Pourquoi il faudrait légaliser toutes les drogues
Photo : Krisanapong Detraphiphat/Getty Images

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Drogue

Pourquoi il faudrait légaliser toutes les drogues

Si la consommation récréative n’est pas problématique, sa pénalisation va faire en sorte qu’elle le devienne.

Après la légalisation du cannabis - si le Sénat la veut bien -, voilà qu’une nouvelle brèche semble s’ouvrir dans la guerre aux drogues illégales. Le Parti libéral du Canada pourrait débattre lors de son congrès à Halifax cet avril d’une mesure encore plus radicale: la décriminalisation de la possession de toute drogue illicite, incluant les Bonhommes Sept Heures du monde narcotique — la cocaïne et l’héroïne.

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Bien sûr, l’idée selon laquelle la consommation de drogue est un problème de santé publique et non un enjeu criminel fait partie de la catéchèse progressiste depuis plusieurs années. Au sein des experts et intervenants du milieu, un certain consensus est déjà bien implanté : la libéralisation des mesures antidrogue serait non seulement souhaitable, mais tout à fait nécessaire si l’on veut minimiser les torts engendrés par celles-ci.

Reste que les consommateurs ne sont pas tous pareils et la très grande majorité d’eux ne seraient pas mieux servis par la décriminalisation que par la prohibition, selon Jean-Sébastien Fallu de l’Université de Montréal. « Les policiers vont simplement se mettre à donner plein de contraventions, prédit le professeur à l’École de psychoéducation de l’UdeM et spécialiste de la toxicomanie. Et ce n'est pas le PDG dans son salon qui va recevoir la contravention, c'est le jeune marginal dans la rue. »

Pour Fallu, la légalisation – avec son absence totale de pénalités pour la consommation, la possession ou le trafic de drogue - est la seule approche qui tient compte de la réalité de la consommation. « Si les consommateurs ont un problème, ils ont besoin d'aide, pas d'être criminalisés, dit-il. Et s'ils n'en ont pas, ils ont juste besoin qu'on leur câlisse la paix, parce qu'autrement, on va leur en créer un. »

VICE s’est entretenu avec Fallu sur les origines du discours prohibitionniste, le débat ambiant autour de la légalisation du cannabis, et comment la crise des opioïdes a fait évoluer son discours.

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VICE : Est-ce que la légalisation du cannabis a ouvert la porte à un changement d’attitude face aux drogues dures?
Jean-Sébastien Fallu : Ça rend le débat sur la légalisation d'autres substances un peu moins hypothétique, même s'il y a beaucoup de gens qui ne sont pas rendus là. Plusieurs des arguments qui sont avancés dans le débat sur la légalisation du cannabis s'appliquent aussi à d'autres substances. Par la force des choses, ça habitue la population à cette discussion-là.

Peux-tu me donner des exemples des arguments qui se rejoignent?
Les gens se rendent compte qu'il y a un double standard avec l'alcool. Si l’on perçoit l’alcool si positivement ou si banal, c'est plus une question culturelle. C’est parce qu'on a baigné là-dedans toute notre vie.

Justement, l’exemple de l'alcool ne nous indique-t-il pas qu'il y a un danger à la libéralisation de substances dangereuses?
La légalisation n'est pas une panacée. Il y a des risques à une commercialisation à outrance. Mais la prohibition ne fait rien pour aider la situation. La consommation est là et on laisse la commercialisation au crime organisé. En fait, la criminalisation nuit à des personnes qui, dans bien des cas, n'avaient pas de problèmes. Et s’ils en avaient, on ne les a pas réglés avec la prohibition.

Dans un texte publié l’an dernier , German Lopez de Vox affirmait que la crise des opioïdes l'avait mené à revisiter son soutien pour la légalisation de toutes les drogues. Est-ce que la vague de surdoses a changé ton opinion?
J’ai fait le même cheminement. J'étais en France en novembre dernier et je parlais avec un médecin anti-prohibitionniste de longue date et on a fait le même constat: qu’il faudrait légaliser presque toutes les drogues et non pas de toutes les drogues. Il y a désormais des produits — comme le fentanyl ou l'acrylfentanyl — qui sont tellement puissants que ça n'a pas à être légal dans un contexte récréatif.

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Parle-moi de ton cheminement. Ta position d’avant était plus, disons, radicale?
Ça fait 20 ans que je dis que ça n'a aucun bon sens de criminaliser des gens qui possèdent ou consomment des drogues - et ça je le pense encore. Mais maintenant, je me dis que ce n’est pas nécessaire de toutes les légaliser. On pourrait légaliser celles qu'on connaît, dont on connait les risques.

Je pensais aussi que la légalisation ne pouvait pas être pire que la prohibition, mais en voyant comment l'industrie pharmaceutique se comporte, comme ç'a été le cas avec Purdue Pharma et l’OxyContin, elle pourrait quasiment l'être. Je pense que la légalisation doit être encadrée pour ne pas laisser une industrie avide de profits mener. Sinon, on revient quasiment au marché noir avec ses gros trafiquants.

