Cour extérieure de la prison de Fresnes
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Les locaux fantômes de la prison de Fresnes

Fresnes est surpeuplée. Pourtant, 450m² de locaux neufs sont vides depuis dix ans au troisième étage de l’hôpital pénitentiaire.

À quelques mètres de la maison d’arrêt de Fresnes, l’Établissement public de santé nationale de Fresnes (EPSNF) connaît quelques difficultés. Les capacités de l’hôpital pénitentiaire sont limitées. L’établissement doit gérer une population vieillissante. La population carcérale française âgée de 50 à 69 ans a augmenté de 10% au cours de la dernière décennie. Lorsqu’ils sont libérés, certains n’ont nulle part où aller. L’administration pénitentiaire et le ministère de la Santé sous la cotutelle desquels se trouve l’EPSNF ne disposeraient pas de places pour les accueillir en attendant une solution.

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Cette situation interroge, d’autant plus qu’un vaste espace est disponible dans le bâtiment de l’EPSNF. Nous avons enquêté jusqu’à l’intérieur de la prison. Au troisième étage de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, 450 m² de locaux refaits à neuf en 2008 restent inoccupés et laissés en déshérence. D’après les informations que nous avons pu réunir, environ 3,5 millions d’euros auraient été dépensés dans ces locaux fantômes au cours des dix dernières années. Il s’agit du centre socio-médico judiciaire de sûreté (CSMJS) dont la situation juridique s’avère tellement floue qu’il demeure quasiment inutilisable.

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Le salon.

Le 9 novembre, nous nous présentons à l’improviste devant l’hôpital pénitentiaire de Fresnes en compagnie de Bernard Jomier, sénateur socialiste de Paris qui exerce son droit de visite des lieux de privation de liberté. Ironie de l’histoire, le parlementaire est chirurgien de formation et il a été interne dans l’établissement. « C’était de la médecine de brousse, se remémore-t-il alors que nous attendons devant la porte. J’ai vu des pathologies ici que je n’ai même pas vu dans les pays les plus pauvres en Afrique ». Le sénateur se souvient aussi qu’à cette période, les prisonniers d’Action Directe sont en pleine grève de la faim derrière ces murs et le corps médical s’interroge sur la manière d’y mettre un terme.

« Difficile d’en croire nos yeux lorsque nous pénétrons dans l’aile déserte, mais flambant neuve. Nous visitons les dix studios de 20 m² propres et tout équipés. »

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Après les présentations, nous patientons pendant les longues discussions tenues entre médecins dans un langage indéchiffrable à base d’acronymes et de termes scientifiques. Il faudra presque quatre heures de visite dans les locaux aux couleurs fades et aux peintures défraîchies de l’EPSNF pour atteindre enfin le troisième étage où se situe le centre de rétention.

Difficile d’en croire nos yeux lorsque nous pénétrons dans l’aile déserte, mais flambant neuve. Nous visitons les dix studios de 20 m² propres et tout équipés. On ne peut s’empêcher de penser qu’environ 200 mètres plus loin, des taulards malades croupissent à trois dans des pièces immondes de 9 m². L’aile rénovée comprend en outre une salle informatique, un bureau de consultation médicale, une infirmerie, une salle de sport, une buanderie, une cuisine collective, un salon de détente ainsi que trois pièces vides. Le mobilier est à peine déballé. Cet état de fait scandalise autant les matons que les médecins qui auraient bien besoin d’un tel espace. Impossible cependant d’en disposer selon l’administration. « Il y a une nécessité de ne pas laisser la situation telle quelle. C’est une mauvaise utilisation de l’argent public », constate le sénateur qui découvre la situation.

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La cuisine.

Le CSMJS a vu le jour sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le 25 février 2008, une loi prévoit la rétention de sûreté pour certains condamnés aux assises, principalement pour des crimes sexuels, et jugés trop dangereux pour être libérés. Cette mesure coercitive s’applique également à certains individus placés sous surveillance, qui ne respecteraient pas leurs obligations.

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« Le centre de Fresnes est le symbole d’une nouvelle justice : une justice qui protège, une justice qui sanctionne, une justice au service des Français », avait affirmé Rachida Dati le 6 novembre 2008 lors de l’inauguration du CSMJS. Depuis son ouverture, il y a dix ans, le centre a accueilli 9 personnes au cours de 13 placements dont la durée a rarement excédé trois mois – selon le directeur et confirmée par la chancellerie. Malgré les annonces tonitruantes de la ministre, il n’a donc quasiment jamais servi.

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Un bureau.

Nous avons cherché à savoir combien d'individus peuvent potentiellement faire l'objet d'une mesure de rétention de sûreté à la fin de leur peine. Cette mesure, qui concerne des criminels condamnés à 15 ans de prison, est non-rétroactive. La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice (DACG) a demandé aux parquets généraux de l’informer systématiquement des arrêts de cours d’assises ayant prévu un réexamen de la situation du condamné en vue d’une éventuelle rétention de sûreté. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008, seuls douze signalements de ce genre ont été effectués.

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A droite, les portes d'entréede chaque chambre.

Le gouvernement de l’époque n’a pas lésiné sur les dépenses pour annoncer l’ouverture du centre quelques mois à peine après la promulgation de la loi. Difficile alors de connaître la somme exacte qui a permis de mettre sur pied la structure. Rachida Dati évoque dans son discours d’inauguration un coût de 850 000 euros. Pourtant, deux semaines plus tard, le projet de loi finance pour 2009 donne le chiffre nettement supérieur de 970 000 euros. Le même document législatif prévoit de dépenser 1,3 millions d’euros pour l’aménagement de ce centre de rétention. D’après la chancellerie, que nous avons contactée, la mise en place du CSMJS a coûté au total 2,5 millions d’euros.

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Cette aile vide engendre par ailleurs des frais d’amortissement importants. D’après les chiffres que nous a transmis le ministère, chaque année, entre 90 000 et 100 000 euros sont gaspillés, soit près d’un million d’euros depuis l’ouverture. En 2019, le fonctionnement centre devrait coûter 91 362 euros. Un chiffre qui ne prend pas en compte le chauffage minimum des locaux compris dans la facture de l’EPSNF . Aujourd’hui, seul le ministère de la Justice prendrait en charge 50 % de cette somme selon le directeur avec qui nous avons pu discuter. Au ministère de la Santé, la Direction générale de l’offre de soins, que nous avons contactée, n’a pas répondu à nos questions. Dépassé, le personnel de l’hôpital dénonce ce qu’il considère comme « une véritable gabegie de l’État ».

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Au terme de notre enquête nous rappelons Bernard Jomier. « Ce que je constate c’est que le centre tel qu’il a été conçu ne répond pas à un besoin. Ça n’a aucune lisibilité. Donc, il faut revoir ce projet et la destination de ces locaux », nous dit-il. Le pouvoir exécutif doit rendre des comptes aux parlementaires et le sénateur a bien l’intention de pointer du doigt cette anomalie. Il a rédigé un courrier à Nicole Belloubet et Agnès Buzyn, les deux ministres de tutelle pour les interpeller sur cette situation. Il a d’ailleurs une idée de l’usage qui pourrait être fait de ces locaux : « On pourrait imaginer des solutions, notamment pour cette population vieillissante qui ne peut plus retourner en détention et qui n’a plus vraiment sa place dans l’hôpital. » Bonne idée.

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Il y a même un coin salle de sport.

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