Amanite champignons poisons
Image : H. Krisp/Wikimedia Commons
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Ce que ça fait de s'empoisonner avec des champignons (spoiler : mal au ventre)

Des gens nous ont parlé de leurs mésaventures avec des amanites tue-mouches ou des bolets de Satan. Ils ont tous passé un mauvais moment.

C'est la saison des champignons. Certains sont superbes et d’autres répugnants, celui-ci fait rêver les chefs et celui-là vous tue. Sur la centaine de milliers d’espèces de Fungi connues, cent nous sont mortelles et quelques dizaines seulement sont recherchées pour leur goût. Entre ces deux extrêmes vivotent des espèces non-mortelles mais non-délicieuses pour autant. Chaque année, ces créatures envoient des centaines de Français à l’hôpital. VICE est allé trouver quatre de leurs victimes, intoxiquées volontairement ou involontairement, et a présenté leurs témoignages à des médecins.

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Gilbert, 37 ans

« C’était au début des années 2000, j’avais une vingtaine d’années. Avec quelques amis, on faisait des petites expériences avec les champignons. Un jour, on a décidé de tester autre chose que nos habituels champignons mexicains. Il y avait des sites qui permettaient de commander les produits aux Pays-Bas, je ne sais pas si ça existe encore [réponse : oui, ndlr]. On s’est intéressé à un truc dont seul le nom scientifique était mentionné, mais comme on connaissait bien le site, on n’a pas trop fait attention. Et puis ça décrivait des effets cool.

Au goût, c’était dégueu comme des champis ! Niveau effet, vraiment très peu euphorisant, contrairement aux champis mexicains ou aux psylos avec lesquels tu rigoles bien. Là c'était vraiment posé, pas visuel, et pour tout dire pas très agréable et vite fini. On était quatre ou cinq, on n’a pas forcé la dose, on a tous trouvé ça décevant… Et on a tous eu un peu mal au bide après. Je me souviens qu’on a maté des anime pour passer le temps parce que l’expérience n’était pas folichonne.

En recherchant le nom latin de ces champignons, plus tard, on a découvert que c’était des amanites tue-mouches. À l’époque ça se vendait sec, donc ça n’avait pas du tout la même gueule que dans la nature. C’est fou, ils étaient vendus à côté de champignons rigolos. Par la suite, ça ne nous a pas empêché de continuer à faire nos expériences euphorisantes. »

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« Un autre patient s’est coupé la verge parce qu’il l’avait vue se transformer en ver de terre. Ce genre de geste auto-agressif peut provoquer des décès » – Magali Labadie, chef de service du centre anti-poison de Nouvelle-Aquitaine

L’avis médical : Magali Labadie, chef de service du centre anti-poison de Nouvelle-Aquitaine, est familière des intoxications aux amanites tue-mouches. Le champignon est recherché pour ses propriétés hallucinogènes depuis des siècles, notamment chez les mystiques d’Europe du Nord. La toxicologue explique : « On l’utilise dans les rites chamaniques mais en petites quantités, pour avoir un délire sympathique et parler aux esprits. » Ou pour s'amuser entre amis, comme Gilbert et sa bande.

En quantité importante, l’amanite tue-mouches déclenche des hallucinations. « Ça donne des tableaux de délire bien constitués, les gens vivent un film, rapporte Magali Labadie. Un jour, un homme est arrivé aux urgences avec un mal de ventre en nous disant qu’il avait mangé des oronges. On l’a gardé en observation parce qu’on le suspectait d’avoir avalé autre chose. » Bien vu, le malheureux avait confondu oronges et amanites tue-mouches. « Deux heures plus tard, il poursuivait Lucky Luke à califourchon sur son lit. Un autre patient s’est coupé la verge parce qu’il l’avait vue se transformer en ver de terre. Ce genre de geste auto-agressif peut provoquer des décès. »

