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militantisme

L'homme qui veut en finir avec l'ubérisation des coursiers à vélo

Président du CLAP, un collectif de livreurs de repas, Jean-Daniel Zamor est reçu ce mardi 24 juillet à l’Assemblée Nationale pour défendre les droits des travailleurs « ubérisés ».
Photos : Lucile Boiron  pour Vice FR

Jean-Daniel Zamor est en retard. Un comble pour un livreur à vélo. « Problème de RER », mâchonne le jeune homme de 23 ans en déposant à ses pieds son gros sac bleu à l’effigie de Stuart, la start-up de livraison de repas qui l’emploie. C’est justement en tant que coursier que le jeune homme doit se rendre ce mardi 24 juillet à l’Assemblée nationale. En espérant qu’il soit plus à l’heure.

Président du CLAP, le Collectif des Livreurs Autonomes Parisiens, Zamor, reçu avec la CGT, SUD et la CNT, espère la mise en place de « revenus minimums garantis pour tous les coursiers ». Ce qui est « plus ou moins le cas » chez Stuart – mais pas forcément ailleurs. Face à lui, le député Aurélien Taché (LREM), qui porte un amendement dans le projet de loi « avenir professionnel » jugé très favorable aux plateformes, car il écarte une requalification en salariés des travailleurs.

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C’est contre cet amendement, et plus généralement contre la dégradation de leurs conditions de travail, que Jean-Daniel Zamor et ses camarades avaient appelé à la grève des livreurs Deliveroo, UberEats, Stuart, Glovo et Foodora du 8 au 15 juillet – dernière semaine de Coupe du monde. Mais l’initiative a fait un flop : le dimanche 8 juillet, place de la République à Paris, seule une petite trentaine de livreurs ont manifesté avec lui. « Ça a foiré parce que les coursiers sont très souvent résignés. Ils en ont marre, mais ils ont l’impression d’être face à un géant contre qui ils ne peuvent pas gagner. Le second problème, c’est que beaucoup ont peur d’avoir des sanctions », analyse Zamor. Il assure : « Moi, on ne m’a pas encore viré parce que le CLAP a été trop médiatisé. »

« Pour les syndicats traditionnels, on est un peu des OVNI »

Avec une dizaine de membres actifs – des pro-SUD, pro-CGT ou antisyndicats – le collectif qu’il a cofondé en mars 2017 a réussi un tour de force : rassembler des travailleurs atomisés par le statut de microentrepreneur. Mais si la CGT le soutient, assure Jean-Daniel Zamor, le CLAP est tout de même à part sur l’échiquier syndical : « Pour les syndicats traditionnels, on est un peu des OVNI. Ils ne savent pas trop comment gérer la situation. Ils sont à des années-lumière de nos objectifs. »

De toute façon, la convergence des luttes ne l’intéresse pas plus que ça. Le jeune homme campe sur son pré carré : « Il faut obtenir un revenu minimum horaire supérieur au SMIC pour les coursiers, afin de pouvoir anticiper un accident de travail, qui n’est pas payé par la plateforme. » Il raconte ainsi l’histoire d’Aziz, un membre du CLAP, victime d’un accident en octobre 2017. « Il s’est fait perforer le ventre par son guidon. Il s’est retourné vers l’assurance mise en place par Deliveroo – il se trouve que ça n’était pas pris en charge. » Quant au passage d’un paiement à l’heure à « une tarification à la course masquée avec des faux minimums garantis », il est à ses yeux inacceptable : « Au début, on touchait 20-25 euros de l’heure, quoi qu’il arrive. Maintenant, si on fait deux courses, on peut toucher 12 euros de l’heure. Et ceux qui ne font pas de courses ne touchent rien. »

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Lui est rémunéré entre 160 et 200 euros hebdomadaires et travaille entre 18 et 22 heures 4 à 5 soirs par semaine. On comprend mieux son visage fatigué et sa fébrilité. Jean-Daniel court après le temps, mange ses mots et ne se pose même pas le temps d’un café. Après une journée d’intérim dans la préparation de commande dans un entrepôt près d’Émerainville, en Seine-et-Marne, où il vit chez ses parents, il enchaîne bientôt sur une soirée à pédaler.

Le sens du labeur, il l’a dans le sang, lui qui a grandi entre un père chef d’exploitation dans un entrepôt et une mère cantinière dans un lycée professionnel. Entre ses deux boulots et la présidence du CLAP, il trouve encore le temps d’être un étudiant anxieux pour ses partiels. Il vient ainsi d’achever une licence de droit à la fac parisienne d’Assas – tristement connue pour avoir vu naître l’organisation d’extrême-droite Groupe union défense (GUD). « Ce n’est pas tout à fait mon monde », commente-t-il poliment.

« Mon but, c’est simplement de rendre mon boulot vivable »

Son monde, quand il n’est pas plongé dans les livres de droit, est plutôt celui du sport. Ça se voit à ses biceps moulés dans son t-shirt noir et à la raison qui l’a conduit à prendre ce job de coursier : « Faire du vélo et connaître Paris. » Sérieusement ? Oui. Car Jean-Daniel Zamor se rappelle avoir longtemps jalousé son oncle, chauffeur de taxi dans la capitale, dont il connaissait la moindre ruelle par cœur.

Mais ce sera tout pour la séquence émotion. Zamor, avant-dernier d’une fratrie de quatre enfants, n’aime pas parler de lui. Il garde les yeux plongés vers son smartphone, nous laissant une vue imprenable sur son undercut de footballeur – seul détail tapageur, avec sa montre un chouia bling-bling, de ce gars modeste. Pour éloigner le sujet, il préfère reparler de son boulot que, mine de rien, il apprécie. « Mon but, c’est simplement d’essayer de le rendre vivable. »

D’autant qu’il a bien conscience des spécificités du métier. « En tant que juriste, j’ai rapidement vu que cette nouvelle zone grise risquait d’être un vrai problème pour le salariat. Je veux empêcher l’ubérisation d’être un salariat bas de gamme. » Plus qu’une coïncidence : il veut se spécialiser dans le droit du travail.

Bruno chasse les coursiers à vélo sur Twitter.