Élise, chez elle
Jeanne. Photos: Rebecca Topakian pour VICE FR
Société

On a discuté avec des jeunes féministes et catholiques

« Je n’arrive plus à aller à la messe et écouter un mec pendant une heure, qui est là, avec d’autres mecs. Il n’y a qu’eux qui ont le droit d’aller sur l’autel. »

« Il est temps de démontrer que non seulement on peut être féministe bien que catholique, mais féministe parce que catholique. » Cette citation n’est pas celle d’une « féminazie » qui voudrait renverser l’Église en y introduisant sournoisement le mouvement #MeToo. Elle date de 1937 et a été prononcée par Marie Lenoël, dirigeante de la section française de l’Alliance internationale Jeanne d’Arc, une asso née en 1911 à Londres autour d’un petit groupe de suffragettes cathos. À l’époque, elles défendent aussi bien le droit de vote des femmes que l’accès de celles-ci au sacerdoce.

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Presque aussi vieux que le féminisme lui-même, le féminisme chrétien n’a jamais disparu. En 2008, l’archevêque de Paris André Vingt-Trois déclare, sur la possibilité d’ouvrir le ministère de lecteur aux femmes : « Il ne suffit pas de porter une jupe, encore faut-il en avoir dans la tête. » En réaction, les intellectuelles Anne Soupa et Christine Pedotti fondent le Comité de la jupe.

Si, en 2019, les femmes ne peuvent toujours pas être ordonnées prêtres dans l’Église catholique, si être catho et défendre le droit à l’avortement est toujours périlleux, certaines femmes ne baissent pourtant pas les bras et continuent de se battre pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’institution deux fois millénaire. VICE a rencontré trois femmes qui croient autant au Christ qu’à l’effondrement du patriarcat.

Jeanne, 20 ans, scoute et « zadiste »

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Jeanne

Elle coche toutes les cases : baptême, première communion, profession de foi, confirmation. Sa famille, elle la définit comme « assez tradi, si ce n’est un peu facho ». Pourtant, à 20 ans, l’étudiante en sciences politiques à Lille est pro-mariage pour tous, pro-droit à l’IVG et pour que l’Église puisse avoir des femmes prêtres.

« J’ai toujours été super libre de pratiquer », indique Jeanne. Ses parents, divorcés et sans autre enfant, rompent avec le « schéma des familles cathos tradis ». Dans sa jeunesse, à Clermont-Ferrand, elle fréquente tout de même des établissements privés, et même un rallye pendant quelques années. Le modèle que lui renvoie le milieu dans lequel elle baigne la rebute : « 90 % des familles qui fréquentaient les mêmes paroisses ou écoles, c’étaient des pères cadres sup chez Michelin et des mères au foyer qui avaient cinq ou six enfants. Ça m’a donné une image de la femme que je n’avais pas envie d’être plus tard. »

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« Je les trouve un peu ignares, ils me trouvent un peu zadiste. Je pensais qu’ils pouvaient être un obstacle à ce que je puisse me dire féministe, mais en fait pas du tout. J’en suis d’autant plus fière parce que j’arrive à lier ça au fait d’être catho et pratiquante »

Pour échapper à ce destin, elle ne renie pas sa foi pour autant. Aujourd’hui, Jeanne connaît 6 mois à l’avance les dates des pèlerinages à Lourdes, où elle se rend chaque été, depuis ses 8 ans, avec sa famille. Elle est aussi cheftaine chez les Scouts unitaires de France. Là-bas, les jeunes femmes doivent porter un bermuda : « J’en parlais avec des gens qui me disaient que ce n’était pas anodin, que c’était parce que quand nous, jeunes femmes, on allait à la messe dans un cadre scout, il ne fallait pas qu’on ait de short, vis-à-vis des prêtres. » En clair, ne pas tenter le curé.

