Couple, guide, cuffing
Illustration : Vincent Vallon
Life

Ces anglicismes qui montrent que vous êtes foutus pour la vie en couple

Ghosting, cuffing, breadcrumbing... Toutes ces expressions apparues depuis plusieurs années ne mènent qu'à un seul constat : en couple, nous sommes tous devenus des petites merdes.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Selon la règle en vigueur, la saison du cuffing se déroule de novembre à mars. Une fois passé ce délai, libre à chacun de vaquer à ses occupations.

Pour ceux qui n’auraient absolument aucune idée de ce que je raconte, le concept de « cuffing » consiste à se trouver un partenaire pour l’hiver, s’y attacher (d’où le nom de « cuffs », « menottes » en français), afin de s’offrir de savoureuses parties de jambes en l’air devant un chocolat chaud d'antan et un épisode de votre série Netflix merdique préférée. Parce qu’il fait trop froid dehors – et bien meilleur à l’intérieur – et que vous êtes visiblement de trop gros bébés émotionnels pour pouvoir affronter comme des adultes la dépression saisonnière.

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Si le cas du cuffing est particulier, et que certains esprits dotés d’une honnêteté intellectuelle élastique l’ont raccroché à une vague histoire d’évolution de l’espèce humaine, il est intéressant de noter que d’autres anglicismes ont pullulé ces deux-trois dernières années pour décrire l’habitus de ces chers millennials en matière de relations amoureuses. Et si les breadcrumbing, paperclipping, stashing, benching et autres cushioning s’attirent particulièrement les faveurs des magazines féminins, illustrant au passage que ces derniers ont visiblement que ça à foutre de leurs journées et que tout ça ne veut probablement rien dire, le dénominateur commun n’est tout de même pas innocent, et mérite qu’on s’y attarde un peu.

Aussi variés qu’ils puissent être, ces termes désignent quasiment tous des comportements de fils de pute, à mi-chemin entre la bonne vieille perversion narcissique des familles et tout le champ lexical qui recouvre le chantage affectif. Et si on ne va pas se laisser aller à un facile (mais tentant) « c’est la faute à Tinder », ou dénoncer mollement un certain individualisme contemporain des réseaux sociaux, il y a quand même matière à réfléchir.

On a donc décidé d’y voir plus clair, en recensant les pratiques, les saisons, les moments du couple qui font qu’on en vienne à se comporter comme une raclure envers l’être aimé, mais également faire quelques prévisions pour l’année qui vient, afin de savoir si notre civilisation amorce bel et bien sa phase terminale.

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La conquête

Il y a en tout cas plusieurs étapes. La première, pendant laquelle vous êtes en repérages et vous avez la dalle comme jamais, est en général la plus humiliante pour tout le monde. Vous pourrez ainsi opter pour une tactique de « catch and release », qui consiste à foncer tête baissé à coup de textos à foison, petites attentions, afin d’attraper sa proie (« catch »), puis de la relâcher aussitôt (« release »). Pour les amateurs de frissons instantanés.

Dans un autre genre, vous pouvez vous rabattre sur le classique mais efficace « catfishing », qui consiste à se faire passer pour quelqu'un d’autre sur Internet. Sa variante, le « kittenfishing », est autrement plus kinky, et consiste à se faire passer pour un petit chaton, totalement woke, qui dit ce qu’il faut quand il le faut, alors qu’au fond de lui il n’a juste envie que de vous mettre dans son lit. La pratique du « chalaming », quant à elle, est exactement la même que celle du kittenfishing, sauf que vous êtes Timothée Chalamet.

Nos prévisions pour 2020 :

Blind Bowling : Balancer des boules au hasard dans le tas et espérer faire tomber un maximum de quilles.

Wwoofing : Vous proposez de l'aider à s'installer dans son nouvel appartement. Petit à petit, vous vous montrez indispensable, afin qu'il/elle ne veuille plus vous laisser partir. À l'instar du wwoofing, qui offre le gîte et le couvert contre services rendus, la pratique du wwoofing appliquée au couple vous offre un accès prioritaire aux parties génitales. À ne pas confondre avec le travail du sexing, même si la nuance est mince.

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Dependencing : Vous jetez votre dévolu sur une personne vulnérable, qui sort d’une ou de deux relations compliquées et toxiques. L’idée est d’abord de lui donner de petites marques d’affection, puis d’augmenter la dose. Si tout se passe bien, vous obtiendrez une dépendance affective maximale.

