandé à tout le monde de se taire, afin d'amplifier notre matériel audio pour déterminer où ils se trouvaient exactement. J'ai dit : « Si vous pouvez m'entendre, faites du bruit. Maintenant. » J'ai entendu quelqu'un frapper, et réalisé que la vie de cette personne était entre mes mains, et que je pouvais la sauver.

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Paola Delfín

Broadly : Quelle est la partie la plus difficile de votre travail ?
Paola Delfín : La souffrance d'autrui.

Que ressentez-vous quand vous êtes sur le terrain ?
J'essaie de ne pas trop réfléchir et d'être la plus efficace possible afin de ne pas me laisser submerger par l'émotion – bien que ce soit difficile. Je me répète souvent que si quoi que ce soit m'arrivait, j'aimerais que des gens me viennent en aide.

Luisa Ribero

Broadly : Que faites-vous ici ?
Luisa Ribero : Je m'occupe de coordonner tous les bénévoles civils – la plupart d'entre eux sont chargés de nettoyer les décombres. Je dois les envoyer là où il y a des besoins, les équiper, et m'assurer de leur sécurité. Je les accompagne également sur le terrain et les ramène une fois le travail terminé. J'ai été bénévole pendant cinq ans, et aujourd'hui je suis secouriste – j'étudie aussi en médecine.

À quelle heure avez-vous commencé ?
J'ai commencé hier à 15 heures, et je suis sur place jusqu'à 21 heures aujourd'hui. C'est la deuxième fois que je travaille sur une période de plus de 24 heures, mais ça me convient. L'organisation est optimale et les gens très solidaires entre eux. Une bonne partie de la coordination est assumée par des femmes, lesquelles font preuve de beaucoup de respect envers nous.

Qu'est-ce qui vous a le plus impressionnée sur place ?
Je suis soufflée par le sentiment d'unité qui règne ici. Il n'y a aucune guerre d'ego, tout le monde cherche à donner tout ce qu'il peut – ensemble, on peut vraiment soulever des montagnes.