FYI.

This story is over 5 years old.

FRANCE

Si vous n'avez rien suivi de l'affaire « pétrole contre nourriture »

Relaxe générale pour 14 entreprises et 3 de leurs anciens dirigeants, poursuivis en France dans le cadre de ce scandale international qui a impliqué des responsables politiques français et étrangers suspectés d’avoir enrichi le régime de Saddam Hussein.
Image via UNICEF/HQ03-0051/ SHEHZAD NOORANI

Quatorze entreprises, dont Renault Trucks, Schneider Electric et Legrand, ainsi que trois de leurs anciens dirigeants, ont été relaxés dans ce deuxième procès « pétrole contre nourriture » (parfois appelé « Pétrole contre nourriture II »), ce jeudi après-midi. Le tribunal correctionnel de Paris ne les a pas reconnus coupables de corruption active d'agents publics étrangers et d'abus de biens sociaux, dans cette affaire de détournement d'aide humanitaire au profit du régime de Saddam Hussein, le dictateur à la tête de l'Irak entre 1979 et 2003.

Publicité

Ces entreprises étaient accusées d'avoir contribué à un système de détournement du programme « pétrole contre nourriture », mis en place par l'ONU entre 1996 et 2003 pour nourrir la population irakienne, affamée suite à l'instauration d'un embargo total sur l'Irak. En tout, près de 2 milliards de dollars auraient été détournés au profit du régime irakien.

C'était le deuxième procès impliquant des personnalités et des entreprises mondiales, accusées d'avoir détourné les fonds de ce programme humanitaire pour leur propre intérêt ou celui du régime irakien de l'époque. L'ancien ministre de l'Intérieur français Charles Pasqua, le groupe pétrolier Total et son ancien PDG Christophe de Margerie ont déjà été poursuivis puis relaxés, en juillet 2013, lors du premier procès « pétrole contre nourriture » dit « Pétrole contre nourriture I ».

Comme dans ce premier procès, une relaxe générale a été prononcée car le tribunal a considéré notamment qu'il n'y avait pas de preuve d'enrichissement d'agents publics irakiens, nécessaire pour constituer le délit. Le tribunal a également refusé de condamner quatre de ces sociétés car elles avaient déjà payé des amendes aux autorités américaines pour les mêmes faits. Le parquet avait requis des condamnations, sans préciser les peines, et avait annoncé avant même le jugement, son intention de faire appel en cas de pareille relaxe. La relaxe, elle, était réclamée par les avocats de la défense en mars dernier, à l'ouverture du procès.

Publicité

L'histoire de ce scandale remonte à 1990, quand Saddam Hussein décide d'envahir le Koweït voisin. Une invasion qui entraînera la guerre du Golfe — entre l'Irak et une coalition de 34 États dont les États-Unis et la France — mais également un embargo total sur l'Irak, décidé par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Cet embargo a été largement critiqué par des responsables de l'ONU ou des journalistes, à cause de ses conséquences humanitaires. Selon un rapport du Conseil économique et social de l'ONU, il a provoqué la mort de 500 000 à 1 500 000 de personnes, « la majorité d'entre elles étant des enfants ».

À partir de 1995, l'ONU prend une série de mesures, compilées par Le Monde diplomatique, pour adapter ses sanctions à l'Irak. La première de ces mesures est le programme « pétrole contre nourriture ». Ce programme donne le droit à l'Irak de vendre une certaine quantité de pétrole, mais toutes les recettes doivent être versées sur un compte contrôlé par l'ONU et destiné notamment à acheter de la nourriture, des médicaments et du matériel humanitaire.

Après la chute du régime de Saddam Hussein, en 2003, le programme est arrêté. Mais en 2004, le journal irakien Al Mada publie une liste de 270 personnes — dont l'ex-ministre Charles Pasqua — qu'il accuse d'être impliquées dans des détournements. En 2005, un rapport commandé par l'ONU, le rapport de la commission Volcker, indique que plus de 2 200 entreprises, sur les 3 600 du programme, auraient pris part à un système qui aurait permis au régime irakien de détourner près d'1,5 milliard de dollars sur les achats de matériel humanitaire. 180 de ces entreprises auraient été françaises.

Publicité

Les entreprises devaient reverser 10 pour cent du montant de leurs contrats au régime irakien, selon le rapport, via des circuits financiers parallèles, afin de conserver ces contrats. Dans la plupart des cas, pour ne pas perdre d'argent, les entreprises auraient surfacturé en amont leurs livraisons de matériel humanitaire, afin de rembourser ces 10 pour cent de pots-de-vin, toujours d'après la commission, en violation des règles du programme « pétrole contre nourriture ».

Un système identique aurait été mis en place pour les exportations de pétrole : l'Irak baissait le prix des barils de pétrole vendus à l'étranger, et les clients rétrocédaient la moitié de cette baisse de prix directement au régime irakien. Ce système a permis de détourner 229 millions de dollars supplémentaires, selon le rapport de l'ONU.

L'État irakien récupérait ces sommes via des comptes à l'étranger, des sociétés écrans ou même des valises de billets remises aux ambassades irakiennes à l'étranger.

Par ailleurs, l'Irak s'est livré pendant cette période à un commerce illégal de pétrole et réservait certains marchés « à des compagnies et des individus originaires de pays perçus comme 'amis' de l'Irak » qui en contrepartie effectuaient des activités de lobbying pro Irakien, selon le rapport. C'est pour cela que Pasqua a été poursuivi puis relaxé lors du premier procès « pétrole contre nourriture ».

Si ce premier procès s'est soldé, en juillet 2013, par une première relaxe générale, le parquet avait fait appel de certaines d'entre elles, comme celle de l'entreprise Total, mais pas de celles de Charles Pasqua et de Christophe de Margerie — décédé depuis — qui sont donc définitivement hors de cause dans cette affaire. Le procès en appel de « Pétrole contre nourriture I » aura lieu en octobre prochain. On ne sait pas pour le moment s'il y aura bien un procès en appel de ce« Pétrole contre nourriture II».

À lire : La CIA vient de rendre public le document qui a « justifié » l'invasion de l'Irak

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter : @MatthieuTwitter

Image via UNICEF/HQ03-0051/ SHEHZAD NOORANI