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Drogue

Ma journée aux consultations sur l’encadrement du cannabis

Comme si vous y étiez.
Crédit photo : GoToVan/Flickr

C'est le matin au Palais des Congrès. Je m'installe au fond de la pièce avec mon laptop, les gens sont en retard et la salle baignée de lumière de néons est presque vide. Ça me donne l'impression d'être en classe pendant que la semaine d'initiations bat son plein, un beau sentiment de nostalgie qui commence bien la journée.

La salle se remplit un peu par la suite, mais pas tout à fait. De nombreuses tables sont désertes. On nous rassure: ce sera plein ce soir lorsque des citoyens se réuniront pour des tables rondes. Voilà mon anxiété apaisée.

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Ainsi commencent les consultations publiques sur le cannabis de Montréal, une initiative du gouvernement provincial qui vise à tâter le pouls des Québécois avant d'élaborer un projet de loi qui sera déposé cet automne. Les libéraux de Trudeau ont promis de légaliser le cannabis avant juillet 2018, c'est donc dire qu'il reste moins de 11 mois pour tout mettre en place et que le temps file pour tout le monde.

Si c'est au fédéral de réguler la production, pas mal tout ce qui encadre la consommation et la vente du produit relève des provinces. Et rien n'est encore décidé pour le Québec, d'après la ministre Charlebois.

« J'attends la fin des consultations », a-t-elle assuré aux journalistes agglutinés autour d'elle à l'extérieur de la salle. « On va condenser l'information, après on va prendre les décisions, en fonction du meilleur intérêt de la santé publique et de la sécurité publique. »

C'est donc en partie sur la base de ce qui a été entendu aujourd'hui (et demain) à Montréal, mais aussi à Rimouski, Québec, Saguenay, Trois-Rivières, Granby, et bientôt Gatineau, que le gouvernement compte trancher.

Et c'est le début d'un sacré casse-tête

En salle, on reçoit jeudi des intervenants du volet 'organisations'; il y en avait 34 au programme, quoiqu'un petit nombre a choisi de ne pas se présenter.

Flanquée du directeur de la santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, est installée sur un podium et note tout dans son carnet rouge. La légende veut qu'elle l'ait utilisé lors des autres consultations.

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La journée est aussi excitante qu'une journée de consultation publique puisse l'être. Dans une présentation d'une dizaine de minutes, les participants sont invités à faire valoir tant leurs inquiétudes que leurs pistes de solution.

« Partout où je vais, tout le monde insiste sur le mot prévention, notamment chez les jeunes. Tout le monde parle d'un encadrement serré, et ça, c'est unanime, a remarqué Mme Charlebois. C'est pris en considération. »

Mais l'unanimité n'était certes pas le mot d'ordre la journée, où les contradictions entre les opinions des panélistes étaient manifestes.

Au coeur des questions sur lesquelles la province doit trancher, il y a l'âge de la consommation du weed. Les arguments qu'on entend depuis des débats sur la légalisation du cannabis ont à nouveau été entendus: il faut légaliser assez jeune, pour que le marché noir ne puisse pas avoir une trop grosse clientèle, mais en même temps le cerveau continue de se développer jusqu'à 25 ans, il ne faut pas encourager la consommation à cet âge…

Ainsi, on a pu entendre des intervenants la Direction de santé publique de la Montérégie et la Société canadienne de pédiatrie (SCP) faire un plaidoyer en faveur de la légalisation dès 18 ans, à l'opposé de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, de PharmaCann Clinic et de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) qui souhaitent plutôt la fixer à 21 ans. Pour le consensus, on repassera.

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Même chose pour la vente. On a pu entendre différents acteurs vanter les mérites du modèle privé, ou même une compagnie plaider en faveur de l'ouverture de cafés dispensaires, tandis que d'autres vantaient les mérites d'une vente orchestrée par la société d'État, distincte de la SAQ ou du moins de ses établissements où l'on vend actuellement de l'alcool. Certains intervenants arguent que les producteurs devraient pouvoir vendre, d'autres s'y opposent.

Il y a aussi eu l'intervention d'Alexis Turcotte-Noël, étudiant en gestion du tourisme, qui veut mettre sur pied des coffeshops comme à Amsterdam et des tours guidés auxquels on ajouterait du cannabis. Son plan pour « Mtl 420 tours » n'est pas fixé pour l'instant, mais il souhaite en outre que le cannabis soit permis dans certains types de commerces, comme des restaurants ou des hôtels.

La ministre Charlebois lui a rappelé que le gouvernement n'octroyait cependant plus de permis aux cafés de chicha ou aux bars à cigares. Et ça, c'est sans compter toutes les personnes qui ont plaidé en faveur de l'harmonisation de la législation avec les lois antitabac en vigueur, ce qui exclurait même de fumer dans les parcs.

Pour la petite histoire des produits du cannabis, comme les comestibles, ça ne semble pas réglé d'avance. La Société canadienne de pédiatrie milite pour que ceux-ci soient interdits en raison des risques de consommation accidentelle par des enfants, ou l'incitation à la consommation des ados qui ne veulent pas fumer, tandis que la petite entreprise Yad Tech note les aspects néfastes de l'inhalation de cannabis et met de l'avant les aspects positifs des produits naturels qui contiendraient du cannabis.

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La suite, maintenant

C'est le genre de longues journées qui donnent mal à la tête.

Je vous ai d'ailleurs épargné le discours alarmiste de la Fédération des chambres de commerce du Québec sur la hausse prévue de consommation du cannabis, les prévisions de baisse de productivité au travail, de taux élevés d'absentéisme, et d'augmentation des accidents de travail.

« N'avez-vous pas déjà des employés qui consomment ? », s'est d'ailleurs enquise la ministre. La FCCQ s'est défendue en expliquant que les recours actuels contre des employés qui consomment une substance illégale ne seront pas les mêmes lorsque le cannabis sera légalisé. De son côté, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a insisté pour une approche préventive plutôt que punitive. Encore des opinions contraires avec lesquelles le gouvernement devra jongler.

J'ai relevé quelques oppositions entendues aujourd'hui, mais il y en avait assurément d'autres aux autres consultations. Et dans les quelques 10 600 autres questionnaires remplis en ligne par les citoyens.

Je ne dis pas que l'exercice n'est pas pertinent, il est même essentiel au processus démocratique. Je dis plutôt qu'il sera compliqué de démêler tout cela, surtout à temps pour le dépôt d'un projet de loi cet automne.

« J'ai hâte de faire un résumé de tout ça! », a lancé la ministre Charlebois au retour du lunch.

Je vois difficilement comment ça pourrait être vrai, mais VICE salue son enthousiasme.