L'encadrement qu'on fait dans ce débat là se fait presque toujours autour de l'utilisation abusive ou de dépendance. On ne parle jamais de consommation récréative. Est-ce un aspect qu'on néglige?
Oui. La population est prête à des services d'injections supervisées parce que ce sont des personnes malades, mais elle n'est pas prête à consentir des services aux consommateurs récréatifs, parce que, eux, ils ont juste à ne pas consommer. Tout le monde a accepté l’idée reçue que tu es soit abstinent des drogues ou un toxicomane.

On le voit dans le débat autour de la Société québécoise du cannabis, avec des gens qui disent qu'il faudra absolument que les vendeurs de cannabis dans les SQC soient formés pour détecter la consommation problématique, et qu'ils fassent de la référence en traitement. Alors que si je vais à la SAQ Dépôt et que je m'achète pour 1000 $ de vin, il n'y a personne qui m'achale sur ce que je fais avec tout ça.

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Un proche conseiller de Richard Nixon a été cité dans Harper’s il y a quelques années par rapport aux considérations politiques qui ont mené au déclenchement de la Guerre aux drogues. « L’administration Nixon avait deux ennemis : la gauche antiguerre et les Noirs, disait John Ehrlichman. On savait qu’on ne pouvait pas interdire d’être contre la guerre ou d’être noir, mais en incitant le public à associer les hippies au cannabis et les Noirs à l’héroïne, et en criminalisant les deux, on pouvait venir perturber ces communautés-là. »
Exactement. C'est tellement ça.

Crois-tu que la position prohibitionniste est entièrement politique?
Ç’a toujours été le cas. À chaque fois qu'il y a eu des politiques en matière de drogues - ou presque - il y avait des motifs culturels, économiques et politiques, souvent même raciste. La première politique prohibitionniste au Canada, c'est la Opium Act de 1908 . Il y avait à l’époque une immigration de masse asiatique dans l'Ouest canadien, qui avait importé avec elle ses pratiques de fumerie d'opium. Ça ne posait pas problème jusqu'à ce que vienne aux oreilles du premier ministre Mackenzie King que les femmes canadiennes y allaient le jour, pendant que les hommes travaillaient, pour fumer de l'opium dans les fumeries. Et là, wouah minute. On ne va pas se faire voler nos femmes! On va interdire ça!

La prohibition a toujours été utilisée à des fins politiques. Beaucoup plus que pour la santé publique ou sur la base de connaissances de pharmacologie ou de science.

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Plusieurs sondages indiquent que la consommation de drogues illicites - c’est-à-dire non pharmaceutiques - chez les jeunes est en déclin.
C'est vrai dans la population générale, mais peut-être pas dans certaines sous-cultures. C'est cyclique, mais oui, c'est vrai qu'on a documenté ça dans la dernière décennie.

Est-ce que le combat pour la légalisation est désuet?
Les facteurs que les gens consomment et que les gens ont des problèmes sont loin d'être partis. Le problème fondamental de la drogue, ce n'est pas la drogue, mais la pauvreté, les inégalités sociales, la détresse psychologique, les abus sexuels et physiques — les conditions de vie de marde.

On est de plus en plus dans une société où il faut consommer pour se lever, pour se coucher, pour faire le party. Ça, c'est propice à des problèmes. Et en même temps qu'il y a eu une baisse chez les jeunes, il y a eu une augmentation chez les adultes dans les dernières années.

Quand on parle de libéralisation, on cite souvent l'exemple du Portugal. En 2001, lorsque le Portugal a décriminalisé la possession de drogues, on comparaissait certains quartiers de Lisbonne à un supermarché de la drogue. En quoi est-ce que la situation du Portugal se compare au Canada? Nous ne semblons pas être au même niveau de déchéance.
Le Portugal sortait d'une période totalitaire et iI y a eu, parallèlement à la décriminalisation, une reconstruction et un investissement massif dans tout ce qui est services de santé et services sociaux. Ça participe à la réussite du modèle portugais.

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Sinon, au niveau de la problématique, on n'est pas Lisbonne, sauf que le Downtown Eastside à Vancouver, c'est semblable.

Vous avez fait campagne pour la légalisation des tests pour vérifier la composition des drogues de rue. Serait-ce une bonne solution de rechange à la légalisation?
Pas de rechange, non, mais temporairement, oui.

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Est-ce qu'il y a du progrès dans ce dossier-là? Ça ne parait pas être complexe de légaliser ce genre de test.
Ce n'est pas si simple que ça. Il y a plusieurs tests qui existent avec beaucoup de limites. Et des fois, c'est complexe à utiliser, mais ça aussi, ça s’améliore. Il y a aussi toutes sortes de considérations logistiques. Qui fait les tests? Comment utiliser les résultats? Comment les diffuser? Ça se fait, mais ce n'est pas du jour au lendemain.

Avec des collègues, on est en train de faire une étude de faisabilité pour ces choses-là. Pour ce qui est de l'exemption légale, je ne suis pas juriste, mais le gouvernement libéral a relaxé les règles par rapport à ça. Aujourd'hui, quelqu'un qui est dans un site d'injection supervisée peut faire le test. Le gouvernement a annoncé que les exemptions dont bénéficient les sites d'injection supervisée s'appliquent aussi au drug checking. Il y en a qui le pensent en ce moment, ne serait-ce qu'utiliser les bandelettes de fentanyl, qui ne sont pas nécessairement super fiable, mais c'est mieux que rien.