Yann Moixing : Faire croire que vos parents vous ont fait manger votre caca durant votre enfance pour attirer la sympathie de partenaires naturellement portés sur le chagrin et la pitié.

L'accouplement

Vous avez passé la première épreuve avec brio, et avez trouvé une personne avec qui vous emboîter. Mais vous n’avez pas prévu deux données impondérables (ou peut-être que si, vous êtes tellement névrosé). Vous êtes alors traversé par des vents contraires : soit vous vous rendez compte que vous êtes en train de commettre une erreur monumentale, et vous faites tout pour fuir – mais vous ne le direz jamais comme ça. Soit, de l’autre côté du spectre, vous ressentez un besoin impérieux d’être sauvé – ou bien pire encore, de sauver quelqu’un. Dans les deux cas, vous userez d’un savant mélange de passivité-agressivité et de culpabilisation. À l’image du stashing, méthode plus ou moins consciente qui consiste à ne pas lui présenter vos/parents/potes/cercle proche, parce que vous avez honte de lui/elle, ou tout simplement de vous-même.

Il y a un troisième cas de figure. L’intimité vous paralyse, vous ne savez pas quoi faire de vos membres et de vos sentiments contrariés. Vous êtes tellement mal à l’aise avec l’idée de vulnérabilité (dans un sens comme dans l’autre) que vous allez tenter, sans même vous en rendre compte, d’annihiler la personne en face.

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C’est pour cela qu’il faudra bien différencier les différentes tendances sentimentales de l’année 2020.

  • Vous planifiez tout.

Coworking : Vous parlez à votre partenaire comme à un collègue de bureau, et gérez votre relation comme une entreprise.

Coshlagging : Vous n’avez tellement plus envie de plaire que vous devenez une belle paire de shlagos sans même vous en être rendus compte. Vous ne sortez plus, ne vous lavez plus, et en plus vous fusionnez ensemble, jusqu’à ressembler à une seule et même serpillère informe qui pue le moisi et la haine de soi.

Cokecooning : Vous ne vous voyez que pour prendre de la cocaïne ensemble. Dérivé du Netflix & Chill, mais version drogue. Également appelé Netfix & Pills.

Cracking : Pareil que le cokecooning, mais vous habitez à la Colline.

Podcasting : quand votre vie amoureuse est tellement chiante et prévisible qu’elle pourrait très bien être découpée en 6 épisodes de 30 minutes sur slate.fr

2. Vous foutez tout en l’air sans le faire exprès.

Waterboarding : Vous noyez votre partenaire d’anecdotes douloureuses sur votre enfance, jusqu’à ce que, pris d’une ultime suffocation, il/elle finisse de lui/elle-même par se barrer de cette relation infernale car il/elle n’est pas votre mère/père/psychanalyste/tonton abusif.

Collapsologing : Vous vous précipitez dans une relation tellement toxique que vous savez déjà à l’avance que tout va s’effondrer autour de vous.

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Toxicologing : Pareil que le collapsologing, à la différence qu’aucun d’entre vous n’est à jour dans ses tests toxicologiques.

La rupture

C’est à peu près la même dynamique hystérique. C’est tout ou rien, vous êtes absolument allergique au compromis. Soit vous vous défilez comme un vulgaire ministre régalien pris en flagrant délit d’abus de biens sociaux, soit vous vous parez de vos plus beaux habits de sociopathe avéré pour y aller à fond, jusqu’à ce que mort s’en suive. Le kärcher est votre meilleur ami, Nicolas Sarkozy votre animal totem. Pour cela, rien ne vaut le slow fading, technique qui consiste à disparaitre progressivement, ou encore le ghosting, simple et efficace, où vous coupez les ponts de manière radicale et définitive.

Encore une fois, il faudra bien les séparer pour l’année à venir, afin de savoir à quoi on a affaire.

  • Vous n’assumez pas.

Planking : Vous faites la planche, c’est-à-dire que vous êtes absolument immobile et passif en attendant que la relation s’étiole d’elle-même. Le planking est au couple ce que l’étoile de mer est au cul.

Sleepwalking : Vous êtes là mais en même temps pas vraiment là, vous êtes incapables de prendre une décision et vous marchez dans votre relation comme un zombie. À ne pas confondre avec le zombie-ing – voir plus bas.

Helping : Vous êtes un bon samaritain. C’est vous qui provoquez la séparation, parce que l’autre n’ose pas. Ou en tout cas c’est ce que vous lui faites croire. Voir Infusing.

