C'est la saison des champignons. Certains sont superbes et d’autres répugnants, celui-ci fait rêver les chefs et celui-là vous tue. Sur la centaine de milliers d’espèces de Fungi connues, cent nous sont mortelles et quelques dizaines seulement sont recherchées pour leur goût. Entre ces deux extrêmes vivotent des espèces non-mortelles mais non-délicieuses pour autant. Chaque année, ces créatures envoient des centaines de Français à l’hôpital. VICE est allé trouver quatre de leurs victimes, intoxiquées volontairement ou involontairement, et a présenté leurs témoignages à des médecins.
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Gilbert, 37 ans
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L’avis médical : Magali Labadie, chef de service du centre anti-poison de Nouvelle-Aquitaine, est familière des intoxications aux amanites tue-mouches. Le champignon est recherché pour ses propriétés hallucinogènes depuis des siècles, notamment chez les mystiques d’Europe du Nord. La toxicologue explique : « On l’utilise dans les rites chamaniques mais en petites quantités, pour avoir un délire sympathique et parler aux esprits. » Ou pour s'amuser entre amis, comme Gilbert et sa bande.En quantité importante, l’amanite tue-mouches déclenche des hallucinations. « Ça donne des tableaux de délire bien constitués, les gens vivent un film, rapporte Magali Labadie. Un jour, un homme est arrivé aux urgences avec un mal de ventre en nous disant qu’il avait mangé des oronges. On l’a gardé en observation parce qu’on le suspectait d’avoir avalé autre chose. » Bien vu, le malheureux avait confondu oronges et amanites tue-mouches. « Deux heures plus tard, il poursuivait Lucky Luke à califourchon sur son lit. Un autre patient s’est coupé la verge parce qu’il l’avait vue se transformer en ver de terre. Ce genre de geste auto-agressif peut provoquer des décès. »En clair, confirme Magali Labadie, Gilbert et ses amis ont bien fait de ne pas forcer sur les doses : « Avec une bonne poêlée d’amanites tue-mouches, l’effet aurait été assuré. La toxicologie est affaire de quantité : un comprimé de Paracétamol soigne votre mal de tête, deux boîtes vous tuent. C’est vrai pour les champignons aussi : plus vous en mangez, plus vous êtes malade. »« Un autre patient s’est coupé la verge parce qu’il l’avait vue se transformer en ver de terre. Ce genre de geste auto-agressif peut provoquer des décès » – Magali Labadie, chef de service du centre anti-poison de Nouvelle-Aquitaine
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Brice, 27 ans
Sur cinq personnes présentes au repas, deux vomis, et les trois autres pas spécialement bien dans leurs pompes après ce petit repas. Je sais pas quel champignon a été mangé, mais c’était une sensation hautement désagréable. Ma mère a insisté pour aller au centre de toxicologie ou au moins à l’hôpital, mais la perspective d'un beau lavement et le retour progressif de ma bonne santé physique m'ont vraiment coupé l'envie d'aller plus loin dans mes recherches. Apparemment, c'est un champignon souvent confondu. »« Un tube digestif sensible peut tout à fait souffrir au contact d’un champignon respectable. Diarrhée, vomissements, on parle alors de troubles digestifs non spécifiques »
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L’avis médical : Faute de consultation au moment des faits, nous ne saurons jamais pourquoi Brice et ses proches sont tombés malades après leur repas. Le frangin incriminé a peut-être confondu rosés des prés et agarics jaunissants, dont les toxines provoquent vomissements et troubles gastriques. À moins qu’il n’ait vraiment ramassé des rosés des prés, une espèce parfaitement comestible, et que le problème ne vienne d’ailleurs.Bruno Mégarbane, chef du service de réanimation médicale et toxicologique à l’hôpital Lariboisière, rappelle : « Tous les champignons qui rendent malades ne contiennent pas nécessairement de toxines. » Ainsi, un tube digestif sensible peut tout à fait souffrir au contact d’un champignon respectable. Diarrhée, vomissements, on parle alors de troubles digestifs non-spécifiques. Le docteur Mégarbane tranche : « Généralement, ce n’est pas grave et les patients peuvent rentrer chez eux. »Un champignon comestible peut aussi devenir dangereux s’il est mal conservé ou cuisiné. « S’il traîne sur une table pendant deux jours, un champignon peut tout à fait être contaminé par des bactéries qui vont vous rendre malade, indique Magali Labadie. De plus, certains champignons ne sont comestibles qu’une fois cuits. » C’est le cas de l'amanite rougissante, mais pas du rosé des prés.Autre possibilité moins probable : comme les champignons n’ont pas leur pareil pour « attraper » les polluants, le repas de Brice a pu être contaminé par un pesticide, un métal lourd ou des gaz d’échappement. « C’est pour ça qu’on dit qu’il ne faut pas les ramasser au bord des routes ou dans les champs », explique le docteur Labadie.