Très tôt politisée, la jeune femme découvre le féminisme à la fac. Elle voit ses amies s’engager dans une asso, organiser des conférences : « C’est un peu con, mais je me disais que ce n’est pas parce qu’elles sont dans cette asso qu’elles sont plus légitimes que moi à en parler. » Auprès de ses potes cathos de droite, elle passe pour la « gauchiasse féministe indignée », mais assume sans ambiguïté ses positions : « Avec eux, il y a une espèce de jeu : je les trouve un peu ignares, ils me trouvent un peu zadiste. Je pensais qu’ils pouvaient être un obstacle à ce que je puisse me dire féministe, mais en fait pas du tout. J’en suis d’autant plus fière parce que j’arrive à lier ça au fait d’être catho et pratiquante. »

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Souvent, on lui rétorque : « Non mais t’es catho, comment tu peux penser ça ? » Pour elle, il n’y a aucune contradiction : « Je suis catho mais je suis une femme aussi. » Il faut dire que l’image des catholiques qui domine dans l’espace public ne joue pas en sa faveur : « La majorité de ce qu’on entend, de ce qui est médiatisé en termes de militantisme catholique, ce sont des trucs qui relèvent de la manif pour tous, des nanas pro-vie. »

Élise, 23 ans, intello en colère

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Un dimanche par mois, Élise assiste à la messe à Notre-Dame-de-Clignancourt, à cinq minutes de l’appart dans lequel elle nous reçoit. La bibliothèque de la jeune journaliste ne manque pas de bouquins sur la religion : « Ma pratique est plus cérébrale, je lis des textes. » Elle a grandi à Angers, « ville bourgeoise et catholique », chuchote-t-elle en riant, avec une mère « catho de gauche » et un père « plutôt catho par habitude ». En troisième, dans son collège privé, tout le monde fait sa confirmation : « C’est le pire âge, t’es en pleine crise d’ado. Moi, à l’époque, j’étais plutôt agnostique. Donc je ne l’ai pas faite. » À l’aumônerie du lycée, elle se fait ses « copines pour la vie » : une croyante « limite animiste » et lesbienne, deux musulmanes et une athée. C’est là qu’elle redécouvre la foi.

Élise a du mal à se rappeler quand elle a mis un mot sur le féminisme : « Pour moi, c’est normal d’être féministe. Si t’es une femme et que tu ne veux pas être égale aux hommes, il y a un problème, je ne sais pas, t’es maso », s’amuse-t-elle. Quand au lien entre sa foi et son féminisme, elle l’assume sans pour autant se voiler la face : « Quand t’es catho de gauche, déjà, t’es obligée de vivre avec des paradoxes. Donc c’était juste un paradoxe de plus ! » Dans un premier temps, elle défend bec et ongles sa religion, sur le refrain : « Mais si, le catholicisme c’est féministe, il y a des femmes hyper fortes dans la Bible. » Elle s’attache à la lecture des évangiles sans forcément voir le sexisme de l’institution : « Le discours du Christ était quand même hyper révolutionnaire par rapport à la condition des femmes de l’époque. »

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« Notre chef suprême, le Pape, n’est choisi que par des hommes, alors que dans le peuple des fidèles catholiques, il y a des hommes et des femmes. Pourtant ces hommes-là réfléchissent à notre condition »

Mais depuis deux ans, au contact d’amies féministes militantes, elle a changé de perspective : « Je suis hyper en colère. Si je reste dans l’Église, c’est pour essayer de changer les choses. Quand t’es catho de gauche et féministe, il y a un moment de bascule où tu te demandes si tu vas rester catho. Si tu le restes, t’es obligée de vouloir changer les choses dans ton institution religieuse. Sinon tu n’es pas honnête avec toi-même. »

