Dans le cerveau des survivalistes français
Photo : Franck Morin

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Dans le cerveau des survivalistes français

Avec les preppers qui prônent l’autonomie et le retour à la nature – et ceux qui en ont carrément fait un business.

« On n'a rien à voir avec les survivalistes américains qui se font construire des bunkers », clarifie un utilisateur anonyme qui se revendique preppers sur le forum France Survivalistes. Un autre décrit sa grand-mère comme un modèle à suivre. « Elle n'achetait rien de tout préparé, elle a tué et cuisiné des poules, des lapins et des cochons toute sa vie […] Maintenant, on achète du poulet pourri plastifié et les enfants n'imaginent même pas qu'un piaf puisse se manger ». Comme leur nom le suggère, les preppers se préparent aux crises du quotidien. Ils ne craignent pas une guerre apocalyptique ou l'arrivée imminente de zombies en quête de chair fraîche, et vous ne trouverez pas d'AK-47 accrochés au mur ou de masques à gaz chez eux. Cette communauté bien connue se regroupe sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook pour échanger des astuces ou se rencontrer. Les preppers se retrouvent sur des forums de survivalistes français regroupant des milliers de membres ou sur des groupes réservés à leur branche. De la Lorraine à la Guyane en passant par l'Essonne, de nombreux survivalistes français se réunissent selon leur lieu d'habitation. Si cette mouvance est née dans les années 1990 au Canada, elle s'est très rapidement exportée en France. À rebours de leurs homologues américains, les preppers français prônent le plus souvent l'autosuffisance et la vie en parfaite harmonie avec la nature. Dans cette branche du survivalisme, les gens cherchent simplement à vivre et s'adapter à chaque situation qui perturbe son quotidien. Ils espèrent être prêts en se reprochant de la nature et des méthodes de nos aïeux. Bertrand Vidal, sociologue de l'imaginaire, s'est spécialisé dans le survivalisme. « Il y a une forme de nostalgie fondée sur l'idée que c'était mieux avant », nous a-t-il expliqué. Les preppers français s'inspirent de différentes solutions – comme la décroissance ou la permaculture – pour faire face à une société consumériste qui ne pourrait rien pour eux en cas de crise.

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Julien lors d'un entraînement en forêt. Photo publiée avec son aimable autorisation

À Orléans, Julien, 43 ans, en a fait son mode de vie. Sa queue-de-cheval et son bouc lui donnent des faux airs de hippie. Animateur nature depuis 20 ans, son métier colle parfaitement à son image décontractée. Il fait découvrir les milieux naturels aux enfants, et souhaite même monter une petite entreprise « pour apprendre aux personnes à mieux se préparer en cas de crise. Ils apprennent à se débrouiller sans électricité, à vivre dans la forêt avec le minimum d'outils ». Depuis une dizaine d'années, Julien se considère comme un prepper. C'est au Québec qu'il a découvert cette philosophie. D'abord en passant par le survivalisme avec des stages de survie, il a ensuite bifurqué vers le Bushcraft – à savoir le réapprentissage d'une vie avec la nature. Julien préfère passer le plus de temps possible dans la nature, généralement en forêt, pour se familiariser avec ce genre d'environnement. « L'Homme moderne s'est séparé de la nature et est devenu tellement anthropocentrique qu'il a voulu modifier son environnement. Je cherche à redevenir autonome, ce qui m'empêche d'avoir peur même s'il y a une instabilité grandissante dans le monde » assure-t-il.