En clair, confirme Magali Labadie, Gilbert et ses amis ont bien fait de ne pas forcer sur les doses : « Avec une bonne poêlée d’amanites tue-mouches, l’effet aurait été assuré. La toxicologie est affaire de quantité : un comprimé de Paracétamol soigne votre mal de tête, deux boîtes vous tuent. C’est vrai pour les champignons aussi : plus vous en mangez, plus vous êtes malade. »

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À gauche, un rosé des prés, comestible. À droite, des agarics jaunissants, toxiques. Images : Wikimedia Commons

Brice, 27 ans

« Le frangin qui, au sein des services de protection des espaces naturels de La Rochelle, a ramassé des champignons dans une réserve. Objectif : une poêlée de rosés des prés avec du persil et une belle basse-côte de boeuf. Le programme était parfait, et à vrai dire, le repas était assez délicieux.

On mange à cinq, tout le monde est content, puis petite balade digestive en bord de mer. Bon, au début, tout se passe bien mais au bout de quatre heures de digestion, je commence à me sentir vraiment très barbouillé. Je mets ça sur le dos du mélange bière/vin et je décide d'aller siester pour que ça passe. Sauf que ce n'est pas le cas : grosses nausées, maux de tête et raideurs dans la nuque se font ressentir jusqu'au moment fatidique du vomi.

La recommandation familiale étant de boire du Coca, je m’exécute sans broncher. La bonne humeur revient, les nausées disparaissent. Mais les maux de tête reviennent et une fatigue intense se fait sentir. Retour à Bordeaux où après avoir dormi durant tout le trajet, je me sens mieux, soit neuf heures après ingestion. Il a fallu attendre le lendemain matin pour un retour à la normale complet.

« Un tube digestif sensible peut tout à fait souffrir au contact d’un champignon respectable. Diarrhée, vomissements, on parle alors de troubles digestifs non spécifiques »

Sur cinq personnes présentes au repas, deux vomis, et les trois autres pas spécialement bien dans leurs pompes après ce petit repas. Je sais pas quel champignon a été mangé, mais c’était une sensation hautement désagréable. Ma mère a insisté pour aller au centre de toxicologie ou au moins à l’hôpital, mais la perspective d'un beau lavement et le retour progressif de ma bonne santé physique m'ont vraiment coupé l'envie d'aller plus loin dans mes recherches. Apparemment, c'est un champignon souvent confondu. »

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L’avis médical : Faute de consultation au moment des faits, nous ne saurons jamais pourquoi Brice et ses proches sont tombés malades après leur repas. Le frangin incriminé a peut-être confondu rosés des prés et agarics jaunissants, dont les toxines provoquent vomissements et troubles gastriques. À moins qu’il n’ait vraiment ramassé des rosés des prés, une espèce parfaitement comestible, et que le problème ne vienne d’ailleurs.

Bruno Mégarbane, chef du service de réanimation médicale et toxicologique à l’hôpital Lariboisière, rappelle : « Tous les champignons qui rendent malades ne contiennent pas nécessairement de toxines. » Ainsi, un tube digestif sensible peut tout à fait souffrir au contact d’un champignon respectable. Diarrhée, vomissements, on parle alors de troubles digestifs non-spécifiques. Le docteur Mégarbane tranche : « Généralement, ce n’est pas grave et les patients peuvent rentrer chez eux. »

Un champignon comestible peut aussi devenir dangereux s’il est mal conservé ou cuisiné. « S’il traîne sur une table pendant deux jours, un champignon peut tout à fait être contaminé par des bactéries qui vont vous rendre malade, indique Magali Labadie. De plus, certains champignons ne sont comestibles qu’une fois cuits. » C’est le cas de l'amanite rougissante, mais pas du rosé des prés.

Autre possibilité moins probable : comme les champignons n’ont pas leur pareil pour « attraper » les polluants, le repas de Brice a pu être contaminé par un pesticide, un métal lourd ou des gaz d’échappement. « C’est pour ça qu’on dit qu’il ne faut pas les ramasser au bord des routes ou dans les champs », explique le docteur Labadie.