Début mars, elle a regardé avec peine le docu d’ARTE sur les religieuses abusées sexuellement : « Je n’en ai pas dormi de la nuit. Pourtant je savais déjà plein de trucs, mais c’est pire que tout. » Pour la jeune femme de 23 ans, le plus grand problème de l’Église romaine est un problème « démocratique » : « Notre chef suprême, le Pape, n’est choisi que par des hommes, alors que dans le peuple des fidèles catholiques, il y a des hommes et des femmes. Pourtant ces hommes-là réfléchissent à notre condition. » Elle a lu avec appétit les ouvrages de Christine Pedotti et Anne Soupa, admire le Comité de la jupe : « Je les adore, c’est mes modèles ces femmes-là. Mais en fait ça devrait partir de la base. » Entre « colère » et « désabusement », Élise croit modérément à la révolution féministe dans l’Église : « Ce qui m’énerve le plus, c’est qu’on est dans une servitude volontaire. »

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Alice, 28 ans, activiste pour l’égalité

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On la rencontre dans un café à deux pas de Notre-Dame-de-Paris. C’est là, sur le parvis de la cathédrale, qu’elle rêve d’organiser un jour un « happening en faveur de la cause féministe catho », avec des centaines de femmes en position d’ordination – allongées sur le ventre et les mains posées sur le sol. Depuis 6 ans, Alice travaille en milieu confessionnel. Cette année, elle a décidé de prendre une pause pour créer une asso, Theology for Equality. L’objectif : devenir une plateforme d’échanges entre « tous les groupes féministes religieux dans le monde », et ce « pour les trois religions abrahamiques », tout en proposant des mooks dispensés par des théologiennes et en organisant des formations dans les lieux de culte. « Il y a un an, j'ai senti que je devais m'impliquer dans l’activisme féministe chrétien, parce que j’ai bien vu qu’il y avait plein de groupes identitaires catholiques qui recrutaient à tour de bras, avaient de plus en plus d’influence. De l’autre côté, il n’y a pas d’alternative, de contrepoids. »

« Je n’arrive plus à aller à la messe et écouter un mec pendant une heure, qui est là, avec d’autres mecs. Il n’y a qu’eux qui ont le droit d’aller sur l’autel »

La femme aux boucles brunes et aux yeux clairs n’y était pourtant pas forcément prédisposée. Née dans une famille athée à Avignon, elle décide de se convertir à l’âge de 21 ans. « Le déclic, ça a été le jour où j’ai vu une amie à moi, chrétienne irakienne, entrer dans une église. J’ai vu qu’elle s’octroyait le droit de croire, qu’elle n’avait pas honte de se signer et de dire : "Ouais, je suis croyante, et alors ?" » Très vite, elle commence à travailler dans un monastère, une expérience bouleversante : « J’ai une foi clairement monastique, pas une foi de prêtre, de l’église du dimanche. » L’an dernier, avant de se lancer dans Theology for Equality, elle s’est retirée dans un monastère de femmes, à Blauvac dans le Vaucluse, pour prendre le temps de relire la Bible à l’aune de la place des femmes. « Je n’arrive plus à aller à la messe et écouter un mec pendant une heure, qui est là, avec d’autres mecs. Il n’y a qu’eux qui ont le droit d’aller sur l’autel. Je remets tout tellement en question en permanence que je ne passe pas un bon moment. »

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Après la « passion des premiers temps de la convertie », elle a commencé à se poser la question du rôle des femmes dans l’Église : « Je me suis dit : à un moment, soit ma religion s’adapte et je l’interprète, soit ma religion n’est pas bonne. » À Paris, elle fait la connaissance d’Anne Soupa et rejoint le Comité de la jupe. Elle trouve toutefois le féminisme chrétien français trop « blanc, bourgeois, parisien » et admire les féministes musulmanes du mouvement Lallab : « Elles sont jeunes, on a les mêmes notions, comme le féminisme décolonial. Parce que bon, le féminisme chrétien, ce n’est pas blanc, il faut arrêter, t’as toute l’Amérique latine, l’Inde, l’Afrique, il se passe plein de choses. »

Dans quelques années, Alice aimerait être ordonnée prêtre, à l’image de la Française Christina Moreira qui exerce son ministère, non reconnu par l’Église, en Espagne. « J’en ai la vocation, mais je suis une femme donc je vais me faire foutre. » Elle sait quel sera son sort si elle saute le pas : « Je serai excommuniée. »

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