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Lucile, 42 ans
L’avis médical : Félicien Corbat, biologiste et co-administrateur de champis.net, est formel : par nos contrées, on ne peut pas s’empoisonner en touchant un champignon. « Le seul champignon que je connaisse qui soit toxique par contact est Podostroma cornu-damae, un champignon japonais. J'ai déjà touché, goûté puis recraché des champignons mortels sans le moindre souci. » Magali Labadie acquiesce : « Pour avoir un tableau d’intoxication, il faut en manger. »
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Seulement, Lucile a porté ses doigts à sa bouche après avoir touché les amanites tue-mouches. Pour Bruno Mégarbane, la petite fille a pu s’intoxiquer de cette façon : « Les toxines ne traversent pas la peau. Par contre, elle peut avoir contaminé son pouce et absorbé les toxines de cette façon. Heureusement pour elle, il faut vraiment manger le champignon pour s’intoxiquer gravement. »
Félix, 29 ans
J’ai été traité avec je-ne-sais-quel produit pour me nettoyer les intestins en injection et une perfusion pour me réhydrater. Après une nuit et une matinée à moitié conscient à l’hôpital, j’ai été renvoyé chez moi. J’ai passé une journée à dormir puis c’est allé beaucoup mieux, j’ai pu remanger un petit peu.« Le bolet de Satan peut tuer un enfant ou des personnes âgées »
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Ce n’était pas du tout comme une gastro ou une indigestion. C’est un sentiment d’empoisonnement bien particulier. C’est très fort, très diffus dans le corps. Tu sens le poison, tu sens qu’un truc ne va pas et tu mets du temps à t’en départir. J’ai un peu déliré pendant que j’étais malade, j’avais l’impression que mon sang était noir. J’ai eu du mal à manger et digérer pendant un mois, alors que normalement je mange pas mal. J’étais très fatigué, j’ai perdu huit ou neuf kilos. J’ai quand même remangé des champignons un mois après. Au bout de trois mois tout était revenu à la normale.En fait, on a confondu deux champignons qui se ressemblent beaucoup : le bolet à pied rouge et le bolet de Satan. Dans l’idéal, dans un livre, la différence est claire, mais dans les faits c’est plus difficile, les champignons sont sales. Maintenant, je fais très attention. »L’avis médical : La mésaventure de Félix cadre avec un empoisonnement au bolet de Satan, « un champignon particulièrement toxique qui peut tout à fait tuer un enfant ou une personne âgé » selon Magali Labadie. « C’est une chance que ses grands-parents n’en aient pas mangé. » Dès lors, pourquoi se sont-ils trouvés malades eux aussi ? « Peut-être qu’ils ont mangé des choses qui ont cuit dans le même jus que le bolet de Satan. Mais vous savez, quand on voit son petit-fils malade comme un chien, on peut paniquer. Comme toujours, quand votre voisin a des poux, c’est vous qui vous grattez. »
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Lorsqu'un malheureux a mangé un mauvais champignon et se présente rapidement à l'hôpital, les médecins peuvent lui donner du charbon activé dilué dans de l'eau, une substance qui « capture » les toxines dans l'appareil digestif. Dans le cas de Félix, cette boisson a dû être remplacée par une injection. La chef de service du centre anti-poison de Nouvelle-Aquitaine explique : « Les gens qui ont mangé du bolet de Satan ne peuvent rien avaler, ils ne font que vomir. » L’avantage, c’est que ces vomissement limitent l’absorption des toxines restantes dans l’estomac. Le problème, c’est qu’ils irritent l’estomac jusqu’au saignement – d’où les vomissures sanglantes de Félix.La longue période de malaise consécutive à l’empoisonnement ne semble pas anormale non plus. « Ça arrive avec tous les champignons qui donnent des syndromes résinoïdiens », c’est-à-dire des troubles intestinaux violents, indique Magali Labadie. « Ça varie beaucoup d’individu en individu mais certains mettent des semaines à s’en remettre. On a mal au ventre, on est fatigué, on a peu d’appétit parce le corps doit reconstituer la muqueuse digestive qui a été endommagée par l’intoxication. »Acheter vos champignons au marché est un bon moyen de vous épargner la diarrhée de votre vie. Si vous tenez absolument à cueillir votre repas au ras de l’humus, montrez votre récolte au pharmacien du coin. Bien que la connaissance des champignons semble se perdre dans la profession, ceux qui ont l’habitude des produits, notamment dans les zones rurales, sauront vous renseigner. Et dans le doute, pas de roulette russe : mieux vaut ne pas jouer votre muqueuse intestinale, voire votre vie, pour un repas automnal.
Mollo sur les mycètes
Magali Labadie souligne : « Une intoxication aux champignons n’est jamais anodine. En cas de trouble digestif, même mineur, il faut consulter ou au moins prendre l’avis d’un centre anti-poison. » L’amanite phalloïde, le champignon responsable de la plupart des intoxications mortelles, déclenche des symptômes gastriques légers tout en détruisant le foie. Plus on tarde à prévenir un médecin, plus les possibilités se réduisent pour le malade : la mort ou la transplantation hépatiques. Ne soyez pas imprudent ou têtu et vous devriez survivre, c’est valable pour les champignons et tout le reste.Erratum du 28 octobre : Felix a été traité par injection d'un produit visant à lui « nettoyer les intestins » et non par ingestion dudit produit, comme nous l'avions écrit.VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.