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Des amanites phalloïdes, le plus célèbre champignon mortel de nos contrées. Sa toxine détruit le foie. Image : Wikimedia Commons

Lucile, 42 ans

« C’était il y a très longtemps. Je devais avoir six ou sept ans et on s’était fait un après-midi en forêt à Maintenon avec mes parents et un ami à eux. Je ramasse plein de mauvais champignons type amanite tue-mouches pour les montrer à l’école le lendemain – grosse fayote que j’étais – mais le soir, à la maison, je commence à trouver que mes parents ont des têtes chelou et parlent bizarrement. Puis je mange ma soupe aux champignons et je la gerbe direct. Je me sens super mal et je trouve mes parents de plus en plus bizarres et flippants… Après, je suis allée me coucher et j’ai fait les rêves les plus oufs de ma vie, je les les voyais sur mes murs. Le lendemain je suis allée à l’école et j’ai vomi à la piscine.

Avec le recul, on a compris ce qui c’était passé : quand j’étais petite, je suçais mon pouce. Après avoir ramassé une tonne de champignons vénéneux, forcément, ça m’est un peu monté au cerveau quand j’ai sucé mon pouce. J’ai donc eu de grosses hallus à cause des tue-mouches à six ou sept ans… »

L’avis médical : Félicien Corbat, biologiste et co-administrateur de champis.net, est formel : par nos contrées, on ne peut pas s’empoisonner en touchant un champignon. « Le seul champignon que je connaisse qui soit toxique par contact est Podostroma cornu-damae, un champignon japonais. J'ai déjà touché, goûté puis recraché des champignons mortels sans le moindre souci. » Magali Labadie acquiesce : « Pour avoir un tableau d’intoxication, il faut en manger. »

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Seulement, Lucile a porté ses doigts à sa bouche après avoir touché les amanites tue-mouches. Pour Bruno Mégarbane, la petite fille a pu s’intoxiquer de cette façon : « Les toxines ne traversent pas la peau. Par contre, elle peut avoir contaminé son pouce et absorbé les toxines de cette façon. Heureusement pour elle, il faut vraiment manger le champignon pour s’intoxiquer gravement. »

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À gauche, un bolet à pied rouge, comestible. À droite, un bolet de satan, toxique. Images : Wikimedia Commons

Félix, 29 ans

« C’était il y a trois ans, avec mes grands-parents. On avait ramassé des beaux bolets et quelques pieds de mouton. Après notre repas, j’ai été malade très, très violemment. Après avoir vomi normalement plus de vingt fois, même si je n’avais plus rien dans le ventre, je me suis mis à cracher du sang. J’avais déjà deviné que c’était les champignons.

Vers trois heures du matin, je suis allé voir mes grands-parents qui m’ont donné une tisane et un médicament, mais j’ai tout rendu. Même un demi-verre d’eau ne passait plus. Ils ont décidé de m’emmener à l’hôpital. Mon grand-père s’est trouvé malade à ce moment-là. Comme c’est une région rurale, on a mis une heure pour aller à l’hôpital le plus proche et là-bas, ma grand-mère a été malade aussi. Je m’étais fait un champignon de 250 grammes mais eux n’avaient pas beaucoup mangé, heureusement.

« Le bolet de Satan peut tuer un enfant ou des personnes âgées »

J’ai été traité avec je-ne-sais-quel produit pour me nettoyer les intestins en injection et une perfusion pour me réhydrater. Après une nuit et une matinée à moitié conscient à l’hôpital, j’ai été renvoyé chez moi. J’ai passé une journée à dormir puis c’est allé beaucoup mieux, j’ai pu remanger un petit peu.

