Food

Le homard, la nouvelle kryptonite des hommes politiques

Qu'il se rassure, François de Rugy n'est pas le seul à s'être fait pincer pour une histoire de crustacé hors de prix.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Homard de Rugy

En 2017, alors président de l’Assemblée nationale, François de Rugy avait fait du projet de loi sur la moralisation de la vie politique son cheval de bataille. Au menu, des mesures visant à limiter les dépenses des députés et des interventions à base de « mettons fin à l’idée très répandue parmi les citoyens selon laquelle les élus se font leur propre petit système et seraient un peu privilégiés. »

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Le 10 juillet, Médiapart publiait un article intitulé La vie de château sur fonds publics des époux de Rugy qui épinglait le train de vie fastueux du désormais ministre de la Transition écologique et solidaire. Dans la liste des griefs, une dizaine de gueuletons organisés aux frais du contribuable, à l’hôtel de Lassay où homards XL et grands crus se tiraient visiblement la bourre.

« Ces dîners visaient à répondre à l’exigence de représentation liée à sa fonction auprès de la société civile », a tenté de se défendre de Rugy sur Facebook avant d'annoncer vouloir rembourser « chaque euro contesté » et être « intolérant aux fruits de mer ». Problème, en plus de renforcer le vieil adage « C’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins », de Rugy semble avoir oublié qu’en politique, on ne rigole vraiment pas avec la bouffe.

Président de l’Equateur, Lenin Moreno a par exemple été photographié dans une chambre d’hôtel, en pyjama et sur le lit, devant un room service évidemment composé de homards. Un cliché qui a circulé en masse sur les réseaux sociaux et la fout un peu mal puisque Moreno mène une politique d’austérité drastique dans son pays.

Interrogé par la BBC, le président équatorien s’est justifié : « C’était mon anniversaire, je regardais du foot dans mon lit et c’était férié. C’était un jour un peu spécial, c’est tout. » The Sun assure que c’est cette photo qui a mis fin au séjour de Julian Assange dans l’ambassade du pays à Londres, Moreno accusant le fondateur de WikiLeaks d’avoir été à l’origine de la publication de la photo sur Internet.

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Dimanche 7 juillet, c’est Yossi Shelley, ambassadeur israélien au Brésil, qui voyait une queue de homard lui revenir à la gueule. Après un déjeuner avec le président Jair Bolsonaro – dans un restau de poisson à en croire le tablier du serveur qui pose derrière les deux hommes – une photo de Shelley est publiée sur Twitter.

Dans son assiette, les internautes croient déceler la présence d’un homard, crustacé dont la consommation est interdite par la religion juive. On dit « croient déceler » parce qu’un community manager a eu la bonne idée de passer un coup de pinceau Photoshop ou Aperçu sur le plat, entraînant une série de détournements bien débiles.

Dans sa réponse aux journalistes, Shelley a été un poil plus précis que le retoucheur. « Vous êtes à un repas privé et on vous sert ça, qu’est-ce que vous faites ? Vous le balancez ? Je ne mange pas ce genre de choses et je ne les commande jamais. Je les ai mises de côté et j’ai mangé le saumon qui a la même couleur. Ça ne change rien à mes relations avec les autorités brésiliennes. »

Plutôt que de s’embourber dans des excuses aussi vaseuses que le fond d’un aquarium de restau, de Rugy aurait peut-être pu ressortir les menus de l’Élysée qui comportaient assez régulièrement leurs lots de médaillons ou de navarins de homard.

Dans un article sur l'ancien chef de l’Élysée, Bernard Vaussion – prédécesseur du très médiatique Guillaume Gomez – le critique culinaire Nicolas de Rabaudy racontait l'émerveillement du cuisinier devant les homards bleus bretons de la table présidentielle. Mais ça, c’était avant que le crustacé ne soit « victime » d'une cure d'austérité imposée sous le mandat de François Hollande.

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« La crise actuelle [en 2013] et les restrictions de budget à l’Élysée ont eu des conséquences sur l’ordonnancement des menus : le homard breton, les truffes melanosporum et les caviars sont prohibés ou servis à très petites doses. L’Etat doit montrer l’exemple, le luxe gastronomique n’est plus de mise », raconte de Rabaudy.

On ne va pas revenir sur les origines modestes du homard. Ce parvenu des océans est aujourd’hui un mets synonyme de luxe et de raffinement – au moins depuis les années 1880 et le homard Thermidor d'Auguste Escoffier. C’est lui qui est servi à Melania et Donald Trump lors d’un dîner avec Emmanuel Macron au Jules Verne, le restau d’Alain Ducasse sur le tour Eiffel.

Des soirées raclette aux dîners fruits de mer, de Rugy peut se rassurer en se disant qu’il n’est pas le seul à être passé sous les fourches caudines pour une bête histoire de crustacé. Ce qui est plutôt fascinant, c’est qu'il y ait encore des hommes politiques, rodés en matière de communication, qui se fassent pincer.

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