Pour se préparer à une éventuelle crise économique, Julien revoit sa manière de consommer. « J'ai quinze poules, deux canards, un potager et une réserve d'eau de pluie de 5 000 litres ». À terme, son rêve est d'avoir une maison parfaitement autonome, sans le moindre objet électronique. « Je ne veux pas être esclave de notre système et des technologies, et me retrouver désespéré si je perds mon portable », insiste-t-il. Il apprend à se passer de Google Maps, et autres applications qui visent à simplifier notre quotidien. Régulièrement, il passe des journées et des nuits en forêt pour mettre en pratique son apprentissage. Il chasse, allume son feu et se crée un abri pour dormir à l'aide de branches en bois ou de bâches en plastique. Comme Julien, Nicolas aimerait que son fils suive sa voie dans le milieu du survivalisme. Âgé de 31 ans, ce chef d'entreprise très méfiant oscille entre la capitale et ses entrepôts dans le sud de la France. Il ne croit pas en la fin du monde – ou du moins « si ça arrive, on ne pourra pas l'éviter », selon ses termes. Nicolas aime se parer à toutes les difficultés du quotidien. « Chez les preppers, il faut savoir anticiper le lendemain. Lorsque j'ai vécu un divorce, ça m'a aidé à remonter la pente ». Prepper depuis dix ans, l'élément déclencheur a été la naissance de son fils. « Je ne veux pas dépendre de qui que ce soit pour nourrir mon enfant. » Il est devenu autonome en nourriture pour huit mois. Dans sa cave s'entassent des bocaux de toutes sortes : pâtes, riz, haricots, pois chiches et autres aliments à longue conservation. Grâce à son métier, il a accès aux ventes de produits en gros et à l'alimentation sous vide. Nicolas possède également une réserve d'eau pour un mois et un appareil pour filtrer les liquides, y compris l'urine. Très lucide, il tient à redorer l'image des survivalistes. « On est tous différents mais on se retrouve sur un point : le côté un peu angoissé ». Au quotidien, il s'entretient mentalement mais aussi physiquement. Depuis plusieurs années, Nicolas pratique le Krav Maga, un art martial d'autodéfense israélien. L'homme d'affaires craint le lendemain et veut s'y préparer. La crue centennale à Paris l'interpelle, et il sait déjà où il ira lorsqu'elle arrivera : dans une maison secrète, quelque part en province.

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Un prepper lors d'une séance d'entraînement. Photo : Franck Morin

Certains ont flairé le business autour de ce mode de vie. Le groupe Facebook Survivalisme en France compte par exemple près de 9 000 membres. Des potentiels lecteurs pour Laurent Berrafato, rédacteur en chef du magazine Survival ou « le guide de survie en milieu hostile ». Dans ses unes, on retrouve des titres plus ou moins inquiétants : « Maîtriser la nature » avec sa liste indispensable d'accessoires pour vivre dans la nature, « Protéger sa famille » et les attitudes à adopter face aux dangers nucléaire ou terroriste, ou encore « Êtes-vous prêts ? » qui comprend un guide pour commencer son stockage alimentaire. Au fil des pages, le lecteur apprend à trouver une source d'eau, à s'équiper ou à faire BAD (Base Autonome Durable). Face à une forte demande, ce trimestriel né en février 2016 s'est vite transformé en bimestriel. Aujourd'hui, le magazine est tiré à plus de 30 000 exemplaires, à 7,50 euros l'unité. « La majorité de nos lecteurs sont des personnes qui s'interrogent sur l'avenir et qui n'ont pas spécialement confiance dans les solutions que nous propose le système actuel. Le lecteur de Survival n'est pas un excité paranoïaque, mais quelqu'un de prévoyant qui a peur que l'État ne puisse pas le protéger en toutes circonstances », décrit Berrafato. À son grand étonnement, il reçoit beaucoup de courrier en provenance de ses lectrices. « Dans mes abonnés, j'ai 30 % de femmes », fait-il remarquer.

Du haut de ses 30 ans, Alexandra, assistante maternelle, se revendique prepper. Cette jeune mère s'exprime avec assurance. Avant même de connaître le survivalisme, elle faisait preuve d'une grande prévoyance : « Je faisais attention à mon argent, je me donnais des objectifs quotidiens. C'est mon conjoint qui m'a donné les termes. » C'est dans la ville du Mans, dans la Sarthe, qu'elle élève ses deux filles de cinq ans et six mois. « La grande a toujours un sifflet et de secours sur elle, elle a une cachette dans la maison en cas de danger, et je commence à lui apprendre à amener des objets de première nécessité. »

Dans son cagibi se trouve sa réserve de conserves, de compotes pour ses enfants et d'eau pour deux mois. Ce n'est pas suffisant pour Alexandra, qui aimerait investir dans une BAD. Terme très utilisé chez les survivalistes, le but est d'avoir un logement de sécurité avec des vivres où se réfugier en cas de crise. « On aimerait un chalet pour pouvoir planter des légumes et avoir une réserve d'eau et un groupe électrogène » affirme-t-elle en caressant sa chevelure blonde.

Loin de l'image des prédicateurs d'Apocalypse, les preppers représentent un survivaliste à la française soucieux de son avenir et à la recherche d'une autonomie perdue. Bertrand Vidal, sociologue de l'imaginaire et spécialiste du survivalisme, explique difficilement cet enthousiasme pour le mouvement dans l'hexagone. À l'ère des applications qui nous assistent au quotidien et de l'alimentation surgelée, les Français souhaitent peut-être renouer avec l'héritage rural qui a longtemps fait la fierté du pays.