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Juan-Branking : Vous déroulez votre petit numéro d’intellectuel forceur complotiste, qui consiste à accuser les grandes puissances financières d’être à l’origine de l’effondrement de votre paradigme couple.

2. Vous êtes sans pitié.

Barebacking : Vous n’utilisez pas de moyen de contraception en disant que « ça va », uniquement dans le but de lui refiler une IST ensuite pour qu’il/elle vous dégage.

OK Booming : À coups de petites piques bien senties et savamment disposées, lui faire comprendre que la différence d’âge commence sérieusement à être un problème. Et qu’il/elle finisse par se sentir vieux et indésirable.

Djihading : Vous le/la larguez via Telegram.

Le gardage sous le coude

Là, c’est vraiment le plus fun. Normalement, à ce stade, vous maîtrisez l’art de la communication paradoxale, technique prisée des psychanalystes et des pervers narcissiques, et avez suffisamment amoché votre moitié pour être en mesure d’en faire ce que vous voulez – et tant pis si vous êtes séparés. Selon votre degré de conscience sociopathe et/ou de prédisposition à la fuite, vous agirez de manière soit volontaire, soit en ayant l’air de ne pas y toucher - les deux ne sont pas incompatibles cela dit. Ainsi, le breadcrumbing, qui consiste à disséminer de petites miettes émotionnelles (comme on jette des bouts de pain aux pigeons au parc) une fois la relation terminée, n’aura plus de secret pour vous. C’est encore mieux si vous ne vous en rendez même pas compte.

Trop petits pour pécho

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La pratique du paperclipping, fait quant à elle référence à Clippy, ce sympathique trombone qui pouvait sortir de nulle part et à n’importe quel moment sur Microsoft Word, pour vous demander si ça allait/vous aviez besoin de lui/d’aide/de quelque chose, alors que vous pensiez que c’était entendu et que tout ce que vous souhaitiez, c’est qu’il dégage pour de bon. Enfin, le cushioning, de l’anglais « rembourrage », consistera à prévoir toujours quelques plans de côté au cas où votre plan principal tombe à l’eau – vous quitte. Ce n’est pas tant lui/elle que vous garderez sous le coude, mais plutôt toutes les inaptitudes à la vie en couple, au compromis et au partage qui s’offriront à vous. Ce qui fait de vous un énorme bébé, barbotant pour l’éternité dans le pédiluve de la maturité affective.

Là encore, pour l’année prochaine, il faudra bien distinguer les deux tendances en vigueur.

  • Vous êtes lâche et n’avez aucun amour propre.

Blanketing : Vous ne l’aimez plus vraiment mais vous avez quand même besoin d’un putain de doudou pour dormir.

Meetthefocking : garder le contact avec la belle-famille même après la séparation pour ne pas disparaître totalement.

Copy-Pasting : sortir avec une parfaite photocopie de votre ex pour lui « envoyer un message ».

2. Vous êtes potentiellement un tueur en série.

Microdosing : Témoigner à nouveau de marques d’affection, mais à toutes petites doses. Ne jamais augmenter la dose, sinon vous vous retrouvez dans un cas classique de dependencing. Peut faire croire de prime abord que vous gardez une saine distance, alors que vous êtes dans un cas de breadcrumbing chirurgical.

Infusing : Vous déposez dans un coin de sa tête une idée malveillante (par exemple « c’est préférable qu’on prenne de la distance pour réfléchir à ce qu’on fait »), et attendez que celle-ci fasse son petit bonhomme de chemin. Une fois qu’elle a bien pris corps, faites-lui croire que l’idée ne vient pas de vous mais de lui/elle-même. L’inception des pervers narcissiques.

Fracking : Vous lui injectez du venin pour micro-fissurer sa carapace émotionnelle. En gros, vous appuyez là où ça fait mal, pour voir jusqu’où vous pouvez aller et déterminer vos leviers.

Fooding : Une fois qu’il/elle sort lui/elle-même d’une rupture, revenez à la charge. Pas seulement pour lui montrer que vous êtes irréprochable, et donc supérieur.e à son/sa partenaire sortant.e, mais pour le/la gaver petit à petit de signaux contradictoires. Par exemple, nourrissez-le/la de bons petits plats et/ou de junk food, faites-lui des remarques sur sa prise de poids tout en lui disant qu’il/est magnifique comme ça. C’est le roller-coaster émotionnel, et c’est vous qui êtes aux manettes.

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