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Comment la Ritaline est devenue la « kiddy coke » des ados français

Après les kids anglais, les lycéens et étudiants tricolores se mettent eux aussi à détourner ce médicament contre le trouble de l’attention pour stimuler leur concentration avant les examens.
Illustration: Baptiste Virot

Impossible de s’en procurer. Depuis quelques semaines, la Ritaline est en rupture de stock. Commercialisé par le groupe pharmaceutique Novartis pour le traitement du Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), ce médicament pourrait bien être victime d’un tout autre succès. Les jeunes l’utilisent ainsi de plus en plus souvent pour son effet psychostimulant – surtout à l’approche des examens. Le phénomène est tellement répandu dans le monde anglo-saxon que le produit à un même un surnom : « kiddy coke », soit la cocaïne des enfants. En France, cet usage détourné commence aussi à se banaliser…

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La molécule active de la Ritaline, le méthylphénidate, est en effet proche de l’amphétamine. Présente dans certains médicaments – Concerta, Quasym, Médikinet –, elle ne peut être délivrée que sur prescription hospitalière. Pourtant, elle était consommée en 2015 par 1,5 % des carabins – ce qui en fait la deuxième pilule sous ordonnance la plus gobée. La même année, un lycéen sur six déclarait avoir pris au cours des 12 derniers mois un produit dans le cadre de la préparation d’un examen, selon une enquête de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT). Et la population concernée serait « de plus en plus jeune », comme le relevait déjà la Haute autorité de santé (HAS) en 2012.

« J’avais l’impression de réfléchir deux fois plus vite » – Arthur, 15 ans

Arthur, quinze ans, en fait partie. Cette année, il a voulu tenter le coup. Et pas dans un but récréatif. L’objectif de ce déjà (très) bon élève ? Booster sa scolarité. « Je savais qu’un ami en prenait depuis longtemps, alors je me suis renseigné sur Internet », raconte-t-il. Il en est sorti convaincu. Il faut dire que le méthylphénidate a la cote sur le forum américain Reddit, ou sur le 18-25 de Jeuxvideo.com. Son pote l’a laissé essayer. « Ça a bien fonctionné : je me suis senti beaucoup plus concentré que d’habitude en classe, j’avais l’impression de réfléchir deux fois plus vite… » Le jeune homme en a touché un mot à sa mère. « Après avoir lu des articles, elle a accepté que j’en prenne. » Plutôt que d’acheter en ligne sur des sites étrangers ou dans la rue à des dealers, il s’est fourni auprès de son copain, détenteur de la précieuse ordonnance. Durant trois mois, Arthur en a consommé quasi quotidiennement. Il dit avoir augmenté sa moyenne générale d’un point – passant à 15/20. Problème : « Au bout d’un moment, les effets ont disparu. J’avais des troubles du sommeil, je ne mangeais rien, je n’avais plus d’émotion à la fin de la journée… Ma mère m’a demandé d’arrêter. »

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C’est aussi pour les exam' que Faresse, 25 ans, y a eu recours à plusieurs moments de sa vie. La première fois à l’occasion du bac : « Mon père est pharmacien, il m’en avait mis une boîte de côté. » Sans même avoir testé avant, il en a pris le jour J. S’il n’a pas ressenti d’effet, il a retenté l’expérience deux ans après, lors de son passage de BTS. Content du résultat cette fois-ci, le Lyonnais pondère : « C’est juste pour rester concentré. » Il se souvient pourtant que, le jour du bac, il en avait donné à ses amis. Et que tout ne s’était pas passé comme prévu. « Vingt minutes après, l’un d’entre eux a fait une crise d’épilepsie. Il a découvert sa maladie ce jour-là ! Il a dû passer l’épreuve quelque temps après. »

« Je déteste ce médicament. Il m’a rendu timide, asocial » – Omar, 17 ans

Les effets secondaires du produit ont été répertoriés en 2012 dans un rapport de la HAS. En plus des troubles d’Arthur, on retrouve la « nervosité », l’« insomnie », l’« anorexie », les « vertiges », les « réactions cutanées »… Et des « incertitudes demeurent sur les effets à moyen et long terme, notamment en termes d’événements cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques ». Cela n’étonne pas Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et addictologie de l’hôpital Bichat-Claude Bernard, à Paris. Il condamne fermement tout usage détourné de la Ritaline : « Prendre un médicament quand on n’a pas de maladie, c’est une catastrophe. Tous ceux qui le font finissent soit épuisés, soit en échec scolaire. Bref : quand on en prend, on est toujours perdant. » Malgré tout, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) relève une hausse du nombre d’utilisateurs de 20 % entre 2012 et 2014. Le fameux méthylphénydate est d’ailleurs pris très au sérieux : une étude allemande parue en 2017 met en évidence des capacités cognitives augmentées, et la Fédération internationale d’échecs a interdit un psychostimulant proche, le modafinil.

Même quand ils connaissent les effets secondaires, certains n’hésitent pas à y retourner. Ainsi, Omar, 17 ans, a pris de la Ritaline tous les jours – hors vacances scolaires – entre ses 13 et ses 15 ans pour traiter un TDAH. « Je déteste ce médicament, assène-t-il de sa voix grave. Il me rendait très timide, asocial. J’avais aussi des insomnies violentes : il m’est arrivé de ne pas dormir plus de trois heures en quatre jours. » Mais cette année, Omar passait son bac. Au vu de ses « sales notes », il a poussé la porte d’un médecin pour s’en faire prescrire. Chaque matin, à 7 heures pile, il avalait une pilule en même temps que son petit-déjeuner. Une heure après, son cœur battait « à cent à l’heure ». Mais une différence : « Les cours sont beaucoup plus faciles avec. Je peux écouter le prof jusqu’au bout à 100 %, lire un texte pendant deux heures, m’enfermer dans ma chambre cinq heures pour réviser… » Son diplôme en poche, il va intégrer à la rentrée une fac de lettres et espère maintenant arrêter les médocs.

« Les médecins qui prescrivent de la Ritaline pour autre chose qu’un TDAH se rendent coupables de délit » – Michel Lejoyeux, psychiatre

Si Omar devrait arriver à s’en passer, « la Ritaline, tout comme les amphétamines, peut provoquer une addiction psychologique du fait de l’état d’euphorie et d’excitation produit », alerte Michel Lejoyeux. Logique, puisqu’on se sent plus fort avec. S’il tient à rappeler que, « d’un point de vue statistique, c’est une addiction anecdotique », cela ne l’empêche pas de conclure : « Les médecins qui la prescrivent pour autre chose qu’un TDAH, se rendent coupables de délit. C’est la même histoire que le Mediator, médicament contre le diabète vendu comme coupe-faim. » Comparable, vraiment ? « Je ne sais pas. Après tout, on ne savait pas non plus pour le Mediator. »