Laisseriez-vous votre petite soeur sortir avec Chris Baio ?
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Laisseriez-vous votre petite soeur sortir avec Chris Baio ?

Nous sommes allés passer un moment avec le bassiste de Vampire Weekend, pour parler politique, littérature, techno et tueurs en série.

Chris Baio, bassiste de Vampire Weekend, le groupe pop qui ravit les belles-mères. Un type qui a appris le piano à douze ans et démarré dans des groupes de reprises de Blur et Nirvana. À l'âge où d'autres s'engagent dans l'armée, il découvre David Bowie qui deviendra son idole. Et Roxy Music. Et Queen. Sans s'en rendre compte, il vient de poser un pied en Angleterre, pays qui finira par totalement le happer - il s'y est aujourd'hui installé. Loin de Vampire Weekend, il a lancé son aventure solo sous le signe de l'électronique afin de pouvoir composer tranquillou dans sa chambre sans devoir convoquer de nouvelle assemblée de musiciens. D'où, forcément, un résultat électronique. Il n'est pas le seul : on a, de la même manière, vu son compatriote Toro y Moi se frotter au dancefloor sous le nom de Les Sins ou Caribou augmenter les BPM en prenant la casquette Daphni. Baio, lui, a juste raboté son prénom pour deux EP en 2012 et 2013 (Mira et Sunburn), suivis de l'album The Names il y a deux ans. La suite n'était pas prévue mais comme Vampire Weekend hiberne toujours, Baio est revenu avec Man Of The World, un album dont la mort de Bowie a été le point de départ, et l'élection de Trump et le Brexit les cerises (pourries) sur le gâteau (moisi). Un disque de chansons électro-pop aussi guillerettes que mélancoliques, comme une plongée nostalgique dans l'Angleterre synth-pop des années 80, se découvrant même une âme de crooner à la Prefab Sprout ou ABC, voire aux sensibleries façon David Sylvian. Les belles-mères le suivront-elles sur ce terrain-là ? Nous oui.

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Noisey : Ton premier album sonnait dance, celui-ci a plutôt l'air d'une collection de chansons électro-pop. Tu penses que tu as franchi un cap ?
Chris Baio : Oui définitivement et ça tient à plusieurs raisons. D'abord, j'ai vraiment voulu éviter de faire une mauvaise version du premier. Ça arrive souvent quand tu as un son ou une sensibilité identifiable, tu peux être tenté de les retrouver. Les tempos étaient de vrais tempos de DJ, entre techno et house. Les chansons plus lentes tournaient autour des 120 BPM, les plus rapides autour de 128. Je voulais garder certains éléments du premier comme la façon dont les chansons s'enchaînent, comme une chanson peut exploser en silence, comme une musique peut surprendre, choquer. Mais c'est vrai que je voulais mieux explorer l'idée de songwriting ainsi que le chant. Les chansons les plus lentes du nouveau tournent donc autour de 77 BPM alors que les plus rapides atteignent les 200. Le champ est donc beaucoup plus large. Le premier album m'a valu de jouer une centaine de shows et j'ai chanté plus que dans toute ma vie. C'est aussi pour ça que j'ai voulu travailler le chant sur cet album. On y trouve aussi de longs passages instrumentaux et des moments techno comme sur « Shame On My Name » avec ses deux minutes de batterie électronique. Ça renvoie au titre « I Was Born In A Marathon » sur The Names où la première moitié n'était que batterie. J'ai donc tenté de garder ce côté expérimental en l'insérant dans un cadre pop.

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Ce sont les concerts qui t'ont fait évoluer ?
Ça dépend vraiment des shows. Sur certains, la partie techno passait très bien, comme à Berlin par exemple, où j'ai donné ce qui reste un de mes meilleurs concerts. Sur d'autres, j'ai senti que le public s'ennuyait et préférait des titres comme « Sister Of Pearl », « The Names » ou « Endless Rhythm », qui sont un peu plus grand public. Ça m'a donné envie de composer plus de chansons et j'ai poursuivi sur cette lancée.

Tu vis depuis quatre ans en Angleterre. Ça t'a influencé ?
Mes deux albums sont nés au même endroit du point de vue des textes, ça reste ceux d'un Américain vivant à Londres. Mais la situation a changé entre 2014 et 2016. C'est ce qui m'a inspiré et poussé à faire l'album que je n'avais pas prévu de faire aussi vite. Les chansons sont venues à moi.