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Ce n’était pas du tout comme une gastro ou une indigestion. C’est un sentiment d’empoisonnement bien particulier. C’est très fort, très diffus dans le corps. Tu sens le poison, tu sens qu’un truc ne va pas et tu mets du temps à t’en départir. J’ai un peu déliré pendant que j’étais malade, j’avais l’impression que mon sang était noir. J’ai eu du mal à manger et digérer pendant un mois, alors que normalement je mange pas mal. J’étais très fatigué, j’ai perdu huit ou neuf kilos. J’ai quand même remangé des champignons un mois après. Au bout de trois mois tout était revenu à la normale.

En fait, on a confondu deux champignons qui se ressemblent beaucoup : le bolet à pied rouge et le bolet de Satan. Dans l’idéal, dans un livre, la différence est claire, mais dans les faits c’est plus difficile, les champignons sont sales. Maintenant, je fais très attention. »

L’avis médical : La mésaventure de Félix cadre avec un empoisonnement au bolet de Satan, « un champignon particulièrement toxique qui peut tout à fait tuer un enfant ou une personne âgé » selon Magali Labadie. « C’est une chance que ses grands-parents n’en aient pas mangé. » Dès lors, pourquoi se sont-ils trouvés malades eux aussi ? « Peut-être qu’ils ont mangé des choses qui ont cuit dans le même jus que le bolet de Satan. Mais vous savez, quand on voit son petit-fils malade comme un chien, on peut paniquer. Comme toujours, quand votre voisin a des poux, c’est vous qui vous grattez. »

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Lorsqu'un malheureux a mangé un mauvais champignon et se présente rapidement à l'hôpital, les médecins peuvent lui donner du charbon activé dilué dans de l'eau, une substance qui « capture » les toxines dans l'appareil digestif. Dans le cas de Félix, cette boisson a dû être remplacée par une injection. La chef de service du centre anti-poison de Nouvelle-Aquitaine explique : « Les gens qui ont mangé du bolet de Satan ne peuvent rien avaler, ils ne font que vomir. » L’avantage, c’est que ces vomissement limitent l’absorption des toxines restantes dans l’estomac. Le problème, c’est qu’ils irritent l’estomac jusqu’au saignement – d’où les vomissures sanglantes de Félix.

La longue période de malaise consécutive à l’empoisonnement ne semble pas anormale non plus. « Ça arrive avec tous les champignons qui donnent des syndromes résinoïdiens », c’est-à-dire des troubles intestinaux violents, indique Magali Labadie. « Ça varie beaucoup d’individu en individu mais certains mettent des semaines à s’en remettre. On a mal au ventre, on est fatigué, on a peu d’appétit parce le corps doit reconstituer la muqueuse digestive qui a été endommagée par l’intoxication. »

Mollo sur les mycètes

Acheter vos champignons au marché est un bon moyen de vous épargner la diarrhée de votre vie. Si vous tenez absolument à cueillir votre repas au ras de l’humus, montrez votre récolte au pharmacien du coin. Bien que la connaissance des champignons semble se perdre dans la profession, ceux qui ont l’habitude des produits, notamment dans les zones rurales, sauront vous renseigner. Et dans le doute, pas de roulette russe : mieux vaut ne pas jouer votre muqueuse intestinale, voire votre vie, pour un repas automnal.

Magali Labadie souligne : « Une intoxication aux champignons n’est jamais anodine. En cas de trouble digestif, même mineur, il faut consulter ou au moins prendre l’avis d’un centre anti-poison. » L’amanite phalloïde, le champignon responsable de la plupart des intoxications mortelles, déclenche des symptômes gastriques légers tout en détruisant le foie. Plus on tarde à prévenir un médecin, plus les possibilités se réduisent pour le malade : la mort ou la transplantation hépatiques. Ne soyez pas imprudent ou têtu et vous devriez survivre, c’est valable pour les champignons et tout le reste.

Erratum du 28 octobre : Felix a été traité par injection d'un produit visant à lui « nettoyer les intestins » et non par ingestion dudit produit, comme nous l'avions écrit.

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