Je posais la question car tu évoquais tes progrès dans le chant, et on te sent vraiment libéré à ce niveau, comme si tu évoluais dans l'Angleterre électro-pop des années 80.
Effectivement, je sens un peu cet héritage. Mes artistes préférés de tous les temps sont David Bowie et Bryan Ferry. En même temps, Londres est clairement la ville la plus excitante pour faire de la musique et on ne pas dire qu'elle ait connu de mauvaise période. Même à New York, tu as eu des moments où il ne se passait rien de bien excitant, comme dans les années 90 où le hip-hop explosait mais où rien ne se passait en rock. Alors qu'à Londres, il y a toujours eux des trucs géniaux depuis la fin des années 50. C'est clair que si tu chantes avec une voix plus profonde ou si tu croones un peu, ça renvoie automatiquement à un territoire 80's - les chanteurs criaient beaucoup plus dans les années 90. J'essaie d'écrire des chansons romantiques, drôles, stupides, tristes… mais jamais en colère. Beaucoup de mes titres préférés datent des années 80. C'est marrant quand tu y réfléchis car le revival des années 80 dure depuis 15 ans, une période plus longue que les années 80 elles-mêmes !

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La disparition de Bowie a donc provoqué un choc en toi ?
J'ai passé tellement de temps avec sa musique… Plus qu'avec certains de mes bons amis, qu'avec mes grands-parents, mes oncles… Tu te retrouves parfois à passer plus de temps avec l'art de quelqu'un qu'avec certains de tes proches. Tu sens presque une proximité, une amitié, une relation intense avec cette personne - alors que je ne l'ai jamais rencontré.

La mort de Bowie début 2016 a correspondu au début de mon année. J'ai dû aller le lendemain à Brixton, à une demi-heure de chez moi, déposer des fleurs devant la maison où il a vécu ses six premières années. Ensuite, pour enregistrer, j'ai choisi un studio tout près de la grande fresque en hommage à la pochette d' Aladdin Sane. Je la voyais chaque jour en m'y rendant. Des gens la prenaient en photo, laissaient des fleurs. Ça te rappelle combien la musique nous touche.

C'est quoi ta période préférée de Bowie ?
Tout un pan des années 70, de Hunky Dory à Scary Monsters. Il remettait à chaque fois en question l'idée d'album. Sa façon de travailler l'instrumentation dans un registre pop a eu une énorme influence sur The Names. Quant à « Sister Of Pearl », c'était un clin d'œil au « Mother Of Pearl » de Roxy Music. Sur le nouveau, je ne voulais que des clins d'œil à Bowie et la moitié des chansons en contiennent.

Les textes sont également très liés au contexte politique actuel.
J'ai vraiment voulu délivrer un message politique. « Out of Tune » est une chanson anti-Trump. « DANGEROUE ANAMAL » s'attaque aux climato-sceptiques. En même temps, je dénonce ma propre hypocrisie car je suis musicien et voyage tout le temps. Mon empreinte carbone est probablement bien supérieure à celle d'un sceptique. La chanson porte donc la frustration à l'égard de ces gens mais aussi vis-à-vis de moi. Aucune chanson ne cherche donc à prêcher ou à expliquer comment les choses devraient être, c'est plus une expression de mes peurs et un aveu de ma propre complicité. On est donc loin de Rage Against The Machine ou d'une protest-song.

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Ou de Public Enemy…
Oui, qui est un de mes groupes favoris, dont j'écoutais beaucoup Fear Of A Black Planet en faisant mon album. C'est un message plus subtil que je délivre.

En tant qu'Américain vivant en Europe, tu as aussi subi quelques déceptions ?
C'est effrayant de voir comme une colère et une haine basées sur un fort sentiment anti-immigrant se développent dans un peu tous les pays d'une façon que je n'aurais jamais imaginée depuis 10 ans. C'est effrayant car on sait comment ce genre de sentiment se termine, il existe plein d'exemples dans l'Histoire. Le jour où le Brexit est passé, je voyageais de Londres à Berlin et c'est à ce moment que j'ai compris que c'était la merde, un truc que je ne pouvais comprendre en tant que musicien étranger vivant dans une ville cosmopolite, où je suis entouré d'amis norvégiens, australiens, français… Je ne pensais pas que le Brexit passerait. J'ai compris que je ne connaissais pas si bien ce pays. Le pire, c'est que ça m'a fait comprendre qu'une victoire de Trump était possible, ce qui s'est passé. Toutes ces peurs ont alimenté l'album.

Pourquoi écris-tu le titre « DANGEROUE ANAMAL » avec des fautes ?
C'est la façon dont le tueur du Zodiaque l'écrit dans une de ses lettres : « l'homme est l'animal le plus dangereux » et il l'écrit « DANGEROUE ANAMAL » car il n'était pas très bon en orthographe. Je suis d'accord avec lui quand tu vois que ce l'homme provoque sur le climat, la planète…

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Tu n'as d'ailleurs pas peur des clichés d'artiste quand tu chantes « I'm a sensitive guy »
Totalement ! Parfois, une phrase te vient à l'esprit et bon… Je suis d'accord sur le fait que c'est un cliché pour l'artiste d'être ultra-sensible mais la chanson démarre comme ça avant de switcher à la fin sur la politique. C'est un truc que j'avais déjà abordé sur le précédent, l'idée de payer un gouvernement qui réalise des actes violents. La dernière phrase c'est « je sais que mon l'argent provoque la souffrance sur d'autres vies ». C'est quelque chose qui m'atterre en tant que citoyen qui paie ses impôts.

Tant qu'on est à éplucher tes textes, il va falloir que tu expliques « Vin Mariani ».
C'est le nom d'une boisson inventée par un Français au XIXe siècle, un cocktail à base de vin rouge et de cocaïne, un mélange très populaire et très addictif. J'ai voulu parler de certaines émotions qui deviennent addictives, comme par exemple l'idée qu'il faut du changement politique, que ce sera toujours une bonne chose. Tu connais le statu quo mais tu ne sais pas ce que le changement te réserve. Dans le cas du Brexit, ses partisans n'avaient juste qu'à mettre en avant ce changement sans avoir besoin de dire ce qui allait se passer. C'est pour ça que beaucoup ont voté pour. Ils savent ce qu'est être dans l'UE mais pas ne plus y être. Trump aussi a joué sur le changement dans sa campagne. C'était le pire outsider mais plein de gens ont voté pour lui en pensant qu'il allait changer en mieux. La première campagne d'Obama aussi reposait sur le changement mais il était positif. Celui de Trump est terrible. Certains ont voté pour les deux en estimant que tout changement est bon, il y a un truc addictif dedans. C'est pour ça que j'ai appelé la chanson d'après une substance addictive.

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En quoi Don DeLillo t'avait inspiré pour l'album précédent ?
Je lui ai même donné le nom d'un de ses livres, The Names. J'ai grandi à Bronxville, une toute petite ville, une banlieue ennuyeuse au nord de New York où il n'y avait que le sport alors que j'étais plus attiré par la musique. Vers 24 ans, je me suis rendu compte que DeLillo vivait à une rue de chez moi, et que pas mal de ses livres avaient démarré là, comme Bruits De Fond. Pour moi, cette proximité avec l'un des plus grands auteurs américains a été comme un choc. Ma vie, ma ville étaient tellement ennuyeuses. Mais l'un des plus grands artistes partageait la même ville, allait dans les mêmes restaurants. Je me suis mis à dévorer tous ses livres.

DeLillo m'a donc prouvé que tu peux écrire des œuvres intéressantes, vitales, et difficiles dans un environnement ennuyeux. Tu peux y trouver des choses excitantes à décrire. Les passages dans Bruits De Fond qui se passent dans une épicerie sont hilarants et je me suis demandé s'il s'était inspiré de celle de notre ville, si sa critique de la société de consommation américaine partait de la ville où j'ai grandi.

Si Vampire Weekend a été étiqueté « indie afro pop » à ses débuts. En tant que bassiste du groupe, tu te sens un peu responsable ?
J'ai toujours cherché à me mettre à la place des autres et on a toujours écouté de l'afro-pop ensemble. Pour ce qui est de la chanson « Cape Cod Kwassa Kwassa », c'était peut-être la troisième qu'on écrivait avec le groupe. Ezra a joué le riff et tout à coup, la ligne de basse m'est venue, tout allait super bien ensemble. Ça vient donc d'un peu tout le monde, de Chris Tomson aussi, qui est un super batteur. L'influence afro-pop vient aussi du son de la guitare. C'est marrant cette image de groupe totalement ouvert aux rythmiques exotiques alors qu'en solo, tu vas vers la pop anglaise.
Je ne voulais pas que mes disques solos soient une mauvaise version de Vampire Weekend. Ça arrive pour pas mal de chanteurs solos de sonner comme leur groupe, mais en moins bien. Je voulais donc une vie musicale qui tienne hors de Vampire Weekend. Parfois tu pousses une idée avec le groupe et tu veux explorer un truc nouveau en solo. Et parfois, mon jeu solo se rapproche de celui avec le groupe. Il y a donc des liens mais le but est que ça tienne debout indépendamment du groupe.

D'ailleurs, vous allez vous remettre au boulot ?
Oui c'est la prochaine étape. On en est vraiment au tout début de l'album. C'est bizarre de parler d'une musique qui n'existe pas car tout peut changer, c'est pour ça que je ne veux pas trop en parler. Pas encore de date de sortie. On a fait les trois premiers albums avec peu d'écart entre eux. Là, on prend notre temps. J'ai remarqué que pas mal de groupes faisaient la même chose entre le troisième et le quatrième album, comme les Strokes ou les Shins qui ont mis cinq ans. Grizzly Bear aussi.

C'est grâce au groupe que tu as découvert New York, les Etats-Unis, l'Europe puis ce monde dont tu te sens citoyen ?
J'ai eu beaucoup de chance car, enfant, je suis venu plusieurs fois en Europe. Une fois à Paris avec des amis à 20 ans. Je n'avais pas tant voyagé que ça avant le groupe. Je me souviens que lors de notre première tournée mondiale avec Vampire Weekend, mon père m'a envoyé un email disant que j'avais été dans plus de pays que lui dans toute sa vie. C'était assez fou à 23 ans. Tout ça grâce à la musique.

Pascal Bertin est